1. Quel est l’objectif poursuivi?
L’objectif de la Directive est d’établir un niveau suffisant et comparable de réparation au sein de l’UE en cas de vol et d’utilisation illicite de secrets d’affaires, afin d’encourager et de protéger l’innovation et de permettre aux entreprises européennes et notamment aux PME d’être plus concurrentielles.
Une telle règlementation était devenue indispensable vu:
- L’augmentation croissante du risque d’appropriation illicite suite au recours accru à la sous-traitance et aux technologies de l’information,
- L’absence de protection juridique harmonisée au niveau européen, alors que les secrets d’affaires sont l’une des formes de protection de la création intellectuelle, à côté des droits de propriété intellectuelle, eux harmonisés, et que ces derniers ne permettent pas toujours une protection adéquate des informations commerciales et techniques de valeur (à titre d’exemple: fichier clients, savoir-faire technique, listes de prix, stratégie, business plan).
2. Comment atteindre cet objectif?
A. Définition de secrets d’affaires
Tout savoir ou information relatif à une entreprise ne sera pas protégé. Trois conditions cumulativesdoivent être remplies:
- Le savoir ou l’information doit avoir une valeur commerciale (effective ou potentielle),
- Le savoir ou l’information doit être secret (ne pas être généralement connu des personnes appartenant aux milieux concernés ou leur être facilement accessible),
- Le savoir ou l’information doit avoir fait l’objet de mesures de protection raisonnables pour s’assurer de la confidentialité.
B. Définition de l’obtention, utilisation et divulgation illicites
La Directive considère qu’il y a (i) obtention illicite de secrets d’affaires en cas d’accès non autorisé oucopie non autorisée d’un document, fichier… et (ii) utilisation ou divulgation illicite, notamment en cas de violation d’un accord de confidentialité.
La Directive prévoit toutefois des exceptions, notamment si la divulgation:
- Est prévue par la loi (très fréquent pour les autorités publiques ou pour les partenaires sociaux qui doivent être libres de conclure des conventions collectives de travail par exemple…),
- A pour objectif de révéler une faute, une activité illégale et ainsi de protéger l’intérêt public général comme en principe des donneurs d’alerte (très médiatisés depuis quelques années et encore récemment avec les Panama Papers).
C. Actions au civil du détenteur de secrets d’affaires
Les mesures proposées (qui ne sont pas exhaustives vu que les Etats membres peuvent offrir davantage de protection) sont similaires à celles prévues par la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Il ne devrait dès lors pas y avoir de problèmes de transposition pour le législateur belge.
(i) Action intentée et réglée avec une certaine rapidité
En transposant la Directive, le législateur belge devra garder à l’esprit que l’objectif principal est que lesmesures soient prises dans des délais raisonnables et soient effectives et dissuasives.
Ainsi, bien que les Etats membres soient libres de fixer le délai de prescription ainsi que sa date de départ, la Directive prévoit que le délai de prescription ne peut excéder 6 ans.
(ii) Protection du caractère confidentiel en cours et après la procédure
Afin de répondre à cet élément essentiel, la Directive prévoit une série de mesures:
- Limiter le nombre de personnes ayant accès aux documents et aux audiences,
- Les soumettre à une obligation de confidentialité (expert judiciaire, témoins, personnel judiciaire…) qui perdure après la fin de la procédure, sauf s’il s’avère que le secret d’affaires ne répond plus aux trois conditions susmentionnées,
- Publier ou communiquer uniquement ce qui n’est pas confidentiel dans le jugement(biffer ce qui est confidentiel).
Il sera intéressant de voir comment cela sera traduit dans notre système judiciaire où les audiences sont en principe publiques, ce qui incite d’ailleurs bon nombre d’entreprises à recourir à l’arbitrage pour conserver la confidentialité de leur litige, et plus particulièrement son contenu.
(iii) Mesures provisoires et conservatoires
Le détenteur des secrets d’affaires peut demander et obtenir les mesures suivantes, sous peine d’astreinte:
- Cessation ou interdiction d’utilisation ou divulgation à titre provisoire,
- Interdiction d’importer, exporter, stocker, produire, offrir, mettre sur le marché ou utiliser les biens soupçonnés d’être en infraction,
- Saisie ou remise des biens soupçonnés d’être en infraction.
Il devra convaincre le juge qu’il existe un degré de certitude suffisant que les conditions suivantes sont réunies:
- Qu’un secret d’affaires existe,
- Qu’il en est le détenteur et
- Qu’il y a eu obtention, divulgation ou utilisation illicite ou qu’elle est imminente.
Le juge devra tenir compte d’une série de circonstances particulières (balance des intérêts) pour prendre sa décision. Il aura en outre la possibilité:
- D’exiger une caution ou garantie équivalente de la part du détenteur, ce qui aura sans doute pour effet de limiter ce genre d’action, mais qui est compréhensible au vu des mesures qui peuvent être prises à titre provisoire (et qui ne peuvent donc pas avoir d’incidence sur le fond de l’affaire),
- De prévoir la poursuite de l’utilisation du secret d’affaires en lieu et place des mesures susmentionnées moyennant une contrepartie financière.
Enfin, les mesures seront révoquées si une procédure au fond n’est pas intentée dans un délai de maximum 20 jours ouvrables ou 31 jours civils ou s’il ne s’agit plus d’un secret d’affaires. Dans ces hypothèses, le défendeur est en droit de solliciter une indemnisation du préjudice subi.
(iv) Injonctions et mesures correctives
Le détenteur des secrets d’affaires peut demander et obtenir les mesures suivantes, sous peine d’astreinte:
- Cessation ou interdiction d’utilisation ou divulgation,
- Interdiction d’importer, exporter, stocker, produire, offrir, mettre sur le marché ou utiliser les biens en infraction,
- Adoption de mesures correctives appropriées (rappel des biens en infraction, suppression du caractère infractionnel,…),
- Destruction ou remise au demandeur des biens en infraction,
- Indemnisation si le contrevenant avait connaissance du caractère illicite (l’indemnisation comprend le manque à gagner, les bénéfices injustement réalisés, le préjudice moral, soit plus que la redevance d’un licencié légitime ainsi que les éventuels frais d’identification et de recherche). Il existe une possibilité de limiter la responsabilité des travailleurs, sauf en cas de dol,
- Publication totale ou partielle du jugement.
Une ou plusieurs de ces mesures seront accordées lorsque le juge constate dans une décision au fond qu’il y a eu obtention, utilisation ou divulgation illicite d’un secret d’affaires.
A l’instar des mesures provisoires et conservatoires, le juge devra tenir compte d’une série de circonstances particulières pour prendre sa décision.
En outre, en cas de bonne foi du contrevenant et si les mesures susmentionnées devaient entrainer un dommage disproportionné, le juge peut permettre de substituer ces mesures par le versement d’une compensation financière qui ne peut être supérieure à une licence.
Enfin, les mesures seront révoquées si le secret d’affaires ne répond plus à la définition.
(v) Abus de procédure
Le défendeur a le droit de réclamer une indemnisation dans l’hypothèse où la procédure aurait été intentée de manière abusive ou de mauvaise foi par le demandeur.