Imaginez…
Il y a plus de dix ans, votre entreprise était impliquée dans une entente illégale. Cette infraction a été dévoilée parce qu’un de vos concurrents vous avait dénoncé auprès de l’autorité de la concurrence. Après une enquête de 5 ans, vous vous êtes vu imposer une amende de plusieurs millions.
Vous avez à peine digéré cette catastrophe financière et les atteintes à votre réputation que vous recevez un appel téléphonique du département juridique de votre entreprise. Différents clients ont appris la nouvelle dans la presse et pensent avoir subi un préjudice en raison de cette entente illégale. Ils menacent à présent d’aller en justice et d’exiger des dommages et intérêts.
Vous sentez déjà les problèmes se profiler. L’amende de plusieurs millions n’était que le début. Maintenant, on parle de dommages et intérêts, qui plus est, réclamés par vos propres clients... Vous avez dit mauvais marketing ?
Quelques précisions.
Le 12 juin 2017, une loi ayant pour but de faciliter les actions en dommages et intérêts pour infractions aux dispositions du droit de la concurrence a été publiée au Moniteur Belge. Elle entre en vigueur dix jours après sa publication. Cette loi, annoncée de longue date, constitue la mesure de transposition en droit belge d’une importante directive européenne.
Les nouvelles règles ne se limitent donc pas à la Belgique. Dans tous les États membres européens, des régimes similaires entrent en vigueur en cette période. Ils peuvent légèrement différer les uns des autres, mais cela en revient toujours au même.
Les nouvelles règles du jeu doivent garantir que les victimes d’infractions aux dispositions du droit de la concurrence puissent dorénavant effectivement pouvoir être indemnisé du préjudice subi d’une façon (plus) efficace. Les victimes peuvent être des acheteurs ou des consommateurs qui ont payé un prix trop élevé ou un concurrent qui a été évincé du marché.
La combinaison de règles peu claires et la difficulté d’accéder aux preuves (qui sont souvent détenues par la partie adverse ou l’autorité de la concurrence) décourageait jusqu’il y a peu les victimes d’entreprendre ce type d’actions. Elles ont souvent été considérées comme exagérément difficiles et coûteuses. Pour une PME ou un consommateur moyen, c’était tout simplement trop compliqué. C’est pour remédier à ces difficultés que la nouvelle loi a été adoptée.
Concrètement.
Des procédures plus simples pour les victimes d’une infraction aux dispositions du droit de la concurrence
La loi belge introduit quelques présomptions importantes pour alléger la charge de preuve :
- Si l’infraction est constatée dans une décision définitive de l’Autorité belge de la Concurrence ou un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, celle-ci sera établie de manière irréfragable. Les décisions de la Commission européenne ont le même effet. Les victimes peuvent donc tout simplement faire référence à ces décisions pour prouver l’infraction.
- S’il s’agit d’une entente, il existe une présomption réfragable que l’infraction a provoqué un préjudice. Encore faut-il prouver l’étendue de celui-ci. Toutefois, l’existence même d’un préjudice est présumée.
- Si vous êtes un acheteur indirect (par ex. un client final) de produits/services qui ont fait l’objet de l’infraction, vous pouvez profiter d’une présomption (réfutable) que le surcoût a été répercuté à son encontre. Il suffit que vous puissiez prouver l’infraction, le surcoût pour l’acheteur direct (par ex. le distributeur qui vous a vendu) et l’achat des produits/services concernés auprès de l’acheteur direct.
Par ailleurs, l’accès aux preuves est facilité. Vous pouvez toutefois demander au juge d’ordonner à la partie adverse ou à un tiers (y compris la Commission européenne et les autorités nationales de la concurrence) d’accorder l’accès aux preuves pertinentes spécifiques dont ils disposent. En cas de non-respect d’une telle demande ou de la destruction de preuves pertinentes, la personne impliquée (ou son représentant) risque une amende pouvant aller de 1000 euros à 10 millions d'euros.
En tant que victime, vous pouvez dorénavant vous adresser à chaque auteur d’une infraction commune. Ainsi, chaque participant à cette entente sera responsable solidairement de l’ensemble du préjudice. La victime peut s’adresser au participant le plus aisé financièrement de l’entente, même si elle n’a rien acheté à cette entreprise. Deux exceptions à ce principe toutefois : les PME et l’auteur de l’infraction qui bénéficie d’une immunité complète d’amende en application du programme de clémence.
La loi élargit enfin le délai dans lequel vous devez, en tant que victime, introduire votre demande de dommages et intérêts. Normalement, le délai de prescription est de cinq ans après que vous ayez pris connaissance de l’infraction, du dommage et de l’identité du responsable de l’infraction. Ce délai est à présent suspendu durant l’enquête de l’autorité de la concurrence. De ce fait, votre demande ne peut jamais se prescrire avant que l’infraction ne soit constatée définitivement par cette autorité de la concurrence.
Pour les auteurs d'infraction, quelques trucs sont aussi bon à savoir !
La loi souhaite éviter qu’une entreprise ne soit dissuadée de collaborer à une enquête d’une autorité de la concurrence par crainte d’actions en dommages et intérêts. La loi prévoit que les preuves qui se trouvent dans le dossier d’une autorité de la concurrence sont protégées temporairement jusqu’à ce que l’autorité de la concurrence ait terminé sa procédure. Les déclarations de clémence et les propositions de transaction bénéficient même d’une protection absolue.
En tant que personne ayant commis une infraction, vous avez dorénavant tout intérêt à parvenir à un arrangement à l’amiable avec les victimes. La loi prévoit en effet que l’Autorité belge de la Concurrence peut en tenir compte en tant que circonstance atténuante lors de la détermination de l’amende. Pour obtenir réparation du préjudice non-encore compensé, les victimes peuvent par la suite uniquement s’adresser aux autres auteurs d’infraction. Si l’action en justice a déjà été initiée, le juge peut suspendre la procédure pour deux ans maximum lorsque les parties tentent de trouver un arrangement à l’amiable.
Les victimes sont également encouragées à collaborer à un règlement consensuel des litiges, dans la mesure où le délai de prescription pour initier une action en dommages et intérêts est suspendu pendant cette période.
Champ d'application
Les victimes peuvent s’adresser aux tribunaux belges pour les actions en dommages et intérêts contre des auteurs d’infraction belges ou lorsque l’infraction a eu lieu sur le marché belge, ou encore lorsque ce forum a été convenu avec la partie adverse. La loi belge est dès lors applicable lorsque le marché belge a été ou aurait pu être influencé par l’infraction.