Imaginez…
Votre entreprise est spécialisée dans la production de vélos électriques. Votre dernier produit, un nouveau modèle de vélo électrique pliable, connaît un énorme succès et accroit considérablement la notoriété de votre marque. Vu la forte demande des clients pour ce nouveau modèle, le nombre de commandes passées par vos distributeurs (des magasins spécialisés dans la vente d’articles de cyclisme) est en plein boum. Ce nouveau vélo électrique pliable est devenu un incontournable.
Afin de davantage dynamiser vos ventes et de diminuer vos coûts logistiques, vous décidez de revoir votre système de distribution. Votre objectif est de limiter le nombre de points de vente aux cinquante magasins spécialisés que vous considérez être les plus à même à mettre en avant vos produits, en raison de leur force de vente et de leurs derniers résultats. Vous cessez par conséquent d’approvisionner les autres magasins.
Se sentant lésé par cette démarche, un des magasins concernés, distributeur de longue date de vos vélos, vous reproche un abus et vous indique que vous pourrez être lourdement sanctionné pour cette pratique. Vous ne comprenez pas : même si vos ventes ont considérablement augmenté, en grande partie grâce à votre nouveau modèle électrique pliable, vous n’occupez aucunement une position dominante sur le marché.
Il est grand temps de consulter votre avocat…
Quelques précisions…
Au plus tard le 1er décembre 2020, l’article IV.2/1 du Code de droit économique entrera en vigueur. Cette disposition consacre l’interdiction des « abus de dépendance économique ». Oui, vous avez bien lu, il n’est pas question d’abus de position dominante mais bien d’abus de dépendance économique, une nouvelle forme d’abus dit « relatif » entre partenaires commerciaux.
Emboitant le pas à d’autres Etats membres de l’UE (notamment la France et l’Allemagne), le législateur belge a édicté une interdiction applicable aux entreprises en situation de puissance relative à l’égard d’une autre entreprise. Cette dernière se trouve de ce fait en « position de dépendance économique » à leur égard parce qu'il n'existe, par exemple, pas d'alternative équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables.
Toute entreprise qui se trouve en position de dépendance économique peut se prévaloir de la protection de l’article IV.2/1 du Code de droit économique. Cela vaut donc tant pour les fournisseurs que pour les acheteurs, quelle que soit leur taille.
Le fait qu’une entreprise soit en position de dépendance économique vis-à-vis d’un partenaire commercial n’est pas en soi répréhensible. Comme pour les entreprises en position dominante, c’est uniquement l’abus de la position de dépendance économique du partenaire commercial qui est illégal. En outre, l’abus doit être susceptible d’affecter la concurrence sur le marché belge concerné ou une partie substantielle de celui-ci.
La liste des pratiques qualifiées d’abusives en situation de dépendance économique reprend celles que la loi prévoit pour l’interdiction de l’abus de position dominante. S’y ajoutent le refus d’une vente, d’un achat ou d’autres conditions de transaction. Ainsi, constituent, entres autres, des pratiques abusives interdites : l’imposition arbitraire d’une augmentation excessive de prix, l’arrêt d’approvisionnement d’un produit incontournable pour un distributeur, ou encore la limitation de la production au préjudice des consommateurs.
Le distributeur lésé par la décision de votre entreprise de cesser brusquement de l’approvisionner en vélos électriques pourrait donc envisager de déposer une plainte auprès de l’Autorité Belge de la Concurrence pour dénoncer un abus de dépendance économique.
L’Autorité Belge de la Concurrence sera spécifiquement compétente pour détecter, poursuivre et sanctionner les infractions à cette nouvelle interdiction. Elle dispose à cet égard d’un pouvoir d’instruction étendu, et pourra imposer des amendes allant jusqu’à 2% du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. L’Autorité pourra également ordonner le paiement d’une astreinte à hauteur de 2% du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard tant que l’entreprise ne met pas fin à la pratique infractionnelle.
Par ailleurs, les cours et tribunaux belges demeurent compétents pour ordonner la cessation de l’abus et sont les seules instances compétentes pour accorder des dommages et intérêts à l’entreprise victime d’un abus de dépendance économique.
Concrètement :
- Tout fournisseur ou acheteur disposant d’une position de force vis-à-vis d’un partenaire commercial doit être vigilant compte tenu de cette nouvelle infraction. Dans le cadre de contrats de distribution, certains distributeurs pourraient être considérés comme étant dans une situation de dépendance économique à l’égard de leur fournisseur. C’est singulièrement le cas dans les relations de franchise, de sous-traitance et de concession exclusive.
- Il est question de dépendance économique en cas de « domination relative » d’une entreprise vis-à-vis d’une autre. Il n'est donc pas nécessaire qu'une entreprise ait une position dominante effective sur le marché concerné, ce qui n’est le cas que si l'entreprise détient une part de marché supérieure à 40%. L'interdiction s'applique indépendamment de la taille et de la part de marché des partenaires commerciaux, tant que l'abus est susceptible d’affecter la concurrence sur le marché belge ou une partie substantielle de celui-ci.
- Par conséquent, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- il faut une position de dépendance économique (celle-ci n’est pas interdite en soi) ;
- il doit y avoir un abus de celle-ci ; et
- l’abus doit être susceptible d’affecter la concurrence sur le marché belge ou une partie substantielle de celui-ci.
- L'Autorité Belge de la Concurrence assure le respect de cette interdiction et pourra infliger de lourdes amendes ainsi que des astreintes en cas de violation de celle-ci.
En savoir plus :
Vous pouvez consulter la loi du 4 avril 2019 via ce lien : https://www.abc-bma.be/sites/default/files/content/download/files/20190404_loi_wet.pdf ; et ses travaux préparatoires via ce lien : https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/1451/54K1451003.pdf.