23/02/18

Open source vingt ans plus tard : dispute, dérives et perspectives

Du Free Software à l’Open Source

Open Source. Ces termes naissaient le 3 février 1998, il y a tout juste vingt ans, à Palo Alto, Californie. Souvent associés à ceux de « Free Software », leur naissance fait pourtant suite à un chiisme entre les partisans de la philosophie de Richard Stallman, avant tout guidé par des motifs fondés sur la liberté des utilisateurs des logiciels informatiques, et ceux ayant décidé de promouvoir les logiciels libres auprès des chefs d’entreprise, et donc davantage motivés par leur valeur utilitaire.

Pour rendre le concept de logiciel libre plus attractif aux yeux des acteurs économiques, dont les activités peuvent apparaitre en contradiction avec l’utilisation du mot « free », les créateurs de la notion d’Open Source ont occulté ce qui pouvait sembler (à tort) être une référence à la gratuité pour mettre en avant les aspects fonctionnels du free software. Il ne reste qu’à certains détails près, les logiciels libres et open source demeurent intrinsèquement liés, si ce n’est que l’idéologie sous-jacente se veut différente.

Une même recette…

Pour décrire ce qu’il entendait par logiciel libre, Stallman faisait de façon récurrente référence au partage d’une recette de cuisine, par exemple à celle d’un gâteau. Alors que la logique économique propre à notre société voudrait qu’un gâteau soit divisé en parts égales, chacune vendue à des clients sans qu’ils aient accès aux secrets du chef, Stallman proposait plutôt de leur en vendre la recette, pour qu’ils l’adaptent aux mieux à leurs goûts. Par après, chacun réalisant des ajouts d’ingrédients, la mutualisation de leurs différentes expériences leur permettrait, en se fondant sur les différentes recettes ainsi modifiées, d’aboutir à la confection d’un produit encore plus satisfaisant qu’à l’origine.

Adaptée aux logiciels, cette petite métaphore signifie simplement qu’au lieu de vendre des logiciels sous licence ne permettant que leur utilisation, l’évolution de la société doit reposer sur la liberté des utilisateurs, qui doivent dès lors avoir accès aux codes source de ces logiciels pour éventuellement les modifier et les adapter au mieux à leur besoin. Chacun apportant une valeur ajoutée au logiciel de base, le partage de leurs différentes connaissances permet ainsi une solidarité sociale renforcée afin de répondre au mieux aux problèmes sociétaux.

… fondée sur des principes différents

Alors que les logiciels dits propriétaires reposent sur une logique économique pour inciter à l’innovation, les partisans du logiciel libre proposent de se fonder davantage sur la mutualisation des savoirs pour arriver à un même but. Cet aspect doit être envisagé comme le principe fondateur des free softwares. Pour les défenseurs du logiciel libre, la liberté des utilisateurs est un impératif de premier plan. Quant aux adhérents de l’Open Source, leur fer de lance n’est plus la liberté des utilisateurs comme un but en soi, mais comme un moyen présentant une utilité économique au sein de la chaine de développement.

En tout état de causes, ces deux notions parfois présentées comme sœurs ennemies se ressemblent fortement, puisque si un logiciel répond aux dix critères dégagés par l’Open Source Initiative lui permettant d’être qualifié d’open source, il pourra aussi être considéré comme un logiciel libre, dans la mesure où ces critères englobent les quatre libertés caractérisant ces derniers. Parmi ces critères, retenons à titre principal que les logiciels open source doivent pouvoir être librement redistribués, l’utilisateur doit pouvoir accéder à leur code source pour, au besoin, le modifier, ces modifications et les œuvres dérivées du logiciel original doivent être autorisées et aucune discrimination quant au domaine d’activité envisagé pour son utilisation ou aux personnes destinées à l’utiliser ne peut avoir lieu.

Le Faux Open Source et l’Open Source Hardware
Un concept détourné…

Au vu de leurs caractéristiques, les logiciels open source se révèlent particulièrement séduisant, tant pour les particuliers que pour les entreprises, à tel point que l’utilisation des termes « Open Source » a parfois été détournée à des fins de marketing pour désigner des logiciels qui ne répondent plus aux dix critères antérieurement mis en place par l’Open Source Initiative à Palo Alto. Certains logiciels se prétendent dès lors open source, alors qu’ils ne laissent qu’un accès au code source sans possibilité de modification. D’autres ne peuvent être modifiés ou exécutés que par des entreprises certifiées, portant ainsi atteinte au principe de non-discrimination. Manquant son objectif de label, suite à ces dérives, certains logiciels ont donc été qualifiés ainsi en dépit des droits qu’ils n’accordaient pas aux utilisateurs, renforçant encore la volonté de la Free Software Fundation de ne pas y être assimilée.

…mais qui a aussi évolué

L’Open Source a aussi embrassé le monde analogique, et certains objets physiques se targuent aujourd’hui d’être des « open source hardware ». La notion d’Open Source peut sembler peu adaptée au matériel, la source se confondant avec le tangible, mais elle peut toutefois trouver à s’appliquer dans certains cas. Ainsi, on désigne par ces termes des objets physiques non-brevétisés, livrés avec l’ensemble de la documentation permettant de les modifier ou de les améliorer. Les domaines d’applications sont nombreux : aérospatial, transports, électronique,… et leur existence répond probablement à une logique de brevétisation qui couplée à une forte puissance de marché a parfois agit au détriment de l’innovation.

Parmi ces évolutions, l’Open Source Seeds Initiative est un exemple parlant. Dans un secteur dominé par six entreprises qui contrôlent à elles seules 60% du marché de la distribution de semences, les conditions de leur utilisation par les agriculteurs sont parfois trop strictes et nuisent à l’intérêt général : interdiction de réutiliser les graines issues des semis précédents, pas de possibilité de croisement, etc. Pour pallier à ce phénomène et rendre aux agriculteurs leur indépendance, l’OSSI propose de distribuer des semences libres de droit, pouvant être croisées avec d’autres espèces afin de favoriser la biodiversité, et chacune des espèces ainsi obtenue doit elle aussi être libre de droits à l’instar certaines licences open source disposant d’un effet dit «contaminant ». Ces développements prometteurs, en particuliers lorsqu’ils ont pour objets de compenser les pratiques du marché qui sans être illégales, aboutissent parfois à des situations aberrantes, rendent l’existence des open source licences particulièrement pertinentes, et donnent à la métaphore de Stallman tout son sens.

Notre conseil :

En vingt ans, l’évolution de la société a donné une place de plus en plus importante à ce type de licences. Développer un produit, qu’il soit question d’un hardware innovant ou d’un software, implique aujourd’hui nécessairement de se poser la question du type de licence qui le couvrira, question allant de pair avec celle du business model choisi.

Ces questions doivent être posées au regard du domaine d’activité et en fonction du produit développé envisagé. Cependant, s’il est certain que certains domaines se prêtent davantage au développement de software ou d’hardware open source, qu’une entreprise soit privée ou publique, ou même qu’il s’agisse d’une association sans but lucratif, l’Open Source est aujourd’hui un modèle qui doit être envisagé, et même si l’on veut l’éviter, une attention particulière doit lui être accordée.

L’utilisation de logiciels open source au sens des critères de l’OSI comme outils de travail peut être une solution afin de réduire les coûts de maintenance ou de support, ou afin d’optimiser la fonction du logiciel en l’adaptant pour qu’il corresponde au mieux aux buts envisagés. Cependant, comme dit précédemment, l’acquisition d’un logiciel open source requiert d’avoir certains égards à ce qui est réellement permis sous la licence achetée. Un logiciel peut en effet être qualifié d’open source sans répondre aux dix critères dégagés par l’OSI. On peut dans ce cas vous vendre une recette, sans pour autant vous permettre de la modifier.

Ensuite, au niveau du développement d’applications, si celles-ci incorporent un élément open source, il faudra s’assurer qu’il n’existe pas d’effet contaminant. Dans ce cas, le commanditaire de l’application pourrait être contraint de fournir un accès au code source de sa propre application, et de laisser les autres utilisateurs l’utiliser et la modifier librement. Pour ne pas voir des investissements parfois conséquents mis à mal, prévoir des clauses spécifiques dans le contrat de développement excluant l’utilisation de matériel open source sera plus que judicieux.
Si le but du contrat de développement est de créer une application open source, il est important afin d’en capter la valeur d’adopter un business model adéquat. Bien souvent, les entreprises offrant des logiciels open source sont actives sur plusieurs secteurs et offrent en parallèle d’autres services plus rémunératoires, comme une expertise concernant l’application en question, sous forme de consultance ou de support.

Pour d’autres secteurs où la recherche de bénéfices n’est pas le but premier, comme la recherche ou le monde associatif, l’Open Source, qu’il concerne un software ou un hardware peut être une solution particulièrement intéressante. A l’heure où les recherches publiques font souvent l’objet de sévères restrictions budgétaires, la mutualisation des résultats issus de ces recherches pourrait permettre de solutionner l’absence de financement. Pour le monde associatif, l’Open Source, plus qu’un moyen, deviendra souvent une fin en soi afin de propager au mieux un outil ou un service vers la collectivité.

Fort d’un concept novateur qui répond aujourd’hui à la volonté de mettre sur pied une société davantage participative, l’Open Source permet donc, soit en tant qu’outil, soit en tant que produit, et en tant qu’hardware comme en tant que software, d’optimiser le travail d’une entreprise, d’une association ou d’un centre de recherche en minimisant les besoins en main d’œuvre et en capitaux. Que l’on fasse partie d’une jeune start-up active dans le développement, d’une ASBL soucieuse d’améliorer les conditions de commercialisation des semences ou d’un département R&D réalisant des recherches sur des véhicules écologiques, la question de l’Open Source se posera donc nécessairement. Toutefois, avant d’emprunter cette voie, obtenir des conseils avisés afin d’en cerner toutes les implications est une étape qui se révèlera tout aussi nécessaire.

Victor Rouard

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