Le vendredi 11 décembre, le conseil des ministres fédéral a approuvé, sur proposition du ministre de l'Agenda numérique et des Télécommunications, Alexander De Croo, un avant-projet de loi relatif aux 'services de confiance pour les transactions électroniques'. Cet avant-projet est pris pour cible par le Prof. Jos Dumortier. Ce dernier a exercé autrefois en tant que professeur ordinaire à la KU Leuven et est aujourd'hui avocat à temps plein pour le bureau spécialisé time.lex à Bruxelles.
L'avant-projet de loi comprend une série de dispositions qui se rapportent e.a. aux cachets électroniques, à l’horodatage numérique, aux envois recommandés électroniques, etc. Tous ces services devraient permettre des transactions juridiques fiables par Internet. Ils garantissent surtout que l'authenticité et l'intégrité des données numériques pourront être vérifiées.
Cependant, la partie la plus importante du plan gouvernemental est la réglementation relative à l'archivage électronique. Nous y remarquons surtout l'obligation de se soumettre à un audit tous les deux ans à ses propres frais et d'obtenir un certificat de conformité. Cette condition s'appliquerait à toute personne soumise à des obligations de conservation explicites et voulant et/ou devant tenir à jour des documents tels que des factures, pièces comptables, documents sociaux, etc. au format électronique. C'est le cas e.a. pour des professions et des secteurs spécifiques comme les notaires, les avocats, les banques, les compagnies d'assurance, les comptables, les médecins, les dentistes, les infirmiers à domicile, les hôpitaux, les architectes, les entreprises de transport etc. mais aussi pour le groupe plus vaste constitué par tous les employeurs et indépendants.
La mesure proposée, il faut le souligner, par un ministre de la famille libérale n'entrera pas immédiatement en vigueur. Il ne semble pas pouvoir en être autrement non plus car il n'existe aucun organisme actuellement dans notre pays qui puisse délivrer ce type d'attestation en matière d'archivage électronique.
Le point de départ (légitime, il est vrai) du projet de loi est le fait qu'il existe une grande incertitude juridique à l'heure actuelle quant à la valeur de preuve des données conservées par voie électronique. Dans le code civil, par exemple, « l'original » d'un acte pèse toujours plus lourd qu'une copie en tant que preuve d'un engagement. Sauf dans certains secteurs spécifiques, il n'existe aucune règle quant à la manière de conserver les documents électroniques leur permettant d’être considérés comme des « originaux ». Il en résulte également que les entreprises hésitent à conserver des documents importants au format électronique. De plus, l'incertitude constitue également un obstacle à la 'substitution', en d'autres termes au scannage de documents papier au format électronique avec destruction de l'original au format papier.
Néanmoins, il semble que le gouvernement se soit fourvoyé pour ce qui est du texte proposé. A l'origine, la Commission européenne prévoyait d'imposer des conditions de qualité équivalentes en matière d'archivage électronique. Cependant, cette idée a été rapidement abandonnée. En effet, l'archivage dans un contexte numérique implique bien plus que la simple garantie de l'intégrité et de la lisibilité des données. Faire imposer par les autorités la manière dont cela doit se dérouler est extrêmement risqué. Toutefois, cela ne pose apparemment aucun problème au gouvernement belge.
Pour mettre fin à l'incertitude en matière d'archivage électronique, il existe plusieurs solutions. Par exemple, le législateur peut indiquer comment l'archivage électronique doit être effectué pour garantir la validité juridique. D'ordinaire, il est recommandé de formuler de telles règles sous une forme générale. En effet, les possibilités technologiques et les nouveaux développements de la science de l'archivage évoluent rapidement. C'est pourquoi il serait préférable de ne pas imposer de règles contraignantes qui menacent de geler cette évolution. Des normes non contraignantes, qui peuvent être adaptées plus rapidement selon le niveau de la technique, conviennent mieux à ce propos. A cet égard, la législation suit toujours de loin en loin.
Une autre possibilité consiste à ce que le gouvernement indique qui peut archiver correctement. Après une sorte d'examen, les personnes ayant réussi reçoivent un certificat d'aptitude. Selon Dumortier, ce n'est pas une bonne idée dans un domaine auquel à peu près tout le monde est confronté et dans lequel, par conséquent, quasiment tout le monde est soumis à cet examen (tous les deux ans !). Les véritables permis de conduire permettant de prendre part à la circulation automobile sont une exception à cette règle en raison des risques pour les autres conducteurs. Cependant, remettre des permis de conduire ou d'autres formes de diplômes ou de certificats d'aptitude lorsque ce n'est pas vraiment nécessaire devrait être de préférence évité.
Toutefois, l'avant-projet du ministre De Croo contraint chaque personne qui doit tenir à jour des documents au format électronique à obtenir une qualification, à moins qu'une disposition légale ou réglementaire ne dise autre chose. L'obligation s'applique à tous les cas dans lesquels il existe une obligation d'archivage. Cependant, il existe des milliers de dispositions de ce type qui imposent explicitement de tenir à jour un document donné. Tant que ces dispositions ne sont pas adaptées, toute personne voulant conserver ses documents au format électronique a donc besoin d'une sorte de « permis de conduire ». Heureusement, le gouvernement fédéral se donne un peu de temps pour introduire cette mesure révolutionnaire.
L'avant-projet comprend encore beaucoup d'autres dispositions étranges. La règle suivante mérite notre attention (également présente dans une loi de 2001 mais qu'aucun fonctionnaire ou syndicat n'a heureusement encore mise en œuvre) : « Sauf dispositions légales contraires, personne ne peut être contraint d'établir des actes juridiques par voie électronique ».
Cet avant-projet est également excessif dans la mesure où, dans tous les cas où il est prescrit légalement ou de manière explicite qu'un document doit être daté, tout le monde est tenu d'utiliser un « service qualifié d’horodatage électronique ». Une fois de plus, force est de constater qu'il existe des milliers de lois et d'arrêtés qui stipulent qu'un document doit être pourvu d'une date et d'une signature. A moins que tout le monde ne renonce autant que possible à toute forme de travail numérique, il sera donc bientôt possible de gagner beaucoup d'argent avec l’horodatage électronique.
Heureusement, nous n’en sommes encore qu’au début du processus législatif. Nous attendons désormais avec curiosité l'avis du Conseil d'Etat qui, comme cela se produit de plus en plus fréquemment, doit résoudre ce problème en trente jours à peine. La procédure d'avis au niveau européen est un peu plus longue mais elle n'est pas suspensive de telle sorte que l'avant-projet peut déjà être présenté au Parlement. En effet, l'objectif est de faire entrer les nouvelles règles en vigueur dès le 1er juillet 2016. Espérons que d'ici là, tout aura été rectifié dans les moindres détails.