L’entreprise de construction comporte certains ris-ques pour les immeubles voisins du chantier. Fort heureusement, la Cour de cassation a reconnu en faveur de ceux-ci un régime particulier d’indemnisa-tion, dissocié de la faute, fondé sur l’article 544 du Code civil, à charge du maître de l’ouvrage. Depuis 1975, la Cour de cassation rappelle, de façon constan-te, que : « La rupture de l'équilibre provoqué par un trouble excédant les inconvénients ordinaires de voisi-nage, oblige à compensation non seulement le pro-priétaire de l'immeuble où le trouble naît, mais égale-ment celui qui, en raison d'un droit réel ou personnel accordé par le propriétaire, dispose à l'égard du dit bien d'un des attributs du droit de propriété ». Cette théorie ne peut par conséquent pas être invoquée à l’encontre de l’entrepreneur qui répond uniquement des fautes commises conformément à l’article 1382 du Code civil.
En pratique, il n’est pas rare que les maîtres d’ouvra-ge (ou les pouvoirs adjudicateurs) reportent la res-ponsabilité qu’ils sont susceptibles d’encourir sur la base de l’article 544 du Code civil, contractuellement, sur les épaules de l’entrepreneur. Un tel pacte de garantie est en principe valable. Toutefois, en matière de marchés publics, il constitue une dérogation à l’ar-ticle 30, §2 du cahier général des charges de l'Etat qui énonce que : « L'entrepreneur prend, sous son entière responsabilité et à ses frais, toutes les mesures indis-pensables pour assurer la protection, la conservation et l'intégralité des constructions et ouvrages existants. Il prend aussi toutes les précautions requises par l'art de bâtir et par les circonstances spéciales pour sauve-garder les propriétés voisines et éviter que, par sa faute, des troubles y soient provoqués. »
Or, en application de l'article 3, § 1er, al. 2 de l'arrêté royal du 26 septembre 1996, les dérogations à l'article 30, al. 2 du cahier général des charges doivent faire l'objet d'une motivation formelle dans le cahier spé-cial des charges et sont en réalité soumises à trois conditions essentielles : l'existence d'exigences parti-culières du marché considéré; le caractère indispensa-ble de la dérogation due à ses exigences particulières; le fait que cette clause ait respecté la « mesure ren-due indispensable par les exigences particulières du marché considéré ».
Ce raisonnement a été rappelé par la Cour d’appel de Liège à l’occasion d’un arrêt prononcé le 14 décembre 2006.
Une dame Bénédic-te M. poursuivait la condamnation in solidum de la Ré-gion wallonne et de la S.A. B. à réparer le dommage subi par son immeuble (lequel abritait également son salon de coiffure) à la suite des travaux de mise à gabarit du canal Albert effectués entre juin et août 1994. L’exécution des travaux avait entraîné un tapissage de poussière indé-lébile de la toiture, des vitrages, châssis et gouttières d’un immeuble neuf qui venait à peine d’être récep-tionné.
L’expert désigné par le premier juge estima que la seule cause, très probable, des dégradations à l’im-meuble de Madame M. était le dépôt de poussières de ciment en provenance du chantier canal Albert et des travaux réalisés par la S.A. B.
Le premier juge, confirmé par la cour d’appel, retient la responsabilité de la Région wallonne sur la base de l’article 544 du Code civil et constate qu’aucune faute n’est reprochable à l’entrepreneur sur la base de l’ar-ticle 1382 du Code civil.
La cour examine ensuite la demande en garantie for-mée par la Région wallonne à l’encontre de la S.A. B. et fondée sur l’article 41 du cahier spécial des char-ges, lequel énonçait que : « L'entrepreneur choisit sous son entière responsabilité le moyen d'exécution, il est donc responsable des accidents pouvant se pro-duire pendant l'exécution des travaux et supporte les frais qui en résultent ... L'entrepreneur est seul respon-sable des dégâts que ses méthodes d'exécution pour-raient occasionner à la Région wallonne, à toute per-sonne étrangère à la Région wallonne, telle que le propriétaire, voisin, etc... ainsi qu'aux installations des impétrants situés dans la zone de chantier. Dans tous les cas où la Région wallonne serait poursuivie en rai-son de dégâts ou dommages, l'entrepreneur est tenu d'intervenir dans l'instant sur simple dénonciation de la procédure et de prendre part à toutes les mesures que la Région wallonne jugerait utile de provoquer contre les tiers à l'occasion de travaux ou d'entreprise pour la sauvegarde de ses droits et intérêts ».
La cour d’appel déclare la demande en garantie non fondée après avoir rappelé ceci : « Les clauses contractuelles de garantie transférant à l'entrepre-neur la charge de compenser les troubles de voisinage anormaux non fautifs ne sont pas licites en matière de marchés publics depuis 1977, le droit positif inter-disant expressément les dérogations au cahier géné-ral de charges, dans la mesure où elles ne seraient pas rendues indispensables par les exigences du mar-ché considéré. Toute ambiguïté doit en tout état de cause s'interpréter en faveur de l'entrepre-neur » (Liège, 14 décembre 2006, 2003/RG/928, www.belgiquelex.be).
Pour opérer avec succès, dans un marché public, un tel report de responsabilité, il convient d’être pru-dent et de libeller la clause dans des termes clairs et précis, tout en veillant à motiver clairement le carac-tère indispensable d’une telle dérogation.