À l'issue d'une enquête approfondie en matière d’aides d’État ouverte en juin 2014, la Commission européenne a rendu hier sa décision à l’égard des arrangements fiscaux entre le géant américain Apple et l’Etat irlandais.
Pour accéder au marché européen, Apple avait constitué deux sociétés (Apple Sales International et Apple Operations Europe) en Irlande, qui applique un taux d’imposition des sociétés très avantageux de 12,5 %. La Commission s’est attardée sur une stratégie d’optimisation fiscale de la firme à la pomme, consistant à affecter tous les bénéfices de vente enregistrés par les deux sociétés irlandaises à des «sièges» établis dans des juridictions où souffle un vent fiscal fort favorable. Suivant la Commission, ces « sièges » n'existaient que sur le papier et n'auraient pas pu générer de tels bénéfices. Une « pomme » pour la soif, dirons-nous.
Bottom line : Apple a pu ainsi éviter l’impôt en délocalisant ses profits dans des paradis fiscaux où il n’a aucune activité, avec le blanc-seing du fisc irlandais (qui a octroyé deux rulings). Ces accords fiscaux préalables constituent, aux yeux de la Commission, une aide d’Etat (illicite). L’économie fiscale réalisée (sur une période de 10 ans) avoisine 13 milliards d’euros. C’est ce montant que le fisc irlandais doit réclamer à Apple (à majorer des intérêts).
La décision de la Commission a provoqué de vives réactions en Irlande. Dès le début de l’enquête, le gouvernement irlandais avait en effet déclaré que ces rulings étaient parfaitement valides. Pourtant, la décision du gendarme de Bruxelles n’était pas inattendue. La Commission adopte en effet une approche économique de la fiscalité, qui tend à imposer les bénéfices là où l’activité réelle a lieu (c’est-à-dire là où la valeur est produite). Cette méthode se distingue de l’approche purement juridique adoptée par les conseillers fiscaux.
Outre l’Irlande, le Luxembourg (ruling Fiat), les Pays-Bas (ruling Starbucks) et la Belgique (excess profit rulings) ont déjà été assignés par la Commission, dans le cadre de sa croisade contre les aides d’Etat illégales.
Il n’est d’ailleurs guère étonnant que les petits pays soient dans la ligne de mire de la Commission. Ces pays sont par nature moins attrayants pour les multinationales, qui s’établissent de préférence dans des Etats ayant un marché important, offrant des débouchés pour leurs produits. Aussi, dans ce contexte, les niches fiscales constituent-t-elles l’une des armes de l’attractivité économique des petits Etats. Les (plus) grandes puissances économiques ne voient pas ces « cadeaux fiscaux » d’un bon œil, et tentent de combattre cette concurrence fiscale en se reposant sur le droit européen. Ils semblent avoir trouvé en la Commission européenne un allié de poids.
Pour compréhensibles qu’ils soient, ces règlements de comptes nous paraissent regrettables. Ils attestent d’une Union européenne immature et conduisent à une insécurité juridique pour les entreprises concernées.
Néanmoins, cette problématique présente aussi, nous semble-t-il, un aspect positif. Les Etats membres concernés ne peuvent rester les bras croisés. Ils doivent prendre le taureau par les cornes et réformer de fond en comble leur fiscalité des entreprises. Les Etats devront obligatoirement se distancier des règles fiscales actuelles inadaptées, attribuant des niches fiscales aux multinationales et laissant la dette fiscale aux entreprises locales. Tant que cette étape ne sera pas franchie, le sentiment d’injustice fiscale continuera de croître et les investissements étrangers feront défaut. Ce régime fiscal insoutenable doit laisser la place à des régimes de faveur au profit d’entreprises (grandes et petites) qui investissent réellement dans notre pays et créent de l’emploi. La réforme annoncée de l’impôt des sociétés va dans la bonne direction, même si elle peut être affinée.