Dans un arrêt du 23 mars 2010 (aff. C-236/08), la Cour de justice de l´Union européenne a répondu aux différentes questions préjudicielles posées par la Cour de cassation de France dans le cadre du contentieux relatif à l´outil de référencement payant « Adwords » exploité par Google.
Dans la mesure où elle nous semble présenter un certain intérêt pour la suite de l´analyse, nous reprenons la description que fait la Cour du service controversé de Google : « Ce service permet à tout opérateur économique, moyennant la sélection d´un ou de plusieurs mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou ces mots et celui ou ceux contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche, un lien promotionnel vers son site. Ce lien promotionnel apparaît dans la rubrique «liens commerciaux», qui est affichée soit en partie droite de l´écran, à droite des résultats naturels, soit en partie supérieure de l´écran, au-dessus desdits résultats » (point 23).
La Cour ajoute que la rémunération pour ce service est fonction du prix maximal par clic que l´annonceur est prêt à payer et que la position de l´annonce dépend de son prix lorsque plusieurs annonceurs achètent un même mot clé (plus l´annonceur augmente son prix, plus il sera en vue dans la liste des annonces publicitaires pour ce mot clé - point 26).
Y-a-t-il une atteinte à la marque ? Non, mais...
La Cour de cassation de France avait tout d´abord interrogé la Cour de justice concernant l´existence d´une possible atteinte aux droits du titulaire de marque du fait de la vente de mots clés correspondant à un terme enregistré comme marque.
La Cour de justice considère (points 56 à 58) que Google ne fait pas un usage du signe au titre de marque en commercialisant des mots clés y correspondant, car le signe n´est, dans ce cas, pas utilisé dans le cadre de la promotion des services de Google (mais seulement de ceux de l´annonceur qui a acheté le mot clé). Ce faisant, la Cour évacue le débat sur les autres conditions que doit remplir un usage de marque pour être interdit. Cette appréciation nous semble difficilement conciliable avec d´autres arrêts de la Cour, en particulier celui prononcé dans l´affaire Arsenal (C- 206/01).
A cet égard, il est en outre intéressant d´observer que la directive sur les marques permet aux Etats membres de conférer aux titulaires de marques le droit d´interdire tout usage de la marque « autrement que pour distinguer des produits ou services » (article 5, §5, de la directive 2008/95 sur les marques). Cette faculté n´a toutefois pas été exercée par le législateur français, ce qui explique que la Cour de justice n´a pas eu à se prononcer sur ce point. Signalons à ce propos que l´article 2.20.1.d de la Convention Benelux sur la propriété intellectuelle permet précisément au titulaire de marque de s´opposer à tout usage d´un signe « à des fins autres que celles de distinguer les produits ou services, lorsque l´usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice ». L´arrêt de la Cour de justice ne permet donc pas d´exclure une atteinte à la marquee fondée sur cette disposition Benelux, dans la mesure où son arrêt ne porte pas sur cette disposition de la directive précitée et vise seulement l´existence d´une possible atteinte à la marque du fait d´un usage du signe « en tant que marque » (pour désigner les produits ou services commercialisés par Google).
Par contre, la Cour de justice juge que l´annonceur fait bien un usage illicite de la marque (ce qui relève du domaine de l´évidence). La Cour consacre de longs développements à la situation de l´annonceur, bien que cela présente peu d´intérêt pratique (aucun annonceur n´est partie dans les litiges concernés). Parmi ces développements, on s´étonnera, par exemple, de lire que la Cour écarte l´atteinte à la fonction publicitaire de la marque sur la base de la consideration suivante : « (...) lorsque l´internaute introduit le nom d´une marque en tant que mot de recherche, le site d´accueil et promotionnel du titulaire de ladite marque va apparaître dans la liste des résultats naturels et cela, normalement, sur l´un des premiers rangs de cette liste. Cet affichage, qui est en outre gratuit, a pour conséquence que la visibilité pour l´internaute des produits ou services du titulaire de la marque est garantie, indépendamment de la question de savoir si ce titulaire réussit ou non à faire également afficher, sur l´un des premiers rangs, une annonce dans la rubrique «liens commerciaux» (point 97). La Cour néglige ainsi la circonstance que la valeur commerciale du signe peut se trouver affectée par la présence - dans les résultats de recherche - aux côtés du (des) site(s) officiel(s) et licite (s), de sites commercialisant des contrefaçons... Sans compter le fait qu´il est pour le moins indigeste pour le titulaire de marque de devoir tolérer cette cohabitation, de surcroît sans aucune certitude d´une position de référencement correcte dans les résultats naturels du moteur de recherche (en fonction des contenus et techniques de référencement utilisées par les autres sites, il n´est en effet pas impossible que ceux-ci surclassent le site officiel du titulaire de marquee dans les résultats naturels de Google).
Ecarter d´une manière générale toute atteinte à la fonction publicitaire sur cette seule base nous semble excessif.