LE PATRIMOINE IMMATÉRIEL EST DE PLUS EN PLUS IMPORTANT
Il est devenu banal de souligner que, dans nos économies développées, ce qui fait la valeur de nombre d'entreprises, c'est de plus en plus leur
"patrimoine immatériel", constitué notamment des droits de propriété intellectuelle: les brevets, les marques, les droits d'auteur, le savoir-faire,
les dessins et modèles, les droits sur les logiciels et sur les bases de données etc. sont autant d'éléments dont la valeur économique et concurrentielle globale sera souvent supérieure aux avoirs matériels d'une société (ses immeubles, son matériel, ses machines, etc.).
POURTANT, IL RESTE SOUVENT ASSEZ MAL GÉRÉ
Une large enquête effectuée il y a quelques années auprès de 700 grandes entreprises européennes avait montré que ce patrimoine immatériel
reste souvent assez mal géré. L'enquête montrait un décalage entre, d'une part, la conscience, de plus en plus réelle, au sein de l'entreprise,
de l'importance grandissante de ce portefeuille et, d'autre part, la gestion assez lacunaire de ce patrimoine. L'enquête concluait: "On peut
diffi cilement trouver un élément du patrimoine des entreprises qui est à ce point considéré comme une réelle source de valeurs mais qui est en
même temps victime d'une si mauvaise gestion"1. Depuis que cette étude a été effectuée, la situation s'est peut-être un peu améliorée mais des progrès sensibles restent à faire, principalement (mais pas uniquement) au sein des entreprises petites et moyennes.
PAS D'INVENTAIRE, PAS DE STRATÉGIE, PAS DE REPORTING...
Avant de mettre en œuvre une stratégie, il faut savoir ce dont on est propriétaire. Souvent l'entreprise l'ignore. Si des inventaires des stocks,
de la fl otte automobile et des chaises de bureau sont tenus scrupuleusement, l'entreprise n'a souvent pas d'inventaire des droits intellectuels
dont elle est propriétaire. Et ce constat est double: la société ignore l'existence de certains droits et de certains actifs protégés au sein de
son patrimoine, et pense parfois être propriétaire de droits qu'elle n'a en réalité pas acquis (on y reviendra). Trop souvent, l'entreprise n'a pas mené de réfl exion sur la gestion de son patrimoine intellectuel. La question de la stratégie à mener ne vient que rarement à l'ordre du jour du conseil d'administration et il n'y a pas de politique articulée ni de reporting régulier vers le conseil. Quand une stratégie est menée, elle est encore trop souvent axée sur une approche défensive voire judiciaire et moins sur une stratégie de rentabilisation et de recherche de débouchés (via des licences à des tiers, des joint ventures, etc.).
PAS D'OPTIMISATION FISCALE, PEU DE CONTRÔLE
Un volet d'une politique de rentabilisation est fi scal. Or les sociétés sont encore souvent assez timides dans le recours aux mécanismes licites
d'optimalisation. C'est notamment vrai pour le régime fi scal prévu en Belgique pour les revenus de brevets, utilisable même si l'entreprise
n'accorde pas de licence sur le brevet. Ce régime reste sous-utilisé par les petites entreprises et n'est pas encore toujours très connu des entreprises qui pourraient en tirer profi t. Sous l'angle comptable et bilantaire également, les entreprises n'offrent pas toujours une image reflétant
adéquatement leur valeur réelle, les actifs immatériels y étant souvent sous-évalués. Certes, il y a eu, à l'inverse, des abus commis dans le
passé mais aujourd'hui, on se trouve parfois dans l'excès inverse. L'une des façons d'optimiser les revenus d'un portefeuille consiste à donner
des licences à des tiers. De nombreux actifs restent pourtant "dormants". Par ailleurs, même si les contrats de licence contiennent des clauses d'audit permettant au donneur de licence de vérifi er l'utilisation des actifs donnés en licence, il est fréquent que ce donneur de licence n'exerce pas ses droits d'audit; or l'étude montrait que, quand un tel audit est effectué, il dévoile une exploitation par le licencié allant - tous secteurs
confondus - en général 10 % au-delà de ce que le contrat autorisait;le propriétaire ne reçoit donc pas les royalties auquel le contrat lui donne
droit et le portefeuille ne génère pas les revenus qu'il pourrait générer:10 % de revenus en plus, quelle entreprise les négligerait s'il s'agissait
d'exploiter ses actifs matériels, quelle entreprise ferait systématiquement une ristourne de 10 % sur ses factures ?
DES CONTRATS MAL RÉDIGÉS, UN PROBLÈME LATENT JUSQU'AU JOUR OÙ...
Les actifs immatériels naissent souvent "dans le cerveau" des employés et des collaborateurs de l'entreprise. Pour certains droits intellectuels, si
l'entreprise veut en devenir propriétaire, il faut que les contrats d'emploi, de collaboration, de sous-traitance aient prévu des clauses adéquates et
expresses. On voit trop souvent encore des pratiques hasardeuses à ce sujet: des clauses mal rédigées, pas de clauses explicites, voire pas de
contrat écrit... L'entreprise pense encore trop souvent être propriétaire des droits pour le seul motif qu'elle aura payé ses employés, ses free
lance, ses sous-traitants, etc. Or c'est loin d'être toujours le cas. Le problème peut rester latent très longtemps, jusqu'à ce que l'entreprise ait
besoin de fi nancements et cherche des investisseurs, ou jusqu'à ce que les actionnaires souhaitent céder la société. L'acheteur ou l'investisseur
fera alors un audit ("due diligence") des actifs, tant matériels qu'immatériels et c'est là qu'on s'apercevra que la société n'a pas, faute de clauses
de cession dans les contrats, obtenu la propriété des droits. Inutile de dire que cela aura souvent pour effet d'inquiéter le candidat investisseur.
A nouveau, imagine-t-on une société se mettre à occuper un terrain sans s'être assurée de l'avoir valablement acquis et ensuite essayer de le
revendre ? C'est pourtant ce qu'on observe pour les droits intellectuels.
EN RÉSUMÉ
Si le portfolio de droits intellectuels est aussi important que les entreprises aujourd'hui le reconnaissent, il serait normal qu'il soit à tout le
moins aussi bien géré que le reste des actifs de l'entreprise.
Une question de logique en définitive.
1 Référence: Intellectual Gold, enquête effectuée par KPMG et différents cabinets d'avocats.