20/03/17

TVA et groupements – impact de la modification des règles pour les associations de frais

Il existe une multitude de formes de collaboration dans lesquelles des entreprises, des indépendants et des professions libérales groupent leurs activités. Ces collaborations peuvent prendre la forme d’associations de frais dans lesquelles les coûts communs sont groupés et partagés, en passant par la création d’une plateforme fournissant des services assistés communs au groupe, et jusqu’à une véritable joint-venture regroupant toutes les activités communes.  En ce qui concerne les activités satisfaisant à l’exemption de la TVA, comme par exemple dans le secteur des services médicaux, du non marchand, de l’immobilier, des services financiers, etc, de telles collaborations peuvent donner lieu à des problèmes en matière de TVA, notamment lorsque le groupement devrait donner lieu à l’imputation d’une TVA qui n’est pas déductible par les membres. Dans le cadre de la modification des règles relatives aux associations de frais, cette problématique a suscité une inévitable agitation. Le bulletin d’information ci-dessous souhaite apporter un certain nombre de précisions concernant cette discussion.

Prenons l’exemple de médecins regroupant leurs activités au sein d’une association de médecins. Dans la pratique, cette association peut être une société de médecins existante ayant un cabinet médical individuel que d’autres médecins sont autorisés à utiliser. En échange de l’utilisation des installations existantes (personnel, matériel médical, bâtiment, …), il est convenu de retenir une certaine indemnité sur les honoraires perçus.

En règle générale, aucune TVA n’est acquittée sur les éventuels « consommables ». Dans le passé, il n’y a jamais eu, à notre connaissance, de grande discussion en matière de TVA concernant ces structures.

À la lumière de la modification des règles en matière de TVA et d’associations de frais, et notamment après la publication de la circulaire n° 31/2016 du 12 décembre 2016, il règne désormais une grande inquiétude au sein des groupes professionnels médicaux et paramédicaux où l’on affirme qu’en raison de la modification de ces règles, de nombreuses structures ne peuvent plus fonctionner en matière de TVA.

Pour clarifier les choses, l’exemption de la TVA pour les associations de frais est un règlement spécial permettant, entre entités ayant peu ou pas d’activités assujetties à la TVA, de partager leurs frais en bénéficiant de l’exemption de la TVA. Ce genre d’association de frais peut être mis sur pied par le biais d’une personne morale distincte ou d’un groupement sans personnalité juridique. Dans le passé, il existait une forme assez souple de partage de frais, à savoir une indivision en tant que groupement autonome où, à condition de satisfaire aux conditions requises, une convention de collaboration pouvait suffire pour pouvoir partager les frais avec exemption de la TVA (ancien article 44, § 2, 1bis du Code de la TVA, ancien A.R. no 43, ancienne circulaire no 3 du 9 mai 1996).

Depuis le 1er juillet 2016, l’ancienne disposition d’exemption a été remplacée par le nouvel art. 44, § 2 bis du Code de la TVA. L’administration de la TVA a publié la tant attendue circulaire à ce sujet à la fin décembre (cf. supra). Cette nouvelle explication fait l’objet d’un commentaire détaillé dans notre précédent flash info. En résumé, suite à la modification des dispositions, l’exemption pour association de frais est assouplie sur certains points, comme notamment en ce qui concerne les groupements et/ou membres qui ont en partie des activités assujetties à la TVA.

Par ailleurs, les nouvelles règles requièrent clairement une adaptation des anciennes structures mises sur pied en tant qu’indivision. Les dispositions légales modifiées prévoient en outre une obligation de déclaration pour les associations de frais, qu’elles soient nouvelles ou existantes. Pour les associations de frais existantes, cette déclaration devait en principe déjà avoir eu lieu avant le 1er août 2016. Vu les nombreuses incertitudes, l’administration de la TVA a toutefois accordé un report aux termes duquel (i) les associations de frais existantes pouvaient encore appliquer les anciennes dispositions légales jusqu’au 31 décembre 2016 et (ii) la date ultime pour la déclaration de l’association de frais avait été reportée au 31 janvier 2017.

L‘agitation évoquée ci-dessus a peut-être poussé l’administration à décider de reporter à nouveau la date ultime pour la déclaration des associations de frais existantes jusqu’au 31 mars 2017.

À notre avis, cette problématique requiert qu’une précision soit apportée. Il convient tout d’abord de se demander si tous les groupements pour lesquels une exemption de la TVA est appliquée actuellement doivent effectivement être déclarés en vertu de l’obligation précitée. Cette déclaration vaut, à notre avis, uniquement pour les véritables associations de frais. Nous attirons l’attention sur le fait que de nombreux groupements du secteur médical et paramédical ne sont pas structurés comme une association de frais (groupement autonome), notamment parce qu’il n’y a pas de compensation commune au « prix coûtant ». En outre, dans de nombreux cas, aucune convention claire relative au partage des frais n’a été établie pour de tels groupements.

Plus fondamentalement, il convient de se demander si outre l’application éventuelle de l’exemption pour les associations de frais, il n’existe pas d’autres possibilités de faire bénéficier les compensations au sein de groupements existants de l’exemption de la TVA ou de les exclure du champ d’application de la TVA. Nous attirons notamment l’attention sur les scénarios suivants :

- Le groupement peut être constitué en tant que structure commissionnaire. Dans l’exemple précité, le médecin individuel réaliserait des prestations « assujetties à la TVA » pour l’association, cette dernière la déclarant pour le patient en son nom propre, mais pour le compte du médecin individuel. Sur la base de l’article 13, § 2 et 20 du Code de la TVA, l’association est censée dans ce cas réaliser les mêmes prestations que le médecin individuel et l’exemption pourrait en principe être également d’application.
Attention, l’application de l’exemption de la TVA pour les médecins requiert en principe que la prestation soit effectivement réalisée par un médecin ou une société de médecins. Il convient de se demander si cette interprétation n’est pas trop restrictive. Ainsi, en ce qui concerne les laboratoires, l’application de l’exemption médicale est déjà acceptée, quelle que soit la forme juridique, à condition que les prestations soient réalisées sous la responsabilité et le contrôle de médecins, pharmaciens ou licenciés habilités à cet effet (voir Manuel TVA no 315). S’il est manifeste que les prestations au sein d’une association de médecins sont réalisées sous le contrôle de médecins individuels, il ne devrait pas y avoir à notre avis beaucoup de discussion sur ce point.

- En ce qui concerne spécifiquement les dentistes, le fait que l’exemption de la TVA s’applique indépendamment de la manière dont le dentiste organise son activité professionnelle a déjà été accepté dans la circulaire no 72/057 du 2 juin 1972. Il y est explicitement accepté que les cabinets dentaires, quelle que soit la personne qui les exploite, bénéficient de l'exemption de la TVA pour autant que les soins dentaires soient fournis sous la responsabilité d’un praticien habilité à exercer cet art et sans qu’il y ait lieu de distinguer selon le contrat liant le praticien responsable à l'exploitant du cabinet dentaire. Cette circulaire autorise, à notre avis, d’exempter de TVA toutes les formes de collaboration entre dentistes, tant au niveau du rapport avec les patients que du rapport mutuel avec les dentistes.

- Si la coopération consiste uniquement en une association de frais n’ayant pas de nom propre, le groupement ne doit pas s’enregistrer à la TVA. Le cas échéant, chaque membre du groupement est censé avoir supporté lui-même les frais. Dans ce cas, l’association de frais n’est pas concernée par l’assujettissement à la TVA (voir notamment circulaire no 47/2013 du 20 novembre 2013 en matière d’avocats).

- La jurisprudence européenne a précisé que les prestations auxiliaires peuvent être exemptées de la TVA si (i) les prestations sont réalisées entre entités exemptées, si (ii) les prestations sont de nature ou de qualité telle que sans ce service, il ne serait pas possible d’assurer l’équivalence de prestations exemptées des entités mutuelles et si (iii) les prestations ne visent pas essentiellement à acquérir des revenus supplémentaires par la réalisation d’une opération exécutée en concurrence directe avec des entreprises commerciales (HvJ dans Horizon Collega, 14 juin 2007, C-434/05 ; HvJ dans Commissie v. Nederland, 25 mars 2010, C-79/09). Ces principes pourraient également être transposés mutatis mutandis aux groupements qui se limitent à réaliser les services auxiliaires nécessaires à la fourniture de services médicaux exemptés de la TVA. Le principe précité a notamment déjà été accepté par l’administration dans le cadre de collaboration entre hôpitaux et établissements de soins (circulaire no 36/2012 du 27 novembre 2012).

- En ce qui concerne la répercussion des frais de personnel, il est possible d’invoquer l’exemption de TVA pour services médicaux pour du personnel médical ou soignant (voir notamment décision ET.8412 du 8 novembre 1971). Pour ce qui est de la compensation mutuelle de frais de personnel, il existe également dans la pratique le cas de figure du co-emploi dans lequel le personnel travaille pour différents employeurs. Les compensations mutuelles dans le cadre d’un tel co-emploi ne relèvent pas, en principe, de l’assujettissement à la TVA (en tant qu’avances conformément à l’article 28, 5° du Code de la TVA).

Tout ceci montre que tout groupement requiert une analyse ad hoc en matière de TVA. Cette analyse est avant tout nécessaire avant de pouvoir déterminer si un groupement doit être déclaré ou non à l’administration de la TVA. À notre avis, une déclaration est requise si le groupement est structuré comme une association de frais (groupement autonome). Il convient de bien examiner, pour tous les autres groupements, si l’application de l’exemption de la TVA se justifie réellement.

Selon nos sources, les services centraux de la TVA et le cabinet du Ministre des Finances ont décidé d’examiner les différents groupements possibles en matière de professions médicales et paramédicales, dans le but de préciser, dans une décision ou une circulaire, le traitement réservé à chaque groupement pour ce qui est de la TVA. Pour l’heure, nous attendons de voir sur quoi cela débouchera concrètement. Il est possible que certaines structures doivent en effet être adaptées en matière de TVA.

L’équipe TVA du Bureau Tiberghien suit tout cela de près. Vu notre expertise dans cette problématique, nous nous ferons un plaisir d’analyser des dossiers individuels au niveau de la TVA afin de pouvoir adopter une position étayée face à l’administration de la TVA.

Stijn Vastmans - Partner (stijn.vastmans@tiberghien.com)

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