La sortie progressive du confinement suppose une reprise du travail de plus en plus large, ce qui peut créer de l’inquiétude dans le chef des travailleurs. Sauf à invoquer un cas de force majeure (comme une situation de maladie ou le fait d’être immobilisé à l’étranger en raison de la fermeture des frontières), le travailleur doit exécuter son obligation de travailler, ce qui suppose (sauf l’hypothèse du télétravail) de se rendre dans l’entreprise ou sur ses chantiers. En principe, le travailleur ne peut refuser de se rendre sur le lieu du travail malgré ses inquiétudes légitimes pour sa santé et celle d’autrui. En allant au travail, il fait confiance à la politique de prévention des risques de son employeur.
La crise sanitaire du Covid-19 instaure dans le chef de l’employeur une responsabilité accrue en raison du risque de contagion élevé. Il incombe en effet à celui-ci de prendre les précautions nécessaires pour ne pas exposer ses travailleurs au risque d’atteinte à la santé. L’employeur peut imposer des règles à respecter au sein de l’entreprise au nom de la prévention des risques (distanciation physique, port de masques et autres équipements, désinfection des surfaces, etc.).
A supposer que les mesures nécessaires n‘étaient pas prises ou pas adéquates, l’employeur fait courir un danger grave et immédiat à ses travailleurs. Il ne fait nul doute que la circulation du coronavirus (Covid-19) constitue un danger grave (lorsqu’on connait les conséquences dommageables et mortelles) et immédiat (dès lors que la contagion est permise par les contacts sociaux multiples, lesquels sont inévitables).
En cas de défaut dans le chef de l’employeur, le travailleur pourrait invoquer la suspension momentanée de son obligation de travailler, ce qui est bien connu en France comme étant « le droit de retrait », de nombreux travailleurs l’ayant d’ailleurs invoqué depuis la crise du coronavirus.
Le droit français du travail prévoit expressément le droit de se retirer de son poste de travail :
« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.
Il peut se retirer d’une telle situation.
L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection » (L. 4131-1 du Code du travail).
Bien qu’il soit moins connu, le droit belge contient lui aussi un dispositif analogue dans le Code du bien-être au travail (cela s’explique en raison de la transposition d’une directive européenne datant de 1989 – 89/391/CEE – relative à la sécurité et à la santé au travail).
D’une part, l’article I.2.26 du Code stipule que :
« Un travailleur qui, en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées. Il en informe immédiatement le membre compétent de la ligne hiérarchique et le service interne ».
D’autre part, l’employeur est lui-même obligé de libérer ses travailleurs « en cas de danger grave et immédiat », leur enjoignant même de quitter « immédiatement le lieu du travail » (I.2.24). Il ne peut donc contraindre ses travailleurs à rester/revenir sur le lieu du travail en cas de danger jugé « grave et immédiat » « sauf exception dûment motivée » (cette exception demeure difficile à cerner en l’absence de toute jurisprudence).
Le travailleur qui use de cette faculté de retrait doit toujours informer (immédiatement) son supérieur hiérarchique et le service interne de prévention. Ceci rejoint l’article 6 al. 2.4° de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être au travail qui impose aux travailleurs de « signaler (…) toute situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé ainsi que toute défectuosité constatée dans les systèmes de protection ».
Le travailleur qui se retire momentanément de son travail, dans les conditions précitées, ne peut être sanctionné et ne peut subir une perte de salaire. En effet, le travailleur apte à travailler conserve en effet sa rémunération lorsqu’il « ne peut pour une cause indépendante de sa volonté, soit entamer le travail, alors qu’il s’était rendu normalement sur les lieux du travail, soit poursuivre le travail auquel il était occupé » (l’article 27,2° de la loi du 3 juillet 1978). On constatera qu’il n’est pas exigé ici la réunion des éléments constitutifs de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et le fait d’être indépendant de la volonté des parties) pour tirer profit du droit. Il suffit que le travailleur ne soit pas lui-même la cause du danger grave et imminent.
Il reste encore à tracer les contours de la notion de « danger grave et immédiat », non définie par la loi. Notons que le droit français a pris le terme « imminent » plutôt que « immédiat ». Chaque personne perçoit le danger d’une façon assez subjective. Bien que la notion belge du droit semble plus objective (« en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité ») que la version française (qui prend en compte un « motif raisonnable » pour le travailleur de croire qu’il existe un danger imminent), il nous parait justifié de tenir compte de la perception du danger (et non du seul danger en lui-même) tout en se référant au bon sens (ce qui relève justement du raisonnable).
Au final, l’employeur qui veille consciencieusement à prévenir les risques et à rassurer ses travailleurs (prenant aussi en compte les risques liés au stress causé par la situation), ce qui passe par une bonne communication, ne devrait pas se voir confronté au droit de retrait. Celui-ci n’a de sens que si l’employeur a été informé des carences et demeure tout de même passif alors que le danger est réel.