L’épidémie de Coronavirus se fait sentir dans plusieurs domaines du secteur entrepreneurial et exerce une pression sur la gestion des sociétés. Les administrateurs sont obligés de prendre en compte toute une série de considérations et de prendre certaines décisions. Alors que les actionnaires réunis en assemblée générale ne disposent que de pouvoirs spécifiques qui leur sont conférés en vertu de la loi ou des statuts, l’organe de gestion est compétent pour toutes les autres questions et les administrateurs forment ainsi le principal organe de décision de la société. En ces temps difficiles, ils ne peuvent pas compter sur le fait que le CEO ou la direction fera ce qui est nécessaire, mais ils devraient au contraire prendre de leur propre initiative certaines décisions et mesures essentielles. Nous décrivons ci-dessous certaines de leurs tâches dans le contexte actuel de crise.
1. Les risques
Les administrateurs doivent identifier les risques que la propagation de la maladie peut entrainer tant pour l’entreprise que pour ses stakeholders, afin qu’une gestion des risques puisse être mise en place. Cette gestion des risques est nécessaire pour l’élaboration de politiques de prévention et de sécurité adaptées, non seulement à l’égard des employés, des clients et des partenaires commerciaux mais aussi en raison de l’augmentation des cyberattaques et des actions opportunistes.
2. La communication
Il est important que les administrateurs fournissent à la direction, au personnel, aux actionnaires, aux clients, aux fournisseurs, aux instances officielles et aux autorités de contrôle des informations suffisantes concernant la crise, l’état de l’entreprise et les mesures prises. Comme mentionné ci-dessus, bien que l’assemblée générale ne dispose que des pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la loi, il est toutefois fortement recommandé d’impliquer les actionnaires et éventuellement les autres stakeholders dans l’élaboration de nouvelles stratégies et d’autres questions importantes.
3. La prise de décision
Comme il n’est généralement plus possible de réunir physiquement le conseil d’administration et les actionnaires, il est nécessaire de trouver des alternatives. Nous renvoyons à notre e-zine du 26 mars pour plus d’informations à ce sujet.
4. Stratégie d’entreprise et continuité
Les administrateurs doivent tenir compte d’éventuels changements dans la future stabilité financière, dans la disponibilité des ressources, dans les flux de trésorerie, dans la solvabilité et dans la continuité générale de l’entreprise. Le cas échéant, la stratégie à court et à long terme, la politique de financement et la politique de dividendes de la société devront être revues à la lumière d’une éventuelle réduction significative de l’activité commerciale, d’une éventuelle perte de financement et de perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. En outre, il est recommandé de mettre en suspens tout projet de rachat d'actions propres.
4.1 Contrats et transactions
L’actuelle crise du Coronavirus peut avoir un impact important sur les accords commerciaux et financiers existants, dont l’exécution peut être retardée, suspendue ou même résiliée unilatéralement, notamment s’il peut être fait appel aux clauses de force majeure. Outre les décisions relatives aux contrats en cours, il peut être nécessaire de reconsidérer ou de suspendre les opérations de fusion-acquisition prévues, de revoir les opportunités commerciales en raison du changement de circonstances et de prévoir des mécanismes et des clauses contractuelles pour couvrir les risques associés au COVID-19 dans les futurs documents commerciaux et transactionnels.
Ce sont toutes des questions que l’organe de gestion d’une société doit rigoureusement prendre en compte à court et long terme. Nous vous invitons à consulter nos précédentes e-zines du 2 mars et du 16 mars pour plus d’informations à propos de l’impact potentiel du COVID-19 sur les accords commerciaux et les transactions de fusion-acquisition.
4.2 Dividendes et tantièmes
Comme c’était le cas auparavant, le nouveau Code des sociétés et associations (CSA) prévoit que l’actif net ne peut descendre en dessous de certains seuils en raison de distributions faites aux actionnaires ou de tantièmes. La nouveauté est que le CSA impose aux administrateurs des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés coopératives la mise en place d’un test de liquidité: la décision de procéder à une distribution peut être mise en œuvre uniquement lorsque l’organe de gestion établit que la société continuera à être en mesure de s’acquitter de ses dettes, au fur et à mesure de leur échéance, pendant au moins les douze mois suivants.
En cas de méconnaissance de ces règles légales, les administrateurs risquent une responsabilité solidaire et même pénale pour tout dommage qui en découlerait, même s’ils se sont conformés à une décision de distribution de l’assemblée générale.
4.3 La continuité de l’entreprise
Il est crucial que les administrateurs réfléchissent à la future rentabilité, solvabilité et continuité de la société dans des périodes financièrement délicates comme celle-ci, en particulier si la société présentait déjà des difficultés financières avant l’apparition du COVID-19. Le CSA prévoit explicitement que les administrateurs ont l’obligation de délibérer sur les mesures à prendre pour garantir la continuité de l’activité économique pendant une période d’au moins de douze mois, si celle-ci est compromise par des faits importants et concordants.
4.4 Wrongful trading
Dans l’hypothèse où la situation financière de l’entreprise devait continuer à se détériorer, il est possible qu’elle soit confrontée à une procédure de réorganisation judiciaire ou de faillite. En cas de faillite, les administrateurs doivent garder à l’esprit les risques accrus qu’ils encourent en matière de responsabilité. En effet, en vertu du Code de droit économique, ils peuvent être tenus personnellement et même solidairement responsables pour actes de « wrongful trading » antérieurs à la faillite. Cette notion renvoie à la poursuite illicite des activités d’une entreprise alors que ses administrateurs ont ou devraient avoir connaissance de cet état et qu’ils ne se comportent dès lors pas en administrateurs normalement prudents et diligents. Leur responsabilité peut s’élever à toute ou partie des dettes de la société jusqu’à concurrence du montant déficitaire de la masse de la faillite.
Conclusion
L’épidémie de COVID-19 présente toutes sortes d’implications en matière de gouvernance des sociétés, allant des défis sur le plan de la communication, de la prise de décision interne et de la gestion des risques à une (re)considération nécessaire de la stratégie d’entreprise, de la continuité et de la politique de dividendes des sociétés. Les administrateurs doivent être conscients de ces implications afin de pouvoir y répondre de manière appropriée.