02/09/10

Mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de licencier un travailleur qui se trouve dans un régime d’interruption de carrière

Principe : droit et pouvoir de donner le congé

Le droit belge relatif au droit du licenciement reconnaît à chaque partie la possibilité de donner le congé. Chaque partie a le pouvoir de mettre fin au contrat de travail unilatéralement et à tout moment, sans motivation, par la notification d’un délai de préavis ou moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Exception : protection contre le licenciement

Certaines catégories de travailleurs sont protégées contre le licenciement. Afin de licencier régulièrement pareils travailleurs, certaines conditions supplémentaires doivent être respectées.

Il en va ainsi, par exemple, pour les travailleurs qui bénéficient d’un système de suspension ou de réduction des prestations de travail, comme le crédit-temps (CCT n° 77bis) ou d’un congé parental (CCT n° 64) : ces derniers peuvent uniquement être licenciés pour des raisons indépendantes de leur congé parental ou de leur crédit-temps.

En cas de violation de cette règle, l’employeur doit payer au travailleur une indemnité de protection forfaitaire de 6 mois de rémunération, en plus des autres indemnités de rupture.

Charge de la preuve des motifs du licenciement

Ni la CCT n° 77bis, ni la CCT n° 64 ne règlent la charge de la preuve lorsqu’un travailleur invoque la violation de l’interdiction de licenciement et revendique le paiement de l’indemnité de protection. En principe, les règles normales de la preuve devraient être appliquées ; il appartient par conséquent au travailleur de prouver qu’il a été licencié à cause de son congé parental ou de son crédit-temps

Cependant, la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Dans un arrêt du 14 janvier 2008, la Cour a considéré que la charge de la preuve revient, dans pareille situation, à l’employeur. Les juridictions inférieures appliquent rigoureusement cette jurisprudence de la Cour de cassation.

Dans 3 décisions récentes, les juges du travail de Bruxelles ont fait supporter la charge de la preuve à l’employeur et ont refusé la preuve avancée par l’employeur

Dans trois décisions récentes, le Tribunal et la Cour du travail de Bruxelles ont fait supporter à l’employeur la charge de la preuve, ceux-ci devant prouver qu’il n’était pas question d’un licenciement lié au crédit-temps / congé parental, en se référant directement à l’arrêt de cassation du 14 janvier 2008. De plus, dans les trois cas, le tribunal a jugé insuffisante la preuve apportée par l’employeur :

  1. Dans un jugement du 14 décembre 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles devait se prononcer au sujet d’un travailleur âgé en crédit-temps 1/5 qui avait été licencié à l’occasion d’une restructuration de la division dans laquelle il travaillait. Certaines activités devenaient sous-traitées par un prestataire de services, raison pour laquelle certaines fonctions disparaissaient. Certains travailleurs pouvaient être réorientés au sein de la nouvelle structure. De plus, une procédure convenue avec le conseil d’entreprise avait été suivie. Le travailleur en question ne remplissait pas les conditions de connaissance pour pouvoir être réorienté et il avait été licencié avec 9 autres travailleurs. Bien que le Tribunal du travail ait reconnu la réalité de la restructuration, il a considéré que l’employeur n’avait pas suivi la procédure qu’il avait lui-même mise en place et il a octroyé l’indemnité de protection.
  2. De même, la Cour du travail de Bruxelles s’est prononcée dans un arrêt du 19 mars 2010 au sujet d’une travailleuse âgée en crédit-temps à mi-temps, qui avait été licenciée en raison de ses mauvaises prestations. Un an plus tôt, l’employeur s’était entretenu avec elle au sujet de son comportement négatif et de ses mauvaises prestations. Le contenu de l’entretien avait été confirmé par écrit et signé par la travailleuse, de même que sa promesse d’amélioration dans le futur. Une description de fonction concrète fut également établie. Les mauvaises prestations continuèrent pourtant et il en fut discuté au cours de divers comités de management. La travailleuse fut mise en garde oralement à plusieurs reprises, mais cela n’engendra aucune amélioration. Bien que l’employeur avait apporté, comme pièces, la confirmation écrite, les rapports des comités de management ainsi que d’autres notes internes et e-mails, la Cour du travail considéra (contrairement au Tribunal du travail en première instance) que ces pièces étaient unilatérales et pas objectives et que par conséquent elles ne pouvaient démontrer que le licenciement n’était aucunement lié au crédit-temps. L’employeur fut condamné au paiement de l’indemnité de protection.
  3. Dans un dernier jugement, (Tribunal du travail de Bruxelles du 18 juin 2010), il s’agissait d’un travailleur exerçant une fonction technique pour une compagnie d’aviation, qui, sur une période de 5 mois, avait commis 2 fautes graves au cours de l’entretien d’avions. Le travailleur avait été interpellé à ce sujet et certaines compétences lui avaient été retirées. Cela apparaissait également dans les pièces. Après le 2ème accident, le travailleur fut licencié. Précisément ce jour-là, il avait introduit une demande de congé parental, qui, en outre, ne remplissait pas toutes les conditions de formes. Le Tribunal du travail fut d’avis que les 2 fautes ne pouvaient pas être imputées au travailleur et que par conséquent il n’avait pas été licencié pour un motif suffisant. Le travailleur a reçu l’indemnité de protection.

    Conclusion et avis

    Bien que dans les 3 affaires l’employeur bénéficiait toujours d’un bon motif de licenciement, les juges du travail de Bruxelles ont considéré que les pièces déposées ne constituaient pas une preuve suffisante du fait que le licenciement était étranger au congé parental ou au crédit-temps. De plus, la jurisprudence va très loin, pas seulement en ce qui concerne la charge de la preuve, mais également en considérant de manière très sévère l’opportunité du licenciement.

    Il est possible que ces décisions sévères soient une conséquence de la jurisprudence qui considère qu’en cas de crédit-temps, l’indemnité de préavis doit être calculée sur base des prestations réduites. La jurisprudence a peut-être essayé de compenser cela par l’attribution d’une indemnité de protection.

    On constate chaque fois l’importance accordée par les juges à l’existence ou pas d’avertissements recommandés, ou au minimum écrits, faits au travailleur avant le licenciement. En cas de licenciement d’un travailleur se trouvant dans un régime d’interruption de carrière, il est par conséquent très important de bien préparer votre dossier :

    - Envoyez au travailleur au moins une mise en demeure écrite, dans laquelle vous lui indiquez clairement qu’en cas de répétition un licenciement suivra.
    - Il est nécessaire d’inviter le travailleur à au moins un entretien qui lui permettra de se défendre et de s’améliorer, et mettez cela par écrit.
    - Si vous suivez vous-même une procédure de licenciement, faites-le par écrit et suivez la procédure rigoureusement. Si vous dérogez à la procédure, gardez des documents écrits expliquant les raisons de ces dérogations.
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