Dans un arrêt de Grande Chambre du 2 novembre 2010, la Cour Européenne des Droits de l’Homme se penche sur le recours introduit par Monsieur SAKHNOVSKI contre la Russie (Requête n°21272/03). Le requérant, condamné à une peine de prison pour meurtre, postulait une violation de l’article 6 de la Convention puisqu’il n’avait pas pu bénéficier de l’assistance effec-tive d’un avocat et qu’il n’avait pu communiquer avec lui que par vidéoconférence.
Condamné en premier instance, le requérant était emprisonné à plus de 3.000 km de la Cour qui examinait son appel. Il était donc prévu qu’il assiste à l’audience via un système de vidéoconfé-rence, bien qu’il ait demandé à comparaitre en personne. A l’ouverture de l’audience, le requé-rant fut présenté à son nouvel avocat commis d’office – qu’il n’avait jamais rencontré en per-sonne – et on lui accorda 15 minutes d’entretien confidentiel. Le requérant refusa alors d’être représenté par son conseil, arguant qu’il lui fallait s’entretenir de personne à personne avec son défenseur et non par écrans interposés. La Cour d’appel refusa et examina l’affaire, sans que le requérant ne soit assisté d’un conseil.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme se penche sur la question et souligne que la relation entre un avocat et son mandant doit être fondée sur la confiance et la compréhension mutuelle et que l’Etat ne peut restreindre les contacts confidentiels entre l’avocat de la défense et le détenu qu’en cas de contraintes exceptionnelles de temps et d’espace (Kempers c/ Autriche, n°21842/03 ; Lanz c/ Autriche, n°24430/94). Toutefois aucune restriction apportée aux relations entre clients et avocats ne doit faire obstacle au droit à l’assistance effective d’un défenseur, le-quel doit être respecté en toute circonstance. En l’espèce, la Cour estime que le requérant n’a pas disposé de suffisamment de temps pour envisager correctement sa défense avec son conseil.
En ce qui concerne la communication par vidéoconférence, la Cour estime que cette forme de participation à la procédure n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable mais la Cour doit s'assurer que son application dans chaque cas d'espèce poursuit un but légitime et que ses modalités de déroulement sont compatibles avec les exigences du respect des droits de la défense (Marcello Viola c. Italie, n° 45106/04 ; Golubev c. Russie n° 26260/02).
Selon la jurisprudence de la Cour, la vidéoconférence peut se justifier lorsque le prévenu est sou-mis à un régime carcéral différencié, lorsque son transfert entraîne l'adoption de mesures de sécu-rité particulièrement lourdes, que ce transfert crée un risque de fuite ou d'attentat et que sa com-parution personnelle peut lui donner l'occasion de renouer des contacts avec les associations cri-minelles auxquelles il est soupçonné appartenir. Elle peut encore se justifier par la circonstance que la simple présence du prévenu dans la salle d'audience est susceptible d'exercer des pressions indues sur les autres parties au procès, notamment sur les victimes et les témoins repentis (Asciutto c. Italie, n° 35795/02). Sont des buts légitimes au regard de la Convention de nature à justifier la participation aux audiences par vidéoconférence la défense de l'ordre public, la pré-vention du crime, la protection de la vie, de la liberté et de la sûreté des témoins et des victimes des infractions ainsi que le respect de l'exigence du délai raisonnable de la durée des procédures judiciaires (Zagaria autres c. Italie, n°58295/00).
En l’espèce, la Cour estime que l’utilisation du système de vidéoconférence installé par l’Etat ne présentait pas toutes les garanties de confidentialité requises. En outre, la Cour relève que l’obstacle géographique, s’il rendait effectivement très onéreux un déplacement du détenu, n’em-pêchait pas que d’autres mesures soient prises pour assurer des contacts préalables entre le détenu et son conseil afin que les droits de la défense soient respectés. La Cour conclut donc à une viola-tion de l’article 6 de la Convention dans le chef de la RUSSIE.
Le recours à la vidéoconférence en matière pénale, et notamment la comparution par ce média, est de nature à augmenter la sécurité des différents intervenants (policiers, gardiens, témoins et détenu lui-même) ainsi qu’à accélérer le déroulement de la procédure pénale et à diminuer le coût de celle-ci. Il est toutefois important d’entourer le recours à cette technologie de toutes les pré-cautions nécessaires pour assurer le respect des droits de la défense.
La Belgique reste relativement frileuse dans cette matière. L’emploi de la vidéoconférence en matière pénale se limite ainsi, pour l’instant, à l’audition et la comparution de certains témoins (témoins protégés ou mineurs victimes de certaines infractions) ou de témoins, ex-perts et personnes soupçonnées résidant à l’étranger. Ces auditions sont organisées par le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2001, les lois du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs et du 2 août 2002 relative au recueil de déclarations au moyen de médias audiovi-suels.
Un projet pilote de comparution devant la Chambre du Conseil par vidéoconférence avait été mis en place à Charleroi. Ce projet a toutefois été stoppé par la Chambre des Mises en Accu-sation de Mons qui, dans un arrêt du 10 avril 2003, a considéré que la comparution d'un déte-nu par vidéoconférence devant la chambre du conseil était illégale car la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive reconnaît deux manières de comparaître à l'audience : en personne ou en étant représenté par un avocat. Un second projet pilote comparable est en cours en Flandre. A notre connaissance, les conclusions de ce projet ne sont pas encore con-nues.
Pour l’heure, quand bien même le transfert de détenu, a fortiori de certains détenus particu-lièrement dangereux, coûte cher à l’Etat et entraîne régulièrement des retards et inconvé-nients divers pour les magistrats et conseils, le principe reste donc toujours la présence phy-sique du détenu à l’audience.