Par son arrêt du 17 mai 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a confirmé l’illégalité de la « Fairness Tax » au regard de la Directive Mère-Fille et renvoie à la Cour Constitutionnelle la question de sa conformité avec la liberté d’établissement.
Faisant suite aux questions préjudicielles posées en 2015 par la Cour Constitutionnelle, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») a prononcé, ce 17 mai 2017, une décision importante relative à la « Fairness tax ».
Contexte
Pour rappel, la « Fairness tax » est une cotisation distincte (impôt minimum) qui frappe les sociétés belges (non-PME) et les établissements stables belges de sociétés non résidentes, lorsque durant une même période imposable :
- La société concernée distribue des dividendes (la « Fairness tax » ne s’applique cependant pas aux boni de liquidation ni aux boni de rachat d’actions propres) ; et
- Son résultat imposable en Belgique est diminué par :
- la déduction pour capital à risque (ou intérêts notionnels) ; et/ou
- les pertes fiscales (qui peuvent être reportées de façon illimitées sur les périodes d’imposition ultérieures).
En d’autres termes, cette mesure poursuit l’objectif de soumettre à un impôt minimum une société qui distribuerait des bénéfices alors que ceux-ci n’ont pas été effectivement imposés en Belgique en raison des deux déductions précitées.
Le montant imposable repose sur le montant des dividendes distribués qui dépassent le résultat imposable de la société, ce montant étant multiplié par un facteur de proportionnalité qui permet de déterminer dans quelle mesure le résultat fiscal de la société a été réduit par les deux déductions précitées.
Le taux de la « Fairness tax » est fixé à 5,15 %.
La Cour Constitutionnelle a été saisie de plusieurs questions que semble poser cette disposition, notamment au regard :
- de sa conformité au principe d’égalité et de non-discrimination : différence de traitement suivant qu’une société ait ou non accumulé des pertes fiscales et/ou qu’elle soit en mesure ou non d’utiliser ses intérêts notionnels ;
- de sa conformité aux conventions fiscales et au droit de l’Union européenne, et plus précisément avec la liberté d’établissement et la Directive Mère-Fille.
Portée de l’arrêt de la CJUE
Liberté d’établissement
Une société non résidente disposant d’un établissement stable en Belgique n’est en principe imposable en Belgique que sur les revenus produits ou recueillis par l’intermédiaire de cet établissement (revenus d’origine belge).
Se référant à la situation dans laquelle une telle société non résidente ne distribuerait, sous forme de dividendes, que des bénéfices d’origine non belge (et donc, en principe, exonérés par convention), la CJUE se demande si la société non résidente pourrait néamoins être frappée par la « Fairness tax ».
Selon la CJUE, il revient à la Cour consitutionnelle d’interpréter le droit national et d’examiner si une telle situation peut se présenter. Dans l'affirmative, il se pourrait que l’application de la « Fairness tax » constitue une entrave injustifiée à la liberté d’établissement.
Directive Mère-Fille
La CJUE rappelle que la Directive Mère-Fillle vise à éviter que les bénéfices distribués à une société mère résidente par une filiale non résidente soient imposés, dans un premier temps, dans le chef de la filiale dans son État de résidence et, dans un second temps, dans celui de la société mère dans son État de résidence.
Ainsi, la Directive Mère-Fille assure, sous certaines conditions, la neutralité fiscale des distributions des bénéfices (déjà taxés), sous forme de dividendes, par une société filiale vers sa société mère.
Ce principe est transposé en droit belge sous le régime des « revenus définitivement taxés » (« RDT »). Ce régime consiste à permettre, sous certaines conditions, l’exonération en Belgique du dividende perçu à concurrence de 95 %, le dividende n’étant alors imposé qu’à concurrence de 1,7 % (soit 5 % * 33,99 %).
Le régime des RDT n’est toutefois applicable que si les dividendes émanent d’une société soumise à un régime fiscal normal et que :
- la société belge détient dans le capital de la société distributrice une participation de 10 % au moins ou dont la valeur d’investissement atteint au moins 2.500.000 EUR ; et
- les titres concernés sont ou ont été détenus en pleine propriété par la société belge pendant une période ininterrompue d’au moins un an.
Selon la CJUE, ce principe de neutralité fiscale doit pouvoir également s’appliquer pour les chaînes de participations, de manière à éviter une double (ou multiple) imposition lorsqu’il y a distribution de dividendes à la société mère au travers d’une chaîne de sociétés filiales.
Or, lorsqu’une société résidente perçoit des dividendes d’une filiale, ceux-ci sont pris en compte pour le calcul de la « Fairness tax » en cas de redistribution de ces dividendes par la société résidente à sa propre société mère. La « Fairness tax » ne tient en effet pas compte de l’origine des bénéfices réalisés par la société résidente, et qui sont redistribués sous forme de dividendes à sa propre société mère.
Par conséquent, la CJUE confirme que la Directive Mère-Fille s’oppose au prélèvement d’un impôt (la « Fairness tax » en l’espèce), si ce prélèvement a pour conséquence de soumettre une société à une charge fiscale qui dépasse le seuil de 5 % prévu par la Directive, lorsque cette société redistribue à sa société mère (dans le champ d’application de la Directive), des dividendes qu’elle a elle-même perçus antérieurement.
La CJUE confirme ainsi l’illégalité de la « Fairness tax » au regard de la Directive Mère-Fille dans la situation prédécrite.
Conclusions
Compte tenu de sa portée relativement limitée, l’arrêt de la CJUE ne signe pas la fin de la « Fairness tax ».
Il reste à attendre la décision qui sera rendue par la Cour constitutionnelle qui devra également se positionner sur les autres questions soulevées, et portant sur la conformité de la « Fairness tax » au principe d’égalité et de non-discrimination garanti par la Constitution.
Dans l’intervalle, les contribuables ayant été frappés par cette cotisation dans les circonstances visées par la CJUE sont invités à analyser l’opportunité d’introduire un recours fiscal pour en réclamer le remboursement.
Olivier Querinjean, Partner, olivier.querinjean@cms-db.com
Yannick Woltèche, Junior Associate, yannick.wolteche@cms-db.com