Le ministre de la Justice Koen Geens souhaite réformer le droit successoral en Belgique. Pour ce faire, un projet de loi a été déposé par le CD&V, la NVA, l’Open VLD et le MR le 25 janvier dernier.
Par cette modification de loi, le législateur entend notamment donner une plus grande liberté au défunt de disposer de son patrimoine par voie de donation ou de legs, d’une part, en fixant la part réservataire à laquelle peuvent prétendre ses enfants à la moitié de la masse successorale fictive, quel que soit le nombre d’enfants, et, d’autre part, en modérant l’interdiction actuelle de conclure des pactes sur une succession non encore ouverte. Voici quelques explications pratiques résultant des orientations prises par le projet de loi déposé :
Dans quelle mesure un pacte successoral peut-il être établi ?
Le nouveau cadre légal prévoit la possibilité de conclure trois pactes successoraux ponctuels et un pacte global. À titre de pacte successoral ponctuel, des accords pourront prochainement être conclus sur la valorisation des donations qu’il conviendra de retenir lors du décès du donateur, et des arrangements pourront être pris, moyennant l’accord de tous les héritiers réservataires, pour rendre une donation tout à fait définitive, de manière à ce qu’elle ne puisse plus faire l’objet du moindre rapport ou de la moindre réduction. Le projet de loi prévoit également la possibilité de conclure un pacte successoral global, mais l’on ignore encore comment celui-ci devra être concrétisé dans la pratique. Cela s’avérera complexe, certainement en raison de l’exigence qu’un équilibre subjectif soit atteint entre tous les héritiers dans un tel pacte. Il est important de noter que ce type de pacte successoral global ne sera possible qu’entre un père et/ou une mère et tous ses héritiers présomptifs en ligne directe.
En quoi les nouveaux droits réservataires diffèrent-ils des droits actuels ?
Comme exposé précédemment, la réserve des enfants est limitée à 50 % de la masse fictive dans le nouveau projet, quel que soit le nombre d’enfants appelés à la succession.
La réserve du conjoint survivant sera maintenue sur l’usufruit de l’habitation familiale et de ses meubles meublants ou l’usufruit sur la moitié de la succession. En contrepartie de la réduction de la réserve des enfants, il est prévu que ces derniers ne soient pas nécessairement confrontés à la réserve en usufruit revenant au conjoint survivant. En effet, en vertu du nouveau droit successoral, cette réserve en usufruit devra tout d’abord s’imputer sur les 50 % librement disponibles, de sorte que les enfants puissent à tout le moins recueillir leur part réservataire en pleine propriété.
À l’heure actuelle, les héritiers réservataires peuvent décider, jusqu’à 30 ans après le décès du donateur, de demander la réduction des donations faites en violation de leurs droits réservataires. Le législateur tente de remédier à l’incertitude que ceci peut créer sur les transactions juridiques en limitant dans le temps la possibilité d’introduire de telles demandes en réduction. Ces demandes ne pourront plus être faites que jusqu’à la clôture de la liquidation et du partage ou jusqu’à 5 ans après que l’héritier réservataire ait été mis en demeure à cet égard par le tiers bénéficiaire dont la transaction pourrait être remise en cause.
Sous le nouveau régime, les héritiers réservataires ne seront, par ailleurs, plus titulaires d’un droit réel sur les biens successoraux, mais ne disposeront plus que d’un recours personnel sur la succession à concurrence de la valeur pour laquelle ils peuvent demander la réduction. Le droit de suite dont les réservataires disposent pour faire revenir des biens en nature à la succession, et la précarité d’un don en tant que titre de propriété qui pouvait en découler, sont désormais fortement modérés.
La réalité des familles recomposées reconnue par le nouveau droit successoral
Les nouvelles règles ont en outre pour objectif de faire correspondre davantage le droit successoral à la nouvelle réalité des familles recomposées. Le législateur souhaite éviter le concours souvent douloureux dans la pratique entre le second conjoint du défunt, qui hérite de l’usufruit, et les enfants issus d’une précédente relation du défunt , qui obtiennent la nue-propriété, en supprimant l’obligation de rapport qu’ils se doivent mutuellement. De surcroît, un second conjoint survivant ne pourra jamais faire valoir sa réserve sur les donations consenties avant ce second mariage aux enfants d’une union précédente.
Rapport « nouveau style »
En modifiant les règles de la « substitution » fin 2012, le législateur avait déjà répondu partiellement à la nécessité sociale de pouvoir mettre en place un « saut de génération ». Le nouveau droit successoral complète encore ceci avec le nouvel instrument juridique du « rapport pour autrui ». Par ce biais, il sera possible pour un parent de faire, en lieu et place de son enfant qui a reçu une donation de son grand-parent, rapport dans la succession du grand-parent donateur concerné, de sorte que le petit-enfant donataire puisse conserver intégralement sa donation sans obligation de rapport.
Le législateur tente, par ailleurs, d’endiguer les nombreuses discussions que provoque actuellement la question de la valorisation d’une donation lorsqu’il y a lieu d’en faire rapport ou réduction en prévoyant une nouvelle règle de valorisation uniforme. La valeur à prendre en compte sera celle au moment de la donation, quelle que soit la nature du bien donné (meuble ou immeuble), moyennant une indexation depuis le moment de la donation jusqu’au moment du décès du donateur. Cette indexation sera d’ailleurs également appliquée aux donations de parts d’une entreprise familiale, dont la valorisation se fait, sous le droit successoral actuel, à la date de la donation sans indexation.
Que dit le Conseil d’État à propos du projet de loi ?
Le 21 mai dernier, le Conseil d’État a remis son avis relatif à ce projet de loi. Le Conseil d’État y a formulé une série de remarques, et y relève notamment que l’absence de régime transitoire pourrait éventuellement compromettre les attentes légitimes d’une personne qui ferait une donation à ce jour et décèderait après l’entrée en vigueur des nouvelles règles. Le Conseil d’État y estime également que le choix de principe pour un droit successoral (rapport et réduction) en valeur laisse trop peu de place à l’autonomie de la volonté des parties, et que la fixation de la réserve des enfants à la moitié de la masse fictive pourrait se révéler contraire au principe constitutionnel d’égalité.
Les nouvelles règles proposées semblent être un pas dans la bonne direction, en particulier parce qu‘un cadre légal est créé pour la première fois pour les pactes successoraux. Certains besoins restent cependant sans réponse, notamment en ce qui concerne la nécessité de pouvoir déroger au principe d’un droit successoral et du rapport en valeur si les parties le souhaitent.
Quid de l’impact fiscal ?
Le législateur n’a pas pris en considération les implications fiscales du nouvel instrument juridique du « rapport pour autrui », de l’enregistrement obligatoire du pacte successoral global et de la possibilité pour le conjoint survivant de prolonger l’usufruit que le conjoint prédécédé se réservait par ses donations. Aucune mesure transitoire n’a été définie pour les donations faites dans le passé. Cela engendrera très certainement des effets indésirables.
Conclusion
Nous espérons que des amendements bien pensés pourront venir gommer les failles actuellement présentes dans le projet, et aspirons à un droit successoral qui laisse une marge suffisante à l’autonomie et n’emporte pas de conséquences fiscales indésirables.
Auteurs:
Eléonore Maertens de Noordhout
Alain Van Geel