Quand le résident d’un pays travaille (aussi) dans un autre pays, se pose la question suivante : dans quel pays sa rémunération est-elle imposable ?
Le traité de double imposition entre l’État de résidence et l’État du travail (article 15), attribuera le pouvoir d'imposition à l’État de résidence ou à l’État du travail.
Dans la pratique, la règle générale veut que l’État du travail (le pays dans lequel le travailleur exerce ses activités) puisse percevoir un impôt sur la rémunération.
Il existe toutefois une exception importante : l’État de résidence (le pays dont le travailleur est un résident fiscal) a le pouvoir d’imposition si trois conditions cumulatives sont remplies :
1. Le travailleur séjourne, lors d’une période de 12 mois ou lors d’une année civile, moins de 183 jours dans l’État du travail ; et
2. La rémunération n’est pas payée par ou au nom de l’employeur dans l’État du travail ; et
3. La rémunération n’est pas à la charge d’un établissement fixe de l’employeur dans l’État du travail.
En ce qui concerne la condition des 183 jours, il importe de compter correctement les 183 jours.
Le fisc belge déclare, dans une circulaire de 2005, qu’il faut tenir compte du nombre de jours de présence physique du travailleur dans l’État de travail et que sont pris en considération pour ce calcul tant les jours durant lesquels le travailleur exerce sa profession que les jours purement privés.
Il faut donc notamment tenir compte des jours de week-end et des jours de congé dans l’État du travail.
Cette position du fisc belge s’inscrit dans la lignée de la vision internationale qui prévaut.
Le Tribunal de la ville néerlandaise de Bois-le-Duc a toutefois rendu une décision totalement à l’opposé : les jours qu’un travailleur passe dans l’État du travail à des fins privées ne comptent pas dans le calcul des 183 jours (31 mai 2016, 15/00490).
À première vue, cet arrêt semble tout à fait singulier et incompatible avec la position du fisc belge. Toutefois, si l’on considère les faits spécifiques de l’affaire, la position du tribunal néerlandais ne semble pas encore trop déconnectée de la réalité.
Une personne habitant en Belgique, travaillait aux Pays-Bas. Elle habitait à une proximité telle de la frontière néerlandaise qu’elle effectuait tous les jours la navette entre son domicile et son lieu de travail. Elle ne disposait donc pas aux Pays-Bas d’un appartement ou autre pied-à-terre (par exemple une chambre d’hôtel).
Ce Belge avait passé, pour son travail, moins de 183 jours (durant une période de 12 mois) aux Pays-Bas. Certains jours, il a également séjourné aux Pays-Bas à des fins privées. Le nombre total de jours passés aux Pays-Bas à des fins professionnelles et privées a dépassé les 183 jours. Le Tribunal a estimé qu’il est déraisonnable, dans cette situation, de tenir compte des jours revêtant un caractère purement privé.
Nous suivons en partie le Tribunal en la matière : il est en effet quelque peu étrange, pour un « navetteur » de tenir compte, dans le calcul des 183 jours, des jours sans rapport avec le travail. En effet, un travailleur peut, de cette manière, faire du « planning » fiscal dans son temps privé : en passant, par exemple, ses congés dans l’État du travail (Pays-Bas) plutôt que dans un autre pays (comme la douce France), son revenu professionnel serait tout à coup imposable dans l’État du travail. Les jours de congé porteraient, par exemple, le nombre de jours au-delà de 183.
On ne peut toutefois pas ignorer que cette vision est totalement à l’opposé de la position du fisc belge (circulaire 2005).
Ensuite, la limite entre temps professionnel et temps privé peut être très mince pour certains travailleurs. Quand un travailleur (navetteur), par exemple, invite une importante relation d’affaires pour quelques jours pendant ses congés dans l’État du travail, il est acquis, à notre sens, que ces jours peuvent être pris en considération pour le calcul des 183 jours.
Par ailleurs, il convient de se demander s’il n’est pas discriminatoire de faire une distinction entre travailleurs actifs internationalement qui font la navette et d’autres travailleurs qui séjournent temporairement ou ont un pied-à-terre dans l’État du travail.
La conclusion est quoi qu’il en soit que dans le cas d’un emploi international, on ne peut pas faire preuve de trop de flexibilité avec le comptage des jours et qu’il faut donc analyser les jours passés dans l’État du travail qui peuvent ou non être pris en considération. En procédant de la sorte, tant l’employeur que le travailleur éviteront des surprises (désagréables). Ou encore, ils pourront peut-être réduire la facture fiscale.
Il apparaît que le dernier mot n’a pas encore été dit, comme le montre le fait que le fisc néerlandais se soit pourvu en cassation contre l’arrêt du Tribunal de Bois-le-Duc.
Affaire à suivre donc…
Koen Van Duyse - Partner (koen.vanduyse@tiberghien.com)
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