La délimitation du champ d’application entre l’impôt des sociétés et l’impôt des personnes morales pose problème depuis des années déjà. Cette critique porte avant tout sur son caractère « tout ou rien ».
Une personne morale dont le domicile fiscal est sis en Belgique est soit assujettie intégralement à l’impôt des sociétés, soit intégralement à l’impôt des personnes morales. Actuellement, une application mixte (simultanée) de l’impôt des personnes morales et de l’impôt des sociétés à une seule et même personne morale n’est pas possible. Cette situation peut s’avérer problématique, en particulier pour les associations sans but lucratif. L’assujettissement intégral d’une asbl à l’impôt des sociétés parce qu’elle exerce une activité principale menée selon qui met en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales implique en effet que les recettes tirées par l’asbl des cotisations de ses membres, dons, subsides et sponsoring sont également assujetties à l’impôt des sociétés.
La délimitation de l’impôt des sociétés et de l’impôt des personnes morales s’est récemment révélée problématique pour d’autres raisons encore. On s’est ainsi demandé si les critères de cette délimitation résisteraient à l’épreuve du principe (constitutionnel) d’égalité de traitement et s’ils sont compatibles avec les règles de droit européen en matière d’aides d’État. Ces deux questions portent essentiellement sur certaines formes d’interventions économiques des autorités, qui peuvent être automatiquement soustraites à l’impôt des sociétés et peuvent de ce fait bénéficier de l’impôt des personnes morales (généralement plus avantageux). Ainsi, l’art. 180 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) exclut notamment un certain nombre de personnes morales du champ d’application de l’impôt des sociétés. C’est notamment le cas de certaines catégories d’intercommunales, d’organes constitués pour l’exploitation de ports en Belgique et de certaines sociétés de transport de droit public.
Entre-temps, la Commission européenne a estimé que ce régime d’exception pour les entreprises portuaires était une aide d’État illicite et elle a introduit la procédure contradictoire contre ce régime. D’après la Commission, les ports belges (tant les ports maritimes que les ports intérieurs) sont en concurrence avec d’autres acteurs économiques, à savoir avec d’autres ports situés dans d’autres États membres, et avec des acteurs privés dans le secteur de la logistique. En renforçant la position des ports dans les échanges internationaux, l’exclusion contestée de l’impôt des sociétés peut, selon la Commission, influencer défavorablement le commerce au sein de l’Union et fausser la concurrence.
L’assujettissement de principe (de la plupart) des intercommunales à l’impôt des sociétés qui a été instauré à la fin 2014 (et amendé en 2015) a également fait l’objet de procédures devant la Cour constitutionnelle entre-temps. Ainsi, la question fut posée à cette Cour de savoir si l’on ne créait pas de ce fait une distinction fiscale injustifiée entre d’une part, les activités économiques que les communes réalisent elles-mêmes et qui sont assujetties à l’impôt des personnes morales et, d’autre part, les activités économiques (éventuellement identiques) qui sont réalisées par une intercommunale assujettie à l’impôt des sociétés.
Dans son arrêt du 1er décembre 2016, la Cour constitutionnelle a qualifié cette distinction de non-discriminatoire. L’exclusion de l’impôt des sociétés des personnes morales citées dans l’article 180 du CIR 92, à l’instar des entreprises portuaires, ne pose pas davantage problème pour la Cour. La Cour constitutionnelle semble cautionner une position d’exception pour ces opérateurs économiques publics quand ils ne sont pas en concurrence avec des entreprises privées ou quand ils relèvent d’un intérêt public particulier.
On peut toutefois réellement se demander si cette position se justifie, à la lumière de la décision rendue par la Commission européenne à ce sujet dans le cadre des aides d’État.
Ce qui précède pose quoi qu’il en soit la question de la nécessité de revoir la règle du « tout ou rien » en matière de détermination du champ d’application de l’impôt des personnes morales et de l’impôt des sociétés et celle de savoir si le législateur ne doit pas envisager d’autoriser une application mixte, à une seule et même personne morale, de l’impôt des sociétés et de l’impôt des personnes morales en fonction de l’activité (économique) réellement exercée. L’inspiration de cette dernière piste de réflexion trouve sa source aux Pays-Bas et plus précisément dans la loi néerlandaise du 4 juin 2015 modifiant la loi sur l’impôt des sociétés 1969 et toutes les autres lois en rapport avec la modernisation de l’imposition à l’impôt des sociétés pour les entreprises publiques (en abrégé : Loi modernisation obligation IS entreprises publiques).
En résumé, cette réglementation veut qu’une personne morale de droit public soit assujettie à l’impôt des sociétés si et pour autant qu’elle dirige une entreprise, ce qui comprend aussi toute activité correspondant de l’apparence à cette définition, pour laquelle il y a concurrence avec un entrepreneur assujetti. Cette nouvelle réglementation néerlandaise a pour conséquence que, le cas échéant, l’État et les communes peuvent également être considérés comme assujettis à l’impôt des sociétés.
Quant à la Belgique, une révision comparable du champ d’application de l’impôt des sociétés pourrait permettre une coexistence des deux types d’impôts sur le revenu, sans que la personne morale (de droit public) concernée soit contrainte, en raison d’une distorsion de la concurrence ou d’une aide d’État illicite, d’isoler juridiquement, par des opérations d’autonomisation, les activités soumises à l’impôt des sociétés de celles soumises à l’impôt des personnes morales.
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