L’appellation d’origine protégée (AOP) est une indication faisant référence à l’origine géographique d’un produit. La protection des AOP constitue un enjeu commercial important dans le domaine alimentaire. L’AOP véhicule notamment une « plus-value » attachée aux qualités spécifiques et constitue, pour le fabricant et le distributeur, un moyen de marketing puissant pour s’attacher une clientèle ou augmenter les ventes et les prix du produit concerné.
Fréquemment, des fabricants de produits transformés, non couverts par une AOP, tentent d’utiliser une telle dénomination et de profiter de sa renommée, au motif qu’un produit bénéficiant de cette dénomination entre dans la composition de leur produit transformé (p.ex. « salami au champagne », « pizza au roquefort », etc.).
La question se pose dès lors de savoir quelles sont les limites à l’utilisation d’une telle dénomination pour un produit qui, en tant que tel, n’en bénéficie pas. C’est à cette question que la Cour de Justice de l’Union européenne vient de répondre.
Contexte de l’affaire
En 2012, le groupe Aldi commercialisa sur le marché allemand un produit surgelé appelé « Champagner Sorbet » (« Sorbet au Champagne »), contenant parmi ses ingrédients 12% de champagne. Considérant que ce produit constituait une exploitation illicite de la réputation attachée à l’AOP « Champagne », le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC), organisme chargé de la défense de l’AOC, introduisit une action judiciaire devant le tribunaux allemands.
Dans un premier temps, il obtint du Tribunal régional de Munich I (Landgericht München) la condamnation du groupe Aldi à cesser l’usage cette dénomination. Cette décision fut cependant réformée en appel par le Tribunal régional supérieur de Munich (Oberlandgericht München). Le CIVC forma un recours en révision de cette décision devant la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof).
Saisie sur demande préjudicielle par le Bundesgerichtshof, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée le 20 décembre 2017 (C-393/16) sur le champ de protection des AOP, fixé par le Règlement n° 1308/2013, et les limites dans lesquelles une AOP peut être utilisée dans la dénomination d’une denrée alimentaire.
Réponses de la Cour
Dans un premier temps, la Cour confirme que l’utilisation d’une AOP telle que « Champagne » dans une partie de la dénomination de vente d’une denrée alimentaire qui ne répond pas au cahier des charges relatif à cette AOP, mais qui contient un ingrédient répondant audit cahier des charges – ici les 12% de champagne – rentre bien dans le champ d’application de l’article 103§2 du règlement n°1308/2013. En d’autres termes, l’utilisation d’une AOP dans de telles circonstances est susceptible de constituer une utilisation commerciale de celle-ci.
Cette utilisation commerciale est-elle pour autant illicite ? Pas automatiquement, décide à juste titre la Cour.
Elle s’appuie à cet égard sur les lignes directrices adoptées en 2010 par la Commission afin de guider les opérateurs concernant l’étiquetage des denrées alimentaires utilisant des AOP. La Cour confère ainsi, de manière indirecte, un certain caractère contraignant à ces lignes directrices, qu’elles complète utilement. Ces lignes directrices fixent trois conditions cumulatives pour pouvoir utiliser une AOP dans la dénomination de vente d’une denrée alimentaire :
1) La denrée alimentaire ne peut contenir d’autres ingrédients substituables totalement ou partiellement à l’ingrédient bénéficiant de l’AOP.
2) L’ingrédient doit être utilisé en quantité suffisante afin de conférer une caractéristique essentielle à la denrée. La notion de « quantité suffisante » n’est toutefois pas définie dans ces lignes directrices. Selon la Cour, un pourcentage minimal ne saurait être uniformément applicable à tous les ingrédients. Cette précision est bienvenue car dans la pratique, certains ingrédients présents en faibles quantités sont susceptibles de conférer un goût ou un arôme prononcé alors que d’autres, présent en quantités plus importantes, n’ont pas ce pouvoir.
La Cour précise aussi que la quantité de l’ingrédient couvert par l’AOP est un critère important, mais non suffisant. L’appréciation doit ainsi être aussi qualitative. Souvent, relève la Cour, la caractéristique essentielle d’une denrée alimentaire sera d’ailleurs l’arôme ou le goût apportés par l’ingrédient couvert par l’AOP.
Ceci étant dit, selon la Cour, si l’opérateur utilise l’ingrédient couvert par l’AOP dans la dénomination pour indiquer le goût de cette denrée, ce goût doit constituer la caractéristique essentielle de celle-ci.
Dans son arrêt, la Cour précise par ailleurs que si d’autres ingrédients déterminent davantage le goût de la denrée que l’ingrédient bénéficiant de l’AOP, l’utilisation de la dénomination de vente tirerait indument profit de la réputation de l’AOP.
3) Le pourcentage d’incorporation de l’ingrédient bénéficiant de l’AOP devrait enfin, idéalement, être indiqué à proximité immédiate de la dénomination de vente.
Les implications pour les acteurs de l’industrie alimentaire
L’arrêt de la Cour apporte assurément une précision bienvenue. L’utilisation d’un ingrédient couvert par une AOP dans la dénomination d’un produit n’est, comme l’arrêt le confirme, pas nécessairement illicite et iI reviendra aux producteurs, distributeurs et, en cas de conflit, aux juridictions nationales, d’apprécier si l’ingrédient confère une caractéristique essentielle au produit. Toutes les circonstances devront être prises en compte à cet égard, telles que la quantité de l’ingrédient, ainsi que l’arôme et le goût qu’ils confèrent au produit.