Cette échelle à cinq lettres et cinq couleurs, déjà présente sur quantité de denrées alimentaires en grandes surfaces, est présentée comme un moyen pour le consommateur de connaître, sans devoir parcourir toute la déclaration nutritionnelle du produit, le « score nutritionnel » de ce dernier. Son utilisation vient d’être réglementée au travers d’un arrêté royal publié le 1er avril au Moniteur belge. Quelles sont les contraintes que doivent suivre les opérateurs de l’industrie agroalimentaire pour utiliser ce logo ? Quelles en sont les limites ? Cet arrêté résiste-t-il à la critique ?
Contexte législatif et réglementaire
Le Règlement (UE) n° 1169/2011 (Règlement INCO) concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires impose aux exploitants de denrées alimentaires l’apposition d’une série de mentions obligatoires afin de garantir un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs. L’objectif est ainsi de fournir à ceux-ci suffisamment d’informations pour prendre leur décision en connaissance de cause et utiliser la denrée alimentaire en toute sécurité.
Les articles 35 et 36 du Règlement offrent la possibilité aux Etats membres de recommander aux exploitants du secteur alimentaire d’apposer des formes d’expression et de présentation complémentaires à la déclaration nutritionnelle obligatoire. C’est dans ce cadre que l’Agence nationale de Santé Publique française a élaboré en 2016 une signalétique appelée « Nutri-Score », sous forme de logo. Ce logo est enregistré comme marque collective de l’Union européenne. Dans ce contexte, un règlement d’usage a été adopté, lequel règle les conditions d’usage du Nutri-Score, les personnes habilitées à l’exploiter, la charte graphique à respecter ainsi que les sanctions pouvant être infligées en cas de non-respect des dispositions de celui-ci.
Deux ans après la France, la Belgique a officiellement exprimé son souhait d'introduire l'échelle de valeur nutritionnelle Nutri-Score sur son territoire. Ce 1er avril 2019, l’arrêté royal relatif à l’utilisation du logo « Nutri-Score » a été publié au Moniteur belge. Celui-ci a pour objectif d’établir les règles relatives à l’utilisation du Nutri-Score en Belgique.
L’arrêté prévoit notamment des règles en matière d’emplacement du Nutri-Score sur l’emballage ainsi qu’en matière de calcul du score nutritionnel
Le fonctionnement du Nutri-Score
Le logo « Nutri-Score » a pour objectif d’aider le consommateur à prendre en compte la qualité nutritionnelle des produits qu’il achète grâce au classement de la denrée sur une échelle nutritionnelle à cinq niveaux : de A pour les aliments à privilégier, à E pour les aliments à limiter.
Celui-ci se présente comme suit :
- Le score nutritionnel de chaque aliment repose sur le calcul d’un score prenant en compte une série d’éléments pour :
- la composante dite « positive » laquelle est calculée en fonction de la teneur de l’aliment en énergie, fruits, légumes, fibres et protéines ; et
- la composante dite « négative » calculée sur des éléments tels que les graisses saturées, les sucres, le sodium dont il est recommandé de limiter la consommation.
Pour chaque aliment, une série de points sont attribués à chacune des composantes et la différence entre la note de composante négative et positive indique le score nutritionnel du produit, lequel correspond ensuite à l’une des cinq lettres de l’échelle Nutri-Score.
Les conditions à respecter et les démarches à entreprendre
Il est désormais imposé à tous les opérateurs qui souhaitent utiliser le Nutri-Score sur le marché belge de remplir deux obligations :
1) Obtenir la licence pour l’utilisation de la marque Nutri-Score auprès de l’Agence Nationale de Santé Publique française
En effet, le logo « Nutri-Score » étant une marque collective dont est titulaire l’Agence Nationale de Santé Publique française, il est nécessaire d’obtenir un droit d’utilisation de celle-ci, lequel est accordé par l’Agence à titre gratuit.
Pour obtenir cette licence, tout opérateur est tenu de notifier son intention à l’Agence en s’enregistrant sur le site :
https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/registration-for-brands-distributed-abroad-only : pour les marques commercialisées exclusivement hors du territoire français (ex : uniquement sur le marché belge) ;
https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/enregistrement_nutri-score : pour les marques commercialisées en France et dans d’autres pays de l’Union européenne.
Dans cette procédure d’enregistrement, plusieurs indications doivent être communiquées à l’Agence, parmi lesquelles :
- l’identification de l’opérateur et de son activité ;
- le détail par marque, du segment de produits concernés par l’usage du logo Nutri-Score ;
- les territoires sur lesquels les produits seront commercialisés ;
- l’engagement de l’opérateur à respecter le règlement d’usage.
2) Notifier au SPF Santé Publique la liste des produits commercialisés sur le marché belge portant le logo Nutri-Score
Ensuite, tout opérateur devra notifier son/ses produit(s) au SPF Santé Publique en utilisant un tableau réalisé par le SPF permettant le calcul du Nutri-Score. Il devra également communiquer un fichier de « déclaration des données nutritionnelles » qui reprendra pour chaque produit sa catégorie, ses valeurs nutritionnelles et son Nutri-Score.
Cette notification au SPF Santé Publique devra avoir lieu dans un délai d’un mois à compter de l’apparition du logo Nutri-Score sur le pack ou en e-commerce.
Les limites de l’outil
Dès son introduction en France, le Nutri-Score a donné lieu à certaines critiques. Nous en reprenons ci-dessous quelques-unes.
Plusieurs voix se sont ainsi élevées pour contester la conformité du mécanisme au regard du règlement INCO, et en particulier de l’exigence de caractère volontaire du Nutri Score. Ainsi, si certes l’utilisation du Nutri-Score est en règle volontaire, la pratique permet de se demander si ce caractère volontaire n’est pas purement théorique. Quelques éléments permettent de s’en rendre compte. Ainsi, outre le fait que cette forme d’expression est soutenue par les autorités, plusieurs grandes enseignes ont déjà adopté le Nutri-Score depuis plusieurs mois. Par ailleurs, l’arrêté royal exige que lorsque l’opérateur utilise le Nutri-Score pour une ou plusieurs de ses marques propres, cet engagement doive porter sur l’ensemble des denrées alimentaires qu’il met sur le marché belge sous la ou les marques concernées. Compte tenu de ces diverses exigences, on peut se demander si les opérateurs ne souhaitant pas utiliser le Nutri-Score ne risquent pas de se voir refuser l’accès aux grandes enseignes ou qu’à tout le moins, ces produits soient défavorisés par rapport à ceux reprenant un tel logo.
De même, la question se pose de savoir si un tel système ne porte pas atteinte au principe de libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne. En effet, la conformité éventuelle du système au regard du règlement INCO ne permet pas l’adoption, par un Etat membre, de restrictions quantitatives à l’importation et de mesures d’effet équivalent, en vertu de l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. Certes, de simples exigences relatives à des « modalités de vente » échappent en principe au champ d’application de l’article 34 mais dans ce cas, la réglementation reste susceptible de critiques si elle empêche ou rend plus difficile l’accès au marché à des produits étrangers qu’à des produits nationaux.
Par ailleurs, la question se pose également de savoir si la couleur verte, qui peut être attribuée à une denrée alimentaire en vertu du Nutri-Score, ne constitue pas une allégation nutritionnelle au sens du Règlement 1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, dans la mesure où une telle couleur confère au produit une composition nutritionnelle positive. En Allemagne, la question n’a pas manqué de faire déjà l’objet d’une procédure judiciaire. Dans une décision récente, le Landgericht de Hambourg vient ainsi de faire interdiction au fabricant de surgelés Iglo de faire usage du Nutri-Score pour ses produits.
Enfin, plusieurs critiques sont également émises à l’encontre de l’algorithme en tant que tel, à qui il est reproché de ne pas tenir compte des différents besoins nutritionnels des consommateurs. Ainsi, dans le calcul du score, ne sont pas pris en compte la présence d’additifs, d’allergènes, de présence de résidus de pesticides, d’arômes artificiels ou de contaminants. De même, il n’est pas tenu compte de la quantité de la portion ou du mode de préparation. Dès lors, des produits surgelés pourront aisément se voir attribuer une note favorable telle qu’un A ou un B, celle-ci ne tenant pas compte des matières grasses qui devront être ajoutées pour en assurer la cuisson (ex : graisse à frire). En outre, la teneur en énergie du produit n’est qu’un des sept facteurs pris en compte dans le calcul du score avec pour conséquence que cet élément important se fond dans l’évaluation globale du produit.
Quoi qu’il en soit, le sujet ne manquera certainement pas de susciter de nombreux débats, le cas échéant devant les tribunaux, dans les mois voire les années à venir.