10/05/11

Anticiper et s’adapter ou comment rencontrer le « risque concurrence » au sein de l’entreprise ?

Bruxelles, Paris, Rome, Francfort, Varsovie et Barcelone. Il est 8h30 en cette froide matinée de février. Dans chacune de ces villes, cinq fonctionnaires de la DG Concurrence de la Commission européenne accompagnés de collègues des autorités nationales de la concurrence patientent discrètement devant l'entrée du siège, de la filiale ou de la succursale, selon l'endroit, de différentes entreprises actives dans le marché de l'agro-alimentaire. Ils attendent que, de son bureau bruxellois, le chef d'unité de la Commission donne le « top-départ » des opérations d'enquêtes qui vont se dérouler simultanément dans les différents sites visés.

Dès ce moment les équipes se déploient dans les différents sites. Ils présentent un mandat d'inspection qui leur ouvre grandes les portes de l'entreprise puisqu'il leur donne le droit de mener en son sein toutes les recherches nécessaires pour établir les infractions présumées au droit de la concurrence : fouille des bureaux, photocopie des agendas, filtrage des mails à l'aide de logiciels spécialisés, audition du personnel,.... Le « dawn raid » peut s'étaler sur plusieurs jours et sur plusieurs sites. La simultanéité est essentielle pour éviter, au sein d'un groupe de sociétés ou d'une entente entre entreprises, des destructions de pièces.

Les « perquisitions concurrence » se multiplient en Belgique et dans l'Union européenne.

Ce type d'opérations qui paraissent relever plus de la fiction policière que des législations relatives à la protection de la concurrence économiques se multiplient, tant sur le plan européen que national. Elles interviennent sur plainte ou sur dénonciation et concernent pour la plupart des ententes illégales entre concurrents.

L'article 101 §.1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit tous accords entre entreprises ou toutes pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre états membres, qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence. L'article 2 §.1 de la loi belge sur la protection de la concurrence économique comporte une règle similaire pour les accords dont les effets se limitent au territoire belge.

Le niveau de respect de conformité de l'entreprise au droit de la concurrence est souvent ignoré du management.

La sanction des infractions se traduit par l'imposition d'amendes d'extrêmement lourdes dont les montants sont fixés au départ de textes règlementaires. Elles peuvent atteindre 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises concernées, même si seule une entité du groupe est fautive. Les décisions récentes parlent d'elles-mêmes : 799 millions d'euros d'amende dans le secteur du fret aérien, 649 millions d'euros pour les fabricants de télévisions numériques et d'écrans plasma et, pas plus tard que la semaine dernière, 315 millions d'euros pour le marché de la lessive.

Pourtant, le management de l'entreprise ignore très souvent le niveau de respect de conformité de son entreprise aux règles de concurrence. Il importe donc d'anticiper l'éventuel comportement anticoncurrentiel et d'examiner, avec un professionnel, les risques encourus par l'entreprise. Des cabinets d'avocats spécialisés proposent à leurs clients des véritables audits de droit de la concurrence permettant de diagnostiquer l'environnement concurrentiel dans lequel évolue l'entreprise et d'examiner les pratiques de celle-ci au regard des exigences du droit de la concurrence.

Audit, compliance, formation

Bien plus que la taille de l'entreprise, c'est le marché en cause qui permettra de déterminer le degré d'exposition de l'entreprise à des pratiques anticoncurrentielles. Un audit bien mené doit aboutir à tracer un état des lieux identifiant les domaines d'infraction et les risques éventuels. Il débouchera sur un programme de compliance dont l'objectif sera de rendre conformes aux règles de concurrence les pratiques de l'entreprise et d'assurer une cessation complète des éventuelles infractions identifiées. Différentes procédures internes peuvent êtres mises au point qui passent par la désignation d'un compliance officer, la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle par lequel les employés pourront confidentiellement faire part de leurs réserves en la matière à la personne responsable.

Tout ceci implique une formation du management et du personnel aux impératifs du droit de la concurrence. Cette formation doit également passer par une sensibilisation à la conduite à adopter vis-à-vis des autorités européennes ou belge de la concurrence. Dans des entreprises à risque, une véritable procédure doit être mise sur pied pour préparer les perquisitions que nous évoquions, le cas échéant avec la collaboration d'un cabinet d'avocats spécialisés.

La clémence ; une arme redoutable à utiliser avec précautions.

Une fois identifiés les risques qui pèsent sur l'entreprise et arrêté un programme de compliance interne, se pose la question de la stratégie externe de l'entreprise. En fonction du risque qui pèse sur elle doit-elle s'engager dans une démarche de clémence ? Prévue en droit belge comme en droit européen, la clémence consiste à dénoncer à l'autorité de la concurrence les comportements infractionnels auxquels l'entreprise a participé en vue d'obtenir une immunité totale. Celle-ci n'est accordée que si l'entreprise concernée est la première a dénoncer l'entente. Sa coopération doit alors être totale. Toutes les preuves, tous les documents utiles doivent être remis aux autorités. Des clémences partielles peuvent également être accordées en fonction de moment de la dénonciation. Souvent considérée comme fort peu sympathique, la clémence peut toutefois éviter à une entreprise de considérables déboires. Véritable procédure de dénonciation, elle constitue aussi une arme redoutable qu'il conviendra de manier avec beaucoup de prudence. Elle peut en effet se retourner contre son initiateur dans l'hypothèse où les conditions ne sont pas remplies ou si la première dénonciation en amènent d'autres périphériques.

Paradoxalement, alors que le droit de la concurrence belge ou européen est devenu l'une des branches du droit les plus médiatisées : affaire Microsoft, téléphonie mobile, fret aérien ; alors que les perquisitions des autorités de la concurrence ou les décisions de la Commission et du Tribunal de l'Union européenne font l'objet de nombreux compte-rendu dans la presse, il reste encore peu connu de l'entreprise. Ce sont essentiellement les grandes entreprises et les filiales de multinationales américaines ou asiatiques qui disposent de programmes de compliance rodés. Le droit de la concurrence ne s'intéresse pourtant pas qu'à celles-ci. En fonction du marché en cause, des structures beaucoup moins importantes peuvent, sur le plan national voire européen, s'aventurer dans des ententes prohibées ou des pratiques anticoncurrentielles. Et dans ce domaine là, comme dans d'autres, la prévention est toujours moins coûteuse et moins et douloureuse que la répression.

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