Vous trouverez ci-après le compte-rendu intégral des échanges de la table ronde du 8 novembre dernier, organisée par la Libre Belgique dans le cadre du Supplément juridique trimestriel, coordonné par www.lexgo.be.
Animée par Monsieur Philippe Lambrecht, administrateur-secrétaire général de la FEB, cette table ronde a réuni d'éminents avocats spécialistes en droit des sociétés : Maître Jacques Meunier (Nauta Dutilh), Maître Marc Dal (Dal & Veldekens), Maître Yves Brulard (DBB), Maître Jean-Pierre van Cutsem (van Cutsem, Wittamer, Marnef & Partners) et Maître Geoffroy de Foestraets (Koan).
Leurs échanges ont traité de thèmes aussi variés que le choix de la structure sociétaire, les différents organes de gestion, les délégations de pouvoirs, les conflits entre actionnaires, la médiation, la simplification du droit des sociétés ... autant de sujets passionnants que vous découvrirez à travers les lignes à suivre.
Vous en souhaitant bonne lecture
Laurence Durodez
0475.92.67.55.
Philippe Lambrecht
« Le droit des sociétés, un outil pour la relance ? ». Je propose de commencer par un premier tour de table, qui donnera à chacun l'occasion d'exposer sa vision sur ce point, et plus largement sur le droit des sociétés.
Jacques Meunier
Le droit des sociétés ou même la règlementation appliquée aux sociétés commerciales n'est pas fondamentalement, en soi, un outil pour la relance. Par contre, il contient un ensemble d'instruments permettant aux sociétés d'absorber les chocs, de rebondir suite à de mauvais coups, ou de saisir les opportunités. Un exemple : le capital autorisé des sociétés. Grandes sociétés cotées ou non, avec un actionnariat plus ou moins dispersé, si une magnifique opportunité se présente, le capital autorisé va lui permettre de la saisir. Autre exemple : les règles concernant les actionnaires minoritaires et la manière de les formaliser dans des conventions. Une société peut croître rapidement en faisant rentrer dans son capital un investisseur qui détiendra 10%,15% ou 20% du capital. Cet investisseur n'a pas beaucoup de droits au regard du droit des sociétés, mais, dans le cadre d'une convention avec les actionnaires existants, il peut s'octroyer des droits importants. Tout le monde est donc gagnant : l'investisseur a un droit de parole plus grand que celui autorisé par la loi et la société a l'occasion de lever des fonds et de poursuivre son développement.
Philippe Lambrecht
Le droit des sociétés est donc suffisamment flexible pour réagir aux besoins du monde de l'entreprise. Souhaitez-vous rebondir sur ce point, en faisant peut-être une distinction entre petite et grande société ?
Marc Dal
Le droit des sociétés constitue-il un remède à la crise ? Je ne le pense pas. Ce n'est qu'un accessoire. Par contre, et, je m'éloigne un peu du sujet de base : le droit des sociétés, tel qu'il existe aujourd'hui, s'il est bien utilisé, peut permettre de résoudre des crises, mais des crises liées à la vie des sociétés. Cela peut se faire par des mécanismes très simples. Prenons le conseil d'administration, au sein duquel des crises peuvent apparaître. Des règles permettant de les résoudre peuvent être instaurées : un nombre d'administrateurs impairs, une voix prépondérante au président du conseil d'administration...Le droit des sociétés peut aider à gérer des crises entre actionnaires et peut les prévenir. Prévoir un pacte d'actionnaires bien fait apportera une réponse le jour où le problème surgira. Il existe de nombreux mécanismes dans le droit des sociétés sur lesquels il faut parfois revenir avant de se lancer dans de grands débats sur la crise et l'impact que le droit des sociétés pourrait avoir ou ne pas avoir.
Yves Brulard
A côté du droit des sociétés, le droit de la réorganisation judiciaire est pertinent pour parler de relance. Il s'harmonise parfaitement avec le droit des sociétés. Le droit de la réorganisation judiciaire dispose désormais de la nouvelle loi sur la continuité des entreprises qui a remplacé le concordat. Les mandataires ad hoc sont également là en cas de crises : crise entre actionnaires, crise de management, crise financière. A la requête de l'entreprise, mais aussi d'un tiers (intéressé), ce droit de la réorganisation judiciaire peut être un outil de médiation, de conciliation ou de dialogue permettant de faire face aux défis de la relance. Pensons aussi à l'aspect international de l'économie... beaucoup de sociétés ne sont plus belges. Elles appartiennent à des groupes internationaux. Dès lors qu'un groupe international a des difficultés, il faut pouvoir le réorganiser de manière globale. La jurisprudence européenne - que nos tribunaux belges commencent à appliquer - permet de favoriser la relance d'un groupe à travers ses filiales locales, belges, en l'espèce.
Un troisième outil de relance possible est celui du pré-packaging, c'est-à-dire la capacité avant d'ouvrir une procédure, d'aller négocier avec ses créanciers dans un cadre licite. Cela va de pair avec une responsabilité accrue - pénale et civile - des organes de la société. Négocier et formaliser un accord entériné par le tribunal peut donner des outils pertinents, même s'il pose des problèmes au niveau du droit classique des sociétés : conflits d'intérêts, article 633 .... Voir la procédure de réorganisation judiciaire comme outil pour la relance dans le cadre du transfert sous l'autorité de justice, est également intéressant. C'est un outil de purge organisé en continuité. De plus, il a mis fin aux « constructions mortelles », qui organisaient purement et simplement la faillite, et entraînaient une discontinuité, sans parler des violations assez nettes du droit des créanciers ou du droit des actionnaires.
Jean-Pierre van Cutsem
Il me parait utile d'étendre le point de vue. Ce sont essentiellement les règles économiques entourant le droit des sociétés, qui sont des éléments de relance. Par contre, je suis très favorable à certaines mesures prises au niveau des sociétés cotées et qui devraient être plus développées dans les sociétés non cotées, notamment celles relatives au comité de direction. La bonne gouvernance rentrée vigueur par l'article 524bis du code des sociétés prévoit que s'il y a un comité de direction, il doit répondre à un certain nombre de règles. Le comité de direction est, à mon sens, l'organe le plus proche de la gestion. Avec la présence de l'administrateur délégué et des chefs de départements, il peut gérer convenablement la société. Le conseil d'administration peut délèguer une très large partie de ses pouvoirs à ce comité de direction, et conserver la surveillance et le contrôle à l'égard des actionnaires. L'avantage que j'y vois réside dans une scission entre le contrôle et la gestion. Dans un comité de direction, ce sont des personnes directement mêlés à la vie courante de la société qui dirigent celle-ci au jour le jour. Je suis très partisan du rapprochement entre la partie « management » et la partie « économique et industrielle » de la société, ce que me paraît permettre le comité de direction.
Philippe Lambrecht
Votre approche est donc plus orientée vers un organe de contrôle et un organe de gestion ?
Jean-Pierre van Cutsem
Exactement ! L'organe de gestion doit être un organe avec des gens qui savent de quoi ils parlent. Souvent lors des conseils d'administration, on s'aperçoit que les actionnaires ne savent pas très bien de quoi ils parlent, qu'ils se limitent à des questions de dividendes mais ne songent pas à la manière de gérer les sociétés. Je suis également très favorable à une simplification du droit des sociétés, qui a toujours été dans le sens d'une complexité supplémentaire. Ainsi, le fonctionnement des structures existantes pourrait être simplifié, plutôt que de créer des structures nouvelles. Par exemple, la SPRL Starter n'est pas - à mon avis - une bonne solution. En réalité, elle est bloquée dès le départ par des aspects économiques et financiers, alors qu'une SPRLU présente plus d'avantages. Modifier le fondement de la SPRLU était une possibilité. Elle a beaucoup apporté au tissu économique, parce qu'elle proposait une certaine protection limitée bien entendu, mais c'était vraiment une innovation. Dans le cadre de la SPRL Starter, difficile de voir en quoi la création d'une société aide. En effet, dès que vous allez voir une banque et que vous demandez un prêt de 1€, vous ne le recevez pas si vous êtes une Starter, sauf à donner vos biens en garantie, etc. ... Alors, c'est encore plus simple d'avoir une SPRLU avec un certain capital qui peut être réuni assez facilement. Reporter la libération du capital, faire en sorte qu'on le souscrive mais qu'on le libère de manière plus limitée, ou successivement, ou dans les 5 ans, voilà des modalités qui auraient pu être intégrées dans la SPRLU. Simplifier, ne pas créer à chaque fois des choses nouvelles ajoutant des complexités, est fondamental. De même, il est indispensable de se rapprocher de la vie économique (ex : la loi sur la continuité des entreprises ou celles sur les pratiques de commerce) pour favoriser le développement.
Geoffroy de Foestraets
Le droit des sociétés est-il un outil de la relance ? Avant d'être un outil de la relance, c'est un outil de l'entreprise. Il n'est pas - selon moi - une fin en soi. Il faut se poser la question première : quelle est la finalité ultime du droit des sociétés ? C'est d'abord offrir un cadre réglementaire ad hoc, à celui qui souhaite exercer des activités commerciales avec profit selon les modalités qu'il juge les plus appropriées. Le premier but du droit des sociétés est donc de favoriser l'efficacité et la compétitivité des entreprises. Dans un premier temps, cela passe -avant de prendre des mesures ponctuelles - par un environnement stable pour tous les acteurs : les actionnaires qui sont les créanciers en dernier ressort, les créanciers eux-mêmes, mais aussi les employés, et pourquoi pas, le citoyen - puisque la norme environnementale devient un critère déterminant pour le bon fonctionnement de l'entreprise -.
Un bon droit des sociétés est en soi un outil de relance. Disant cela, il ne s'agit pas d'une abstraction réservée à quelques spécialistes, à quelques initiés. En réalité, le droit des sociétés concerne tous les citoyens - qu'ils le sachent ou pas - ils sont investisseurs dans les entreprises, à travers les fonds de pension, les contrats d'assurance, les stock options et autres. Avec une bonne structure du droit des sociétés et un bon gouvernement d'entreprise, l'économie réelle en sort renforcée du fait de la stimulation de l'investissement, qui va entraîner de meilleures perspectives de croissance, sans doute plus d'emplois et in fine, une meilleure résistance à la crise que nous connaissons.
C'est la raison pour laquelle ce qui est bon pour l'entreprise et donc pour la relance, c'est avant tout des mesures globales, qui ne sont pas des réponses spécifiques à la crise.
Par exemple, depuis le 1er janvier 2009, l'assouplissement des conditions d'assistance financière d'une société pour rachat de ses propres actions, - je vous rappelle que nous passions d'une interdiction sous peine de sanction pénale à une autorisation -, voilà un outil qui est rentré dans les mœurs. Tel est aussi le cas et c'est assez récent, de la simplification des apports en nature pour lesquels dans certaines conditions, il ne faut plus de rapport de réviseur. Pensons également aux intérêts notionnels, même s'il s'agit de fiscalité, c'est un avantage pour l'entreprise en tant que telle.
Dernier point, la codification du droit de l'entreprise. Il y a actuellement un processus de codification du droit économique pour répondre justement à ce vœu de publicité de ce qui est permis et interdit aux entreprises. Ce processus de codification va moderniser la législation économique et la rendre plus accessible pour ceux qui lancent une activité économique. Se trouvera dans ce code économique non seulement le code des sociétés, mais aussi les pratiques du commerce, les lois sur la concurrence, sur l'accès à la profession et même celles sur la propriété intellectuelle. Voilà donc tous les outils auxquels l'entrepreneur aura accès de manière simplifiée.
Promouvoir ces mesures globales va donc dans le bon sens. On ne peut pas nier que des réponses de crise peuvent être tentées, mais il faut constater que l'impact en est mesuré. Reprenons simplement la SPRL Starter : un bel outil, bien vendu, avec beaucoup de publicité. Mais d'après les chiffres, il y en avait 31 créées sur les deux premiers mois. La loi est rentrée en vigueur le 1er juin 2010, même en tenant compte des mois de vacances, c'est très peu pour une entreprise lancée avec un tel battage médiatique.
Deuxième exemple, la loi sur la continuité des entreprises, qui a, en partie, vocation à répondre aux situations de crise. Depuis son rentrée en vigueur, 857 dossiers ont été rentrés, donc des jugements sur la continuité des entreprises. C'est beaucoup. Avant, le nombre de jugements en matière de concordat était, sur la même période, de plus ou moins 10% de ce montant. Mais doit-on crier hourra pour autant ?
La conclusion est selon moi, que nous devons plus travailler sur un outil global donné à l'entrepreneur plutôt que sur des réponses ponctuelles de crise.
Philippe Lambrecht
A ce propos, le droit des sociétés qui s'adresse à l'entreprise qui démarre ou à la petite ou moyenne entreprise, a-t-il des caractéristiques différentes de celui qui s'adresse à la grande entreprise ? Voire au grand groupe international ? Comment se situe notre système belge par rapport à ces deux catégories ? Cette situation comparative entre ces deux grands éléments et notre positionnement sur le plan international me paraît important puisqu'après tout notre attractivité par rapport aux investisseurs étrangers passe également par un droit des sociétés qui soit pratique, utile, facile.
Marc Dal
Tout dépend du type d'activité et de l'ampleur de l'entreprise. On parle toujours de la société anonyme comme étant LA forme de société à utiliser. Elle n'est pas nécessairement la plus adaptée, car elle est somme toute assez lourde. Pour une petite entreprise, la forme de la SPRL est peut être plus recommandée. Mais, il est vrai qu'on en revient toujours à la société anonyme. Je rebondis sur le point soulevé par Jean-Pierre van Cutsem, sur les délégations de pouvoir et la question de la gouvernance puisque le code des sociétés prévoit depuis la loi du 2 août 2002, la possibilité de créer le comité de direction. C'est effectivement une bonne chose puisqu'il est constitué de gens qui se situent sur le terrain, qui connaissent le business, mais la mise en place, si on respecte la loi à la lettre, n'est pas aussi évidente.
Autre délégation de pouvoir : la gestion journalière. Cela me semble intéressant. De plus en plus, quand on lit les codes de Corporate Governance, le CEO est placé en avant. Généralement, il est dit que c'est lui qui assure la gestion journalière. Mais, à y regarder de plus près, la gestion journalière, n'est pas définie dans le code des sociétés. Elle est définie par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui remonte à un arrêt du 17 septembre1968, et régit la gestion journalière de manière, très restrictive. Et là, sur ce point, nous avons un droit qui n'est pas adapté à la réalité.
Philippe Lambrecht
Et donc, il faut des clauses de délégation de compétence particulières qui permettent effectivement de combler cette lacune...
Marc Dal
Tout à fait ! Alors que dans la SPRL, c'est plus simple. Le gérant existe. On peut lui confier des mandats spéciaux, mais on peut lui confier la délégation journalière pour qu'il puisse représenter la société.
Jacques Meunier
C'est vrai ! Nous avons une panoplie de sociétés parmi lesquelles, il est possible de choisir. L'un des critères de base est de savoir quelle est la stratégie, l'ambition de celui qui constitue sa société. Est-ce qu'il veut faire une société familiale qui sera limitée à 10 personnes grand maximum, auquel cas la SPRL pourra convenir en termes de gouvernance ? Ou est-ce que l'objectif est de développer une société de 50 ou 100 personnes et là, même si la SPRL est probablement plus avantageuse au début en terme de capital à libérer, la SA sera probablement la plus adéquate à terme ? S'il y a une volonté de faire rentrer les investisseurs, la SA permet de leur offrir une série de titres - obligations ou droits de souscription - qui donnent droit à du capital. Plus tard, de manière différée, ce seront des opportunités intéressantes car elles offrent plus de flexibilité dans la recherche d'investisseurs.
Il est donc primordial de définir ses objectifs et sa stratégie avant d'identifier la « forme » de société.
Geoffroy de Foestraets
Sur la question des grandes ou petites sociétés, un élément de réflexion est ce qui se passe au niveau européen. Depuis 2001, le règlement et la directive sur la société européenne existent : la grande société a été privilégiée. Les exemples de sociétés européennes, ce sont les grands groupes tels Allianz ou BASF. Pourquoi ? 120.000€ de capital minimum sont nécessaires. Les modes de constitution sont assez restrictifs, mais au niveau européen on a favorisé un outil qui concerne la grande société.
Quant à la petite société, l'Europe s'en préoccupe également. Mais, le cheminement n'est pas allé aussi loin. Il y a actuellement beaucoup de discussions sur la société privée européenne. C'est un débat extrêmement intéressant. A côté de la société privée européenne, se sont créées de petites structures qui sont harmonisées au niveau européen. Cela va avoir un double effet : permettre aux petites entreprises d'avoir une situation concurrentielle analogue dans les différents pays européens, mais aussi et surtout de développer ce que l'on souhaite depuis 1992, à savoir l'intégration du grand marché intérieur. Cette intégration permettra non seulement à de grands groupes mais aussi à de petites entreprises d'aller attaquer dans des conditions de compétitivité excellentes, les marchés transfrontaliers.
Jean-Pierre van Cutsem
Effectivement, il y a un grand choix de sociétés. La SPRL reste, jusqu'à un certain stade, la société la plus adéquate. Ce n'est qu'à partir du moment où on veut vraiment sortir du cadre « familial » ou plutôt de la « société de personnes » - je ne veux pas limiter la SPRL au cadre familial car c'est dépassé - qu'il faut opter pour une autre structure.
Toutefois, au regard de l'ensemble économique, c'est probablement plus par le biais de la SPRL que la relance va s'effectuer. La multiplication de grosses sociétés n'est pas de nature à relancer l'économie. Pourquoi ? Il y en a peu qui se créent. L'infrastructure économique d'un pays est plus entre les mains de sociétés comme les SPRL ou les sociétés coopératives qui servent tout un secteur économique pas obligatoirement très riche, qui créent beaucoup d'emplois. De ce point de vue, d'ailleurs la coopérative joue un rôle important pour la création d'emplois et le développement d'une région puisque là où l'économie se développe, la région se développe également.
Sur le plan international, les fusions transfrontalières sont possibles, mais elles ne concernent finalement que quelques gros groupes et ne sont pas très fréquentes. La SPRL-Starter a été mise en place spécialement pour concurrencer la Private Limited Company anglaise à 1£. Or la conception anglo-saxonne est très différente de notre conception continentale. Au niveau anglo-saxon, une société de 1£ vit très bien et ne rencontre pas de problèmes. Nous avons encore trop une mentalité orientée « capital ». En Belgique, si une société va voir une banque et ne dispose pas d'un capital substantiel, elle ne recevra jamais d'aide. C'est important, car il faut alors se financer avec des fonds propres, faire des avances aux associés, donner des biens personnels en garantie ... Finalement, ce n'est pas du tout la même concurrence que ce que l'on avait espéré.
Philippe Lambrecht
Vous mettez le doigt sur la question du capital. Notre droit des sociétés est très fortement orienté autour de cette question du capital, notamment à cause de la société anonyme, mais ce n'est pas le cas chez les anglo-saxons. , Est-ce qu'il n'y a pas là matière à réflexion ?
Geoffroy de Foestraets
Cela illustre bien ce que je disais en premier lieu : la SPRL Starter est une réponse ponctuelle à l'observation du droit anglo-saxon qui connaît des sociétés avec un capital très faible de 1£. Mais, c'est oublier que derrière tout cela, il y a dans le droit anglo-saxon une réflexion de fond qu'apparemment nous n'avons pas faite. Quelle est-elle ? Si l'on considère que le capital n'est plus une garantie suffisante pour les tiers, il y a un autre moyen dans le droit anglo-saxon de fournir cette garantie, ce sont les indices de solvabilité. Dans la SPRL Starter, seule la notion technique de capital a été prise en compte, mais en oubliant qu'il y avait derrière toute une réflexion à mener sur le capital, notamment sur le point de savoir si le capital est toujours la garantie idéale pour les tiers.
Yves Brulard
Aujourd'hui, le capital social n'est effectivement plus la garantie de la solvabilité d'une entreprise. Le capital d'une SA ou d'une SPRL n'est pas suffisant pour répondre aux créanciers dans 99,9% des cas de faillites. Ce n'est pas une vraie garantie. La vraie garantie tient dans la notion de responsabilité. En distinguant par exemple, les petites sociétés des grosses sociétés, en fonction du nombre de leurs créanciers ou de leurs actionnaires comme critère d'application de règles plus ou moins strictes. Pour un petit entrepreneur, toute une série de règles sont trop lourdes par rapport à son sens de l'entreprise. Elles ne sont finalement pas utiles. Et là, je rebondis sur ce que disait Geoffroy de Foestraets, il faudrait intégrer une notion d'importance de passif. Au final le capital ou les fonds propres sont rarement l'indication du montant de l'endettement ou des risques pris à l'égard des tiers. L'importance du passif est nettement plus significative.
Quant à la distinction petite ou grande société, je suis favorable à l'idée de l'intégrer dans la codification. Pour les petites sociétés qui n'ont pas beaucoup de créanciers ni d'actionnaires, une procédure relativement simplifiée serait créée quelle que soit la forme choisie. Inversement, pour une grande société avec plus de créanciers et d'actionnaires, des règles plus strictes seraient prévues en terme de processus, de rapports, de solvabilité pour enclencher des obligations particulières par exemple. Alors, l'outil serait adapté. L'entrepreneur ne souhaite pas forcément protéger ses créanciers. Il souhaite d'abord trouver la forme la plus adéquate. Mais, il est impossible de se fonder uniquement sur son choix.
Marc Dal
Ce qui est également très intéressant, c'était l'utilisation du terme « information ». Pour éviter les crises, pas LA crise, mais DES crises, il faut assurer la transparence. Il faut donc assurer l'information avec un contrôle de plus en plus accru. C'est ce qu'on entend de plus en plus. Avant la crise, il y avait déjà beaucoup de mécanismes d'échange d'information prévus mais ils n'ont pas nécessairement fonctionné.
Philippe Lambrecht
C'est une bonne question. Pensez-vous réellement qu'il n'y avait pas déjà suffisamment d'informations disponibles avant la crise ?
Marc Dal
Effectivement, mais alors se pose aussi la question du contrôle.
Jacques Meunier
C'est information, contrôle et responsabilité qui doivent se trouver ensemble.
Philippe Lambrecht
Nous savons tous que la quantité d'informations disponibles est considérable. Comment contrôle-on cette information ? Quelle est l'information utile ? Il y aussi la question des marchés, des personnes qui décident si l'information était bonne ou non ... Quid des agences de notation ?
Yves Brulard
Les deux ne sont pas antinomiques. Il faudrait évidemment plus d'informations régulières et structurées. Cela veut dire des termes plus courts mais aussi des sujets sur lesquels l'entreprise devrait s'obliger à structurer l'information.
Philippe Lambrecht
Toutes les entreprises ?
Yves Brulard
Non, toujours la distinction entre les petites et les plus grandes. Pour les petites, cela n'a fondamentalement pas un intérêt majeur. Cette information ne sera d'ailleurs pas très pertinente puisque trop cyclique puisqu'un mois sera meilleur et l'autre mauvais, mais pour les plus grandes entreprises, une plus grande régularité dans l'information ...
Philippe Lambrecht
Pour les plus grandes entreprises, également celles qui ne sont pas cotées ?
Yves Brulard
Effectivement, pour les non cotées aussi. Le fait d'être cotées ou non est un critère pertinent pour le droit financier au sens de la protection de l'actionnaire/investisseur. C'est un aspect, mais il n'est pas suffisant. Les créanciers ou les actionnaires doivent également être protégés. C'est bien une question de taille. Au-delà d'une certaine taille, les informations doivent pouvoir être contrôlée plus fréquemment et plus complètement par le réviseur. Le réviseur doit avoir une mission plus large. Le co-commissariat tel qu'il existe en France permet d'avoir une dualité de contrôle. Il est alors possible d'envisager qu'un contrôleur soit plus orienté dans l'intérêt public par rapport à celui qui plus proche de l'entreprise. Le système fonctionne alors comme un d'autocontrôle des deux commissaires.
Jean-Pierre van Cutsem
Quelles informations complémentaires ? S'agissant d'une société anonyme importante non cotée, qui a des obligations importantes de dépôt, de publication ...
Yves Brulard
Elles devraient être plus fréquentes, notamment en présence d'actionnaires minoritaires. Attendre un an avant d'avoir une information rigoureuse et précise, c'est trop long. Quand une entreprise ne va pas bien sur le plan économique, une fois par an, ce n'est pas plus suffisant. Il est possible d'imaginer des informations trimestrielles, ou dès lors qu'il y a des faits signifiants ce qui existe déjà en partie, dans la réglementation. Formaliser le type d'informations à l'intérieur de l'entreprise me semble souhaitable.
Philippe Lambrecht
Je comprends mais je reste interloqué. Pour moi ce sont des questions qui intéressent d'abord les tiers. C'est une question de droit financier et de grande société cotée. Dans les relations habituelles avec les principaux créanciers, il est rare d'attendre la fin de l'année pour poser des questions s'il y a des problèmes. Est-ce qu'il y a véritablement besoin de rajouter encore une « couche » pour la grande entreprise non cotée ?
Geoffroy de Foestraets
Je ne crois pas qu'il faille rajouter des obligations, ni que la solution soit dans une régulation à tout crin. En réalité, qui dit régulation et obligation d'information, laisse plus de chances de passer entre les mailles du filet, si la régulation ne remplit pas bien son rôle, ou si les obligations d'information ne sont pas respectées. La solution vient peut être plus d'une responsabilisation accrue de ceux qui doivent fournir l'information.
Jacques Meunier
ll y a effectivement ceux qui doivent la fournir. Mais l'actionnaire minoritaire qui doit prévenir les conflits, doit aussi faire en sorte que l'information remonte à lui. Aussi, est-il nécessaire de conclure de bonnes conventions d'actionnaires. Il faut aussi s'assurer qu'il y a des conseils d'administration suffisamment réguliers, notamment savoir si un poste se libère. Il me semble que tous les dirigeants d'entreprise doivent lire, relire et re-relire les recommandations en matière de gouvernance d'entreprises. ll faut y réfléchir continuellement, sur les sujets qui y sont abordés.
Philippe Lambrecht
Ce sont des thèmes qui concernent alors la capacité de gestionnaire d'une personne. Est-ce que nous ne sortons pas là du droit des sociétés pour rentrer plus dans la capacité humaine de quelqu'un à gérer ?
Marc Dal
En fait, il y a deux choses. Je suis tout à fait d'accord que trop d'informations tue l'information puisqu'il faut que ce soit la bonne information qui soit donnée au bon moment, alors la question de la responsabilisation et de la formation se pose de plus en plus aux gestionnaires de société. Mais, il est fondamental de se rendre compte dans la pratique que certains font ça très bien, très consciencieusement, et d'autres le voient de très très loin ...
Philippe Lambrecht
Est-ce que ceci ne revient pas à se rendre compte que chaque société ne choisit pas son CEO de la même manière. Il y a quand même une hétérogénéité très grande liée au secteur, liée aux besoins, liée à l'activité ?
Geoffroy de Foestraets
Sur ce point, une réflexion me vient à l'esprit... Est-ce qu'il n'y a pas une frilosité de la part des entreprises, surtout des grandes entreprises, à ce que l'on vienne troubler leur jeu de quilles. Je prends comme exemple simplement le rapport des experts de haut niveau nommés par la Commission Européenne en 2002, et présidée par Monsieur Jaap De Winter. Ils devaient faire des recommandations en matière de modernisation du droit des sociétés. Beaucoup de ces recommandations ont été reprises par le plan d'action de la Commission. Mais deux d'entre-elles, très significatives, n'ont pas été reprises du fait de l'intervention de lobbys assez puissants.
Pour la première, le Comité proposait que la nomination et la rémunération des dirigeants de sociétés cotées soit exclusivement le fait des administrateurs indépendants. Solution qui va très loin mais n'a pas été acceptée. Or, elle était recommandée par les experts du plus haut niveau comme un outil extrêmement intéressant.
Le deuxième outil proposé, moins invasif, était l'idée de créer une structure permanente de conseil en matière des droits des sociétés et d'évolution au niveau de la Commission Européenne. Voilà une proposition qui ne faisait pas de mal, qui ne mangeait pas de pain. Elle n'a pas été reprise par la Commission. Il y a donc parfois un décalage entre le discours qui est : « Bien sûr, on veut plus d'informations, de transparence», mais également une certaine réticence : « La gouvernance d'entreprise, c'est très bien mais laissez-nous parfois un peu entre nous ».
Jacques Meunier
Bien entendu, la gouvernance d'entreprise doit rester volontaire, et ne doit pas être formalisée dans une loi ou un cadre législatif strict. Elle doit être une source de réflexion constante pour améliorer les relations entre les parties prenantes gravitant autour de la société.
Jean-Pierre van Cutsem
Ceci dit, certains points de la gouvernance peuvent parfois être transposés dans la société anonyme importante, mais non cotée.
Notamment, cette obligation, s'il existe un comité de direction, de facto, de lui donner une structure valable avec responsabilisation, car c'est quelque chose de totalement ignoré. Toutes les personnes qui m'ont consulté au niveau du comité de direction ignoraient complètement que la délégation allait entraîner leur responsabilité au même titre que les administrateurs, même s'ils étaient sous le contrôle des administrateurs. En fait, tout en étant très heureux de faire partie d'un comité de direction, elles ignoraient totalement que cela allait accroître leur responsabilité. Lorsqu'il a été question de le formaliser, dans certaines sociétés, des personnes membre du comité de direction ont expressément demandé de ne plus en faire partie.
Il s'agit bien d'un problème de responsabilisation de l'instrument de gestion. Il me semble que le CEO ou l'administrateur-délégué n'est pas une unité valable en soi pour assurer la gestion. La gestion collective et plus proche de la société est très importante. L'administrateur-délégué a les limites qu'on lui connaît dans sa gestion journalière, tandis que le conseil d'administration peut déléguer à un comité de direction qui lui, de manière collective, a quasiment tous ses pouvoirs. On a alors vraiment un organisme de gestion collectif valable. La fonction d'administrateur-délégué est alors de gérer et de mener le comité de direction. Mais, c'est le comité de direction qui devient réellement l'organe de gestion.
Jacques Meunier
Effectivement, et puis cela règle beaucoup de problèmes juridiques. Tous les jours, des chefs d'entreprise prennent des décisions excédant la gestion journalière au sens restrictif où l'entend la Cour de cassationIls représentent la société à l'égard des tiers probablement de manière valable mais, en interne, ils doivent se faire couvrir plus tard par le conseil d'administration ...
Philippe Lambrecht
De manière technique, cela peut être résolu par des délégations de pouvoir ou des mandats spéciaux.
Yves Brulard
Le fait qu'il y ait un organe de contrôle des décisions quotidiennes me paraît important. Celui qui est trop le nez dans le guidon peut au final prendre des décisions non appropriées puisque liées à ses propres contraintes. Avoir une « chambre de réflexion » à moyen terme et de « contrôle du quotidien », dans ce système, nous le perdons. Nous envisagions un système à deux structures. Il ne me semble pas bon d'avoir un outil qui ne fait que déléguer.
Jean-Pierre van Cutsem
Pour moi, le conseil d'administration doit rester en place mais il est trop éloigné de la gestion journalière pour réellement contrôler. Alors, il délègue ses pouvoirs, non pas tous ses pouvoirs mais plus que ceux qu'il ne déléguerait qu'à un CEO qui est une personne toute seule et qui doit gérer l'ensemble
Marc Dal
Le conseil d'administration peut tout déléguer sauf la politique générale de l'entreprise.
Philippe Lambrecht
Dans la réalité, nous sommes quand même confrontés au choix possible entre les structures. C'est souvent une question de culture d'entreprise. On peut parfaitement avoir un système dans un conseil d'administration avec une partie exécutive, une partie indépendante, et une partie non exécutive, qui correspond finalement aux différents éléments dont on vient de parler ici. De facto, vous pouvez même opter entre le comité de direction institutionnalisé conformément au Code des sociétés ou un comité non institutionnalisé, qui ne pourra pas prendre le nom de comité de direction. Donc tout est possible aujourd'hui.
Est-ce que cette flexibilité n'est pas bonne pour les grandes sociétés, étant entendu qu'il faudrait l'intégrer en tenant compte des différents objectifs de gouvernance que les Codes ont aujourd'hui développés ?
Marc Dal
Je me fais une réflexion. Effectivement, il est possible de tout faire, mais alors, je reviens à la question du contrôle. Quand on voit ce qui s'est passé, il y a quelques mois dans des banques bien connues, qui avaient adopté des codes de gouvernance. Cela n'a rien empêché. Est-ce que les mécanismes de contrôle fonctionnaient aussi ?
Philippe Lambrecht
C'est une très bonne question. Est-ce que c'étaient des problèmes de droit des sociétés au moment de la crise ? Avec la meilleure gouvernance imaginable, était-il possible de répondre valablement aux questions posées à ce moment-là ? Ce qui s'est passé mettait en cause la solidité du système financier dans son ensemble. Il était normal que l'Etat intervienne.
Yves Brulard
La gestion antérieure des risques au sein des banques montre que le contrôle avait peut être été un peu défaillant. Que ce soit le contrôle interne ou le contrôle externe, on avait peut être été un peu vite sur la perception des risques. Pour revenir à la réflexion précédente, obliger à plus d'informations, au moins en interne, permet aux personnes de se sentir responsables. Autrement dit, c'est assez mauvais de ne pas leur faire prendre conscience des risques et puis de leur dire « vous serez responsables individuellement en cas de faillite ... »
Philippe Lambrecht
Le reporting interne en termes d'information dans les banques, je ne crois pas que c'était vraiment là que le bât a blessé ...
Geoffroy de Foestraets
Non, mais le droit des sociétés a été quand même directement concerné dans le conflit. Lorsqu'une banque cède l'intégralité de son fonds de commerce sans l'aval de son assemblée générale, alors que son code de gouvernance dit qu'elle ne peut le faire, cela me pose un problème. Pas uniquement au point de vue du droit des sociétés, mais également au point de vue de la confiance que les investisseurs peuvent avoir dans cette banque. Si on leur dit c'est du soft law, et ce ne sera respecté que si on le veut bien, ça n'a pas beaucoup d'intérêt. Par contre, si on investit dans une société et qu'on voit qu'il y a une charte d'entreprise qui sera respectée, je pense que là, on donne tout son sens à une information qui est correctement diffusée.
Philippe Lambrecht
Une loi a été prise depuis qui permet désormais aux autorités publiques, en cas de crise, de prendre un certain nombre de mesures sans passer par le conseil d'administration. L'outil n'existait pas au moment de la crise. A un moment donné, l'intérêt public l'a emporté sur l'intérêt privé.
Jacques Meunier
J'imagine qu'en temps normal l'avis des actionnaires aurait été demandé, mais ici on était dans l'urgence.
Philippe Lambrecht
Responsabilisation signifie également responsabilité au sens pécuniaire, en cas de faute. Que pensez-vous à cet égard de deux mesures relativement récentes : la responsabilité accrue des administrateurs depuis la loi de 2006 manquements en matière d'ONSS, de TVA, etc. ...,) et la loi limitant la responsabilité des réviseurs d'entreprises.
Jean-Pierre van Cutsem
C'est contradictoire. En réalité charger les administrateurs d'une responsabilité, je ne suis pas contre. En effet, il faut être conscient en qualité d'administrateur, il faut prendre ses responsabilités. Diminuer la responsabilité des commissaires et des réviseurs, c'est autre chose. Si ces personnes sont effectivement externes comme elles doivent l'être, elles peuvent avoir une vue et créer un signal d'alarme à temps vis-à-vis des administrateurs - dont le rôle et la responsabilité est de s'engager un peu plus au niveau des risques. Le commissaire réviseur devrait être quelqu'un qui tire la sonnette d'alarme.
Philippe Lambrecht
Avec la responsabilité illimitée et personnelle qui était du commissaire réviseur avant la réforme ?
Jean-Pierre van Cutsem
Non, bien entendu. Mais actuellement dans un rapport de réviseurs, excepté les parapluies, il n'y a pas grand-chose. Il y a quelques chiffres et partout repris : « je n'ai pas fait ceci », « je n'ai pas eu ça, et si je l'ai eu, ce n'est pas tout à fait exact ». Il y a encore huit jours, je recevais un rapport sur un apport en nature. Ce n'est même pas un rapport sur le contrôle. Ce rapport, j'aurais pu le faire également. Il n'y avait pas besoin d'être réviseur pour le faire. Ce qu'il écrivait, il disait dans la minute d'après qu'il n'avait pas pu le contrôler.
Geoffroy de Foestraets
Les réserves qu'ils mettent sont tellement importantes, encore une fois sous l'influence anglo-saxonne sans doute, que cela émascule souvent le contenu du rapport.
Yves Brulard
La responsabilité des administrateurs envers les autorités publiques est une mesure assez opportuniste pour faire rentrer des sous dans la caisse. C'est déplacer la question de l'intérêt public. L'intérêt public est bien plus vaste que le simple fait que l'ONSS et le précompte soient payés. L'objectif est que le système fonctionne. Que les règles de responsabilité des administrateurs soient renforcées et clarifiées, c'est bien. Faire des affaires ne signifie pas faire n'importe quoi et se mettre derrière une responsabilité limitée de société, et faire subir par les autres un préjudice. Mais je pense que la mesure est trop opportuniste, pas assez générale.
Philippe Lambrecht
N'est-on pas de nouveau en train de complexifier les choses ? A partir d'un système dans lequel les structures de sociétés ont été créées pour distinguer d'un côté le patrimoine personnel et de l'autre celui que l'on affectait à une activité particulière, nous voyons peu à peu la frontière s'estomper. Est-ce la bonne voie ?
Jacques Meunier
Comme le disait Yves Brulard, c'est tout à fait opportuniste. La responsabilité des administrateurs existait déjà de toute façon en cas de faillite. Ne pas payer l'ONSS ou le précompte professionnel, c'est une négligence, une faute. La responsabilité est là. Et à l'inverse, ne pas payer des dettes importantes ou ses banquiers, cela crée une certaine responsabilité. Donc pourquoi surprotéger l'Etat par rapport aux autres parties prenantes qui gravitent autour de la société ? Cette réforme n'était pas du tout opportune pour la société et pour les entrepreneurs. Enfin, elle était opportune pour celui qui l'a mise en place ...
Marc Dal
N'oublions pas dans un cadre plus général - que l'on observe aussi que sur le plan politique - que nous nous trouvons dans un espace où la responsabilité de la société - la responsabilité sociétale - prend de plus en plus d'importance. C'est dans l'air du temps. Il y a de nombreuses réformes dans ce sens. Ce n'est peut être pas une bonne chose puisqu'on s'écarte des principes de la limitation de responsabilité. Mais c'est dans l'air du temps, et cela répond à certaines pratiques contestables.
Jacques Meunier
Pour les SPRL, qui servaient de paravents, il y a maintenant une responsabilité du représentant permanent, qui se trouve derrière la SPRL administrateur. C'est plutôt une bonne chose. C'était une construction pour que les vrais responsables puissent limiter leurs responsabilités. Or, si on souhaite limiter sa responsabilité, on peut recourir à des assurances.
Yves Brulard
La personne physique qui tombe en faillite, pourra bénéficier d'une dispense, d'une décharge, alors que l'administrateur dont la responsabilité sera mis en cause, ne pourra pas bénéficier du même principe. Il y a donc une sorte d'absurdité. Plus, on va vers des structures complexes, moins on échappe à sa responsabilité. Plus on va vers des structures simples, plus on échappe à sa responsabilité.
Philippe Lambrecht
Y-a-t-il d'autres éléments de notre droit des sociétés où la simplification serait nécessaire ? Est-ce qu'on ne pourrait pas introduire dans notre droit des sociétés des catégories répondant mieux par exemple à l'activité économique ? Être moins formaliste, moins inspiré par nos catégories classiques, et aller vers des structures correspondant mieux à la nécessité de création d'entreprises, de leur développement et de leur internationalisation ? Qu'en pensez-vous ?
Yves Brulard
A part la distinction que l'on faisait entre petites et grandes entreprises, essayons de ne pas trop complexifier les choses. Si on instaure des critères de distinction, cela risque de ne pas mener au bon résultat. A mon sens, il est utile de distinguer entre petite entreprise et grande entreprise et entre société cotée et société non cotée. Ce sont vraiment les critères les plus intéressants.
Philippe Lambrecht
Est-ce qu'il ne faudrait pas alors revisiter le droit existant pour essayer de voir si cette dichotomie ne peut pas être un peu mieux expliquée ? Et simplifier en enlevant un certain nombre de choses inutiles ?
Yves Brulard
Effectivement et par exemple, prévoir que telle disposition n'est pas applicable aux petites sociétés, ou encore telle disposition est nécessairement applicable quel que soit le type de société.
Jean-Pierre van Cutsem
Est-ce que ce n'est pas un peu l'objectif du code de l'entreprise qui devrait sortir ? L'objectif qu'il poursuit, c'est aussi une simplification des règles ...
Geoffroy de Foestraets
C'est surtout la mise à disposition de l'information dans le code de l'entreprise. En revanche, sur les catégories de sociétés, le rapport De Winter proposait une triple classification intéressante : d'une part les sociétés cotées, d'autre part les sociétés fermées et entre les deux, les sociétés ouvertes. Cette classification est intéressante car les sociétés cotées font appel à l'épargne et leurs titres sont négociables en bourse, les sociétés ouvertes font appel à des investisseurs autres que les actionnaires dominants et les sociétés fermée sont celles qui n'ont vraiment pas envie de s'ouvrir à de nouveaux actionnaires. Par conséquent, il y a une logique à prévoir des règles différentes à partir de cette catégorisation.
Philippe Lambrecht
Nous n'avons pas encore parlé des actionnaires. Or, pour moi, l'actionnaire n'est pas le même type d'individu dans une société fermée, ouverte ou cotée. Mais, stricto sensu, il a les mêmes droits puisque notre système ne fait pas la nuance. Est-ce qu'il ne faut pas aujourd'hui réfléchir au rôle de l'actionnaire?
Yves Brulard
Pour les plus petites sociétés, l'actionnariat correspond généralement au management. Il n'y a pas de grande distinction tandis que dans les plus grosses sociétés, il y a évidemment une différence. Il y a des vrais actionnaires minoritaires qui vont rentrer en conflit avec le management et être vraiment exigeants par rapport à la protection de leur investissement. C'est toujours la même distinction qui doit entraîner des protections différentes pour les actionnaires.
Philippe Lambrecht
Protection ou également obligation dans le chef des actionnaires ? Dans une société ouverte par exemple, non cotée, si vous avez pris le risque d'être un actionnaire minoritaire important, vous avez également intérêt à prendre les mesures nécessaires pour savoir ce qui se passe dans la société. Vous avez donc un intérêt, voire une certaine obligation, à vous renseigner, vous informer, ce que l'on oublie parfois. Cette attitude est moins présente dans la société cotée où les exigences du droit financier et du Code de gouvernance renforcent fortement les obligations d'information de la société.
Jacques Meunier
Exactement ! Il y a vraiment deux types d'investissements : soit dans une société cotée, soit dans une société non cotée. Si on investit dans une société cotée, il y a une réglementation en plus qui vient vous protéger. Au moment où vous investissez dans telle société - sauf à faire des OPA, des fusions ou des rapprochements d'entreprises - vous ne discutez pas avec la société. C'est la grande différence. Si vous investissez dans une société non cotée, vous êtes en contact et discutez avec la société cible et ses actionnaires. C'est alors le moment où jamais de faire une convention d'actionnaires, ce qui n'est pas possible de la même manière au niveau des sociétés cotées. C'est une différence très importante.
Yves Brulard
Enfin, l'actionnaire minoritaire peut aller chercher l'information. Si l'information n'est pas organisée et disponible, on ne va pas la lui donner. S'il y avait une obligation de formalisation régulière de l'information, l'actionnaire minoritaire aurait bien un lieu où s'adresser pour recevoir l'information.
Philippe Lambrecht
Dans la société cotée, elle existe, il n'y a pas de problème.
Jacques Meunier
Et dans la non cotée, il aura le pouvoir d'investigation individuel s'il n'y a pas de commissaire.
Jean-Pierre van Cutsem
Dans la société cotée, l'actionnaire n'a pas la même conception que celle qu'il a quand il décide d'investir dans une société non cotée. S'il choisit d'investir dans une société cotée - sauf s'il est un investisseur important - et non pas l'homme de la rue, il ne va pas vraiment se poser des questions de gestion ou de contrôle. Il est parfois surpris quand ça marche mal mais c'est tout. Il est dans l'optique de quelqu'un uniquement concerné par le résultat financier de la société cotée. Dans les sociétés non cotées, c'est très différent. Il peut être plus impliqué dans la gestion. Plus, la société se ferme, plus il est concerné par la gestion. L'actionnaire retire l'intérêt d'investir dans ce type de société du fait même qu'il est mêlé aux opérations. Le type d'actionnaire est très différent selon qu'il s'agit d'une souscription d'actions sur le marché public ou d'un investissement dans une société fermée.
Geoffroy de Foestraets
La grande différence est que l'actionnaire a toujours la possibilité de sortir d'une société cotée s'il n'est pas content alors qu'il a reçu toute l'information. . Dans une société ouverte ou fermée, les problèmes d'actionnaires mécontents, ne parvenant plus à orienter le cours des choses, et ne pouvant pas sortir, sont souvent insolubles. C'est là où les mécanismes de résolution des conflits sont extrêmement importants. Principalement le retrait forcé possible dans certaines conditions, mais qui à mon sens devrait encore être assoupli. Actuellement, la jurisprudence ne l'accepte que quand il y a de justes motifs. Il faut discuter très longtemps. Il s'agit de convaincre un tribunal qu'en réalité, on n'est pas soi même en faute, mais qu'on