Ce jeudi 16 juillet 2020, la Chambre des représentants a entériné le projet de loi « portant des dispositions diverses relatives à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces » (Doc. parl. n° 55-1324/009).
Le texte législatif vise à transposer la 5ème Directive anti-blanchiment (la Directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018), dont le délai de transposition était pourtant fixé au 10 janvier 2020. La Belgique est cependant loin d’être la seule retardataire en la matière, puisqu’au début du mois de juin passé seuls 11 Etats Membres avaient informé la Commission européenne de leur transposition complète de la Directive.
Cette adoption intervient un peu moins de trois ans après l’adoption par la même Chambre de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèce – loi qui visait elle-même à transposer la 4ème Directive européenne anti-blanchiment et qui opérait une refonte entière du cadre législatif belge en la matière.
Notons néanmoins, concernant la transposition de la 4ème Directive, que la Commission européenne a saisi le 2 juillet 2020 la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours contre l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, avec demande de sanctions financières, pour manquement à l’obligation de transposer intégralement la Directive dans leur droit interne. En Belgique, les lacunes constatées concernent la législation sur les mécanismes d'échange de documents et d’informations entre cellules de renseignement financier. Le texte de transposition de la 5ème Directive adopté ce 16 juillet remédie à ces manquements.
La (bientôt) loi portant des dispositions diverses relatives à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces vient donc modifier la loi du 18 septembre 2017, pour y transposer les dispositions de la 5ème Directive qui n’auraient pas déjà transposées via d’autres législations.
Une surprise de taille s’est néanmoins invitée dans le texte voté en plénière, sans lien aucun avec la 5ème Directive : l’assujettissement du secteur du football professionnel à la législation anti-blanchiment, une véritable révolution en termes de politiques, procédures et contrôles que ces acteurs devront mettre en place pour se conformer à leurs nouvelles obligations.
Adopté par 123 voix pour, 23 abstentions et 0 voix contre, le texte doit encore être sanctionné par le Roi avant d’être publié au Moniteur belge.
Gageons donc que les assujettis au régime préventif profiteront de l’été pour anticiper la mise à jour de leur organisation interne conformément aux modifications apportées à la législation anti-blanchiment belge.
La présente brève trace les contours des principales modifications apportées par la loi :
Nouveaux assujettis
La modification la plus substantielle du cadre législatif en vigueur consiste en l’ajout de nouveaux « assujettis », des professionnels qui devront désormais se conformer aux obligations découlant du régime préventif anti-blanchiment. Il s’agit respectivement :
- des prestataires de services de monnaies virtuelles et de portefeuilles de conservation : cet assujettissement, très attendu, vise à lutter contre l’anonymat relatif associé aux monnaies virtuelles et qui favorise leur utilisation à des fins criminelles. La surveillance ainsi que l’enregistrement de tels prestataires seront effectués par la FSMA ;
- des marchands d’art, lorsque la valeur des opérations ou d’une série d’opérations s’élève à 10.000 euros ou plus : le but étant d’empêcher que le commerce lucratif d’antiquités, de biens d’art ou culturels constitue une source (aujourd’hui importante) de revenus pour les organisations terroristes ;
- des personnes qui, à titre d’activité d’entreprise ou professionnelle principale, offrent une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale, directement ou avec des personnes liées : il s’agit de ceux qui, actuellement, fournissent des services en matière d’impôts à des contribuables sans être sujets à un contrôle externe. Ces consultants/prestataires de services fiscaux non agréés devront désormais se faire inscrire sur une liste spéciale tenue par l’Institute for Tax Advisors and Accountants (ITAA) pour ce qui est du respect de la législation anti-blanchiment ;
- des agents immobiliers, également lorsqu’ils agissent comme intermédiaire lors de la location de biens immobiliers, mais seulement en ce qui concerne les transactions dont le loyer mensuel est de 10.000 euros ou plus ; et, last but not least,
- des clubs de football professionnels de haut niveau, des agents sportif dans le secteur du football, ainsi que de l’ASBL Union royale belge des sociétés de football-association : les deux premiers devront s’enregistrer auprès de et seront supervisés par le SPF Économie.
Abaissement du seuil pour les cartes de paiement prépayées
Les cartes de paiement prépayées anonymes sont souvent utilisées comme source de financement par les (organisations) terroristes. Par conséquent, les seuils d’exemption d’identification et de vérification des clients détenteurs d’instruments de paiement non rechargeables sont réduits de 250 euros à 150 euros. Par ailleurs, l’exemption n’est plus applicable en cas de remboursement ou de retrait d’espèces supérieur à 50 euros ou en cas d’opérations de paiement à distance.
Établissement d’une liste des fonctions publiques belges importantes
Afin de concrétiser davantage la définition des personnes devant être considérées comme politiquement exposées en Belgique (les « PEPs »), une liste des fonctions exactes qui peuvent être qualifiées de fonctions publiques importantes est dressée au regard du droit et des fonctions publiques de droit belge. Cette liste est insérée en tant qu’Annexe IV à la loi du 18 septembre 2017.
Renforcement et harmonisation des obligations de vigilance en matière de pays tiers à haut risque
Si les pays tiers à haut risque doivent déjà faire l’objet d’une vigilance accrue en l’état, il apparaissait nécessaire d’harmoniser les obligations de contrôle et surveillance renforcées qui découlent de telles relations d’affaires pour éviter un « forum-shopping » entre juridictions (selon qu’elles appliquent des règles plus ou moins sévères à l’égard de tels pays).
Les obligations de vigilance renforcée que les assujettis doivent appliquer à la relation d’affaire impliquant un pays tiers à haut risque sont désormais identifiées expressément. Il s’agit de la collecte d’informations (supplémentaires) sur le client et/ou le(s) bénéficiaire(s) effectif(s), sur la nature de la relation d’affaire, sur l’origine des fonds, et sur les opérations du client ; de l’obtention d’une autorisation d’un membre d’un niveau élevé de la hiérarchie de nouer ou de maintenir la relation ; de l’augmentation du nombre et de la fréquence des contrôles ; et de conditions relatives au premier paiement du client.
Renforcement de la coopération entre autorités compétentes des Etats Membres
Enfin, les règles de coopération nationale et internationale et d’échanges et d’accès aux informations confidentielles entre autorités compétentes sont adaptées. Cela afin de faciliter la collaboration notamment entre les autorités de contrôle et, entre autres, la CTIF ou les autorités de supervision.