26/07/10

Droit de la Construction: pas de délai décennal pour les vices mineurs cachés

Un architecte reçoit une mission architecturale pour la construction d'un immeuble à appartements, suivant contrat du 1er juin 1992 qu'il signe avec un promoteur immobilier.

La réception provisoire est accordée le 27 octobre 1994, moyennant quatre remarques minimes.

Des problèmes d'humidité et de fissures se révèlent ultérieurement dans les parties communes et privatives de l'immeuble.

Les copropriétaires assignent l'entrepreneur et l'architecte par citation du 26 octobre 2004 (soit un jour avant l'expiration du délai décennal !).

Par jugement du 8 juillet 2005, le Tribunal constate que l'action est fondée sur les articles 1792 et 2270 du Code civil, à savoir la responsabilité décennale des constructeurs et écarte l'exception de prescription.

Il souligne, en effet, que cette responsabilité ne pouvait concerner que des vices graves susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l'immeuble, mais nullement des défauts cachés véniels.

Le Tribunal ordonne donc une vue des lieux afin de vérifier la nature, c'est-à-dire la gravité des vices invoqués.

Cette descente sur les lieux est effectuée en présence d'un expert judiciaire.

Par jugement du 5 octobre 2006, le premier Juge reprend la description des désordres mentionnés dans le PV de vue des lieux, en présence de l'expert ; il estime que les vices sont mineurs et décide que pour certains de ceux-ci, la demande a été formulée dans le « délai utile » dont il sera question ci-après.

Le Tribunal redésigne l'expert judiciaire pour déterminer l'origine et les conséquences des défauts retenus (à savoir des fissures affectant les carrelages et les plinthes, et qui semblent provenir d'une flexion du plancher ou d'un affaissement de la chape comme l'a signalé l'expert lors de la vue des lieux).

L'architecte relève appel de ce jugement, notamment en ce que le premier Juge n'avait pas répondu aux moyens d'irrecevabilité, à savoir la forclusion de la demande fondée sur des vices cachés véniels.

La 2e Chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles, saisie de cette affaire, rend un arrêt le 14 janvier 2009 par lequel elle constate que les copropriétaires demandeurs originaires reconnaissent que la responsabilité décennale n'est pas concernée par les vices relevés et que seul subsiste le fondement de l'action sur la base des vices cachés véniels.

En effet, si les copropriétaires au départ vantaient une série de vices pour lesquels ils mettaient en cause la responsabilité décennale des constructeurs, ils se sont rendu compte après la visite des lieux en présence du Juge et de l'expert, que ce fondement juridique devait être exclu ; ils ont alors modifié la base de leur demande en invoquant cette fois la responsabilité de l'architecte et de l'entrepreneur pour vices cachés.

La Cour considère que cette modification est admissible et ne constitue pas une demande nouvelle. La Cour s'interroge sur le caractère caché ou non des vices retenus (fissures de carrelages et de plinthes) et invite l'expert judiciaire à donner son avis à ce le sujet, de même qu'en ce qui concerne la question de savoir si la demande a été introduite dans le délai utile. Dès lors, la Cour renvoie la cause au premier Juge.

Le délai utile est une notion créée par la jurisprudence pour les vices qui affectent les constructions immobilières ; en s'inspirant du « bref délai » imposé par l'article 1648 du Code civil (qui prescrit que l'action résultant des vices rédhibitoires de vente doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite), la jurisprudence reconnaît que le maître de l'ouvrage doit dénoncer les vices mineurs cachés et agir en justice dans un délai rapproché par rapport à la date de découverte de ces vices ; c'est ce qu'on appelle le « délai utile ».

Enfin, la Cour rejette la thèse de l'architecte qui soutenait que le délai décennal était expiré le 27 octobre 2004 et que donc, les copropriétaires ne pouvaient plus invoquer la responsabilité des constructeurs pour vices cachés même si les copropriétaires ont agi la veille de l'expiration de ce délai.

Voici comment s'exprime la Cour :

« Le délai de 10 ans visé par les articles 1792 et 2270 du Code civil concerne la responsabilité définie de manière spécifique et limitative par ces dispositions et ne peut être considérée comme un délai général de forclusion qui mettrait fin de manière définitive à toute possibilité d'intenter la moindre action ou demande relative à la responsabilité des constructeurs, quelle qu'en soit le fondement.

Si les vices cachés se sont manifestés peut de temps avant l'expiration du délai décennal précité, le maître de l'ouvrage (ou ses acquéreurs) peu(ven)t intenter une action sur cette base, à condition de le faire dans un délai utile, dont le terme ne coïncide nullement avec celui du délai décennal et qu'il incombera au juge d'apprécier en fonction d'autres critères spécifiques. »

En conclusion, la Cour confirme cette situation, certes étonnante, qui permet au maître de l'ouvrage d'agir même 10 ans après la réception, pour vices véniels, pour autant qu'ils soient cachés et que l'action soit intentée rapidement dans le délai utile après leur découverte, alors que, pour les vices graves, il existe un délai de 10 ans qui est de forclusion, c'est-à-dire qui ne peut en aucun cas être dépassé conformément aux articles 1792 et 2270 du Code civil.

Cependant, contrairement à la responsabilité décennale, la responsabilité pour vices véniels n'est pas réglementée par le Code civil.
Les parties peuvent donc déroger à cette solution jurisprudentielle qu'applique cet arrêt du 14 janvier 2009 de la Cour d'Appel de Bruxelles.

On ne peut donc que conseiller aux architectes d'inclure dans leur contrat d'architecture la clause suivante :

« La responsabilité de l'architecte pour vices cachés véniels est limitée à une période d'un an à compter de la réception provisoire pour autant que le vice apparaisse durant ce délai et que l'action au fond soit intentée par le maître de l'ouvrage dans le même délai. Celui-ci est considéré comme prefix entraînant la forclusion ».

On notera que la décision commentée est publiée sur le site www.eJuris.be

Jean-Pierre VERGAUWE

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