08/11/10

Le droit au contrôle de l’employeur contre la vie privée du travailleur

L’employeur qui apporte des preuves d’infractions commises par son travailleur a tout intérêt – même après la décision de la Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation du 10 mars 2008 – à respecter le mieux possible les règles concernant la protection de la vie privée du travailleur afin d’éviter que le juge décide ultérieurement de les jeter à la corbeille à papier.

Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental qui est protégé tant par la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que par la Constitution Belge.  D’ici découle le droit de la vie privée du salarié. Entre ce droit et le droit de contrôle de l’employeur, qui résulte de la relation d’autorité avec le travailleur, existe une tension. Afin de trouver un équilibre entre ces deux droits, le gouvernement et les partenaires sociaux ont tous les deux pris des initiatives en vue de régler cette affaire. Ainsi les partenaires sociaux ont conclu trois conventions collectives de travail fixant les règles concernant les modalités du contrôle sur le lieu de travail par surveillance moyennant caméra (CCT n° 68 du 16 juin 1998), du contrôle sur l’utilisation des données de communication électronique en réseau (CCT n° 81 du 26 avril 2002) et des contrôles de sortie des travailleurs quittant l'entreprise ou le lieu de travail (CCT n° 89 du 30 janvier 2007). Ces trois conventions collectives de travail ont été rendues obligatoires par arrêté royal. Ce sont donc des règles d’ordre public qui peuvent être sanctionnées pénalement (au moins jusqu’à l’entrée en vigueur des stipulations y afférant du Code Pénal Social).

La structure de ces CCTs est parallèle: l’exercice du contrôle est chaque fois soumis au respect de trois principes: le principe de finalité, le principe de proportionnalité et le principe de transparence. Le principe de finalité implique que l’employeur peut exécuter un contrôle lorsqu’il poursuit des buts légitimes (par exemple la protection des intérêts de l’entreprise (CCT n° 81) et la protection des biens de l’entreprise (CCT n° 68)). Le principe de proportionnalité détermine que la mesure de contrôle, qui constitue une intervention dans la vie privée du salarié, doit être appropriée pour atteindre l’objectif justifié et que la mesure ne peut intervenir dans la vie privée du salarié que d’une manière aussi réduite que possible. Finalement le principe de transparence impose à l’employeur une obligation d’information aussi bien individuellement que collectivement. Ainsi, l’employeur qui envisage l’installation d’un système de contrôle, doit au préalable informer les travailleurs et leurs représentants de l ‘existence, du fonctionnement et des objectifs de ce système de contrôle.

Malgré les règles imposées, la tension entre le droit de la vie privée du salarié et le droit de contrôle de l’employeur subsiste, particulièrement en matière des preuves obtenues par l’employeur d’une manière illicite. Cette problématique se manifeste surtout dans le cas d’un licenciement pour motif grave. En effet, lorsque l’employeur constate un motif grave et licencie le salarié, il a la charge de preuve. Si la preuve est obtenue moyennant une technique de contrôle licite, mais les règles, établies par les CCTs rendues obligatoires qui déterminent les modalités suivant lesquelles les contrôles peuvent être effectués  (comme l’obligation d’information), ne sont pas respectées, la preuve est obtenue en principe d’une manière illicite. Dès lors, la question se pose quelle valeur le juge peut donner à cette preuve. Les tribunaux du travail et les cours du travail maintenaient (maintiennent ?) généralement qu’on ne peut tenir compte de telles preuves obtenues illicitement. La conséquence éventuelle en est que le travailleur peut enfreindre la loi sans être sanctionné. Ainsi la cour du travail d’Anvers a jugé dans un arrêt du 6 janvier 2003 que la preuve, obtenue illicitement par vidéo et prouvant le vol commis par le travailleur, ne pouvait pas être utilisée pour juger l’affaire.

Dans l’arrêt du 10 mars 2008, la Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation se penchait sur une affaire dans laquelle l’Office National de l’Emploi (ONEM) décidait de suspendre un chômeur, parce qu’il travaillait dans le magasin de son frère. La police avait rédigé un procès-verbal constatant ces activités du chômeur et avait envoyé le procès-verbal à l’inspection sociale. Cependant, transmettre un tel procès-verbal à l ‘inspection sociale est interdit étant donné que de cette façon le secret de l’information pénale est violé. Tout de même, l’ONEM décidait sur base de ce procès-verbal de suspendre le payement de l‘allocation de chômage au chômeur.  La cour du travail annulait la décision de l’ONEM parce qu’elle avait été prise sur base d’un procès-verbal recueilli illicitement.

La Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation a cassé la décision de la cour du travail et maintenait qu’un juge ne peut pas rejeter une preuve uniquement sur base de la constatation que la preuve a été obtenue de façon illicite, mais que le juge doit se prononcer sur l’admissibilité de la preuve et ne peut refuser la preuve qu’en cas du non-respect d’une formalité prescrite à peine de nullité, si la manière, à laquelle la preuve a été obtenue, porte atteinte à la fiabilité de la preuve ou au droit à un procès équitable. Pour en juger, le juge – selon la Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation – peut tenir compte d’un nombre de circonstances. Par cet arrêt, la Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation étend sa jurisprudence relative aux affaires pénales (arrêt Antigoon du 14 octobre 2003) aux affaires civiles.

Néanmoins, la question reste ouverte comment les choses évolueront, surtout parce que la Chambre Francophone de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 10 novembre 2008, n’a pas suivi cette décision de la Chambre Néerlandophone.

Aussi longtemps qu’il n’est pas clair quelle tendance sera suivie par les tribunaux du travail et les cours du travail, il y a lieu de faire bien attention.

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