18/03/14

LA COTISATION ANNUELLE À CHARGE DES SOCIÉTÉS (CACS), BIENTÔT DÉCLARÉE ILLÉGALE ?

Et si la cotisation annuelle à charge des sociétés était déclarée illégale, de quelle manière et surtout dans quelle mesure une société pourrait-elle obtenir remboursement ?

I. Qu’est-ce que la « cotisation annuelle à charge des sociétés » (CACS) ?

En Belgique, les sociétés assujetties à l’impôt des sociétés doivent payer annuellement, avant le 30 juin, une cotisation forfaitaire appelée « cotisation annuelle à charge des sociétés » (CACS).

Cette cotisation, dont à l’origine les sociétés n’étaient redevables qu’une seule fois, a été transformée par une loi du 30 décembre 1992 portant dispositions sociales et diverses en une cotisation annuelle. Elle est d’un montant forfaitaire de 347,50 € ou 868 €, déterminé selon le bilan comptable de la société .

II. Les contestations

Dès 1993, soit peu après l’instauration de la CACS, on reprochait déjà à cette cotisation de sécurité sociale de ne donner accès à aucun droit complémentaire dans le chef des sociétés, ni dans celui des travailleurs indépendants actifs en leur sein.

Un recours en annulation avait été introduit devant la Cour constitutionnelle (à l’époque Cour d’arbitrage), mais ce recours n’a pas abouti .

Plus récemment, en 2010 et en 2011 , des questions préjudicielles ont été posées à cette même Cour concernant la légalité de la CACS, dans le cadre de procédures impliquant des sociétés ayant refusé de payer celle-ci. A cette occasion, la Cour constitutionnelle a relevé que la CACS doit être qualifiée d’impôt : elle est un prélèvement imposé d’autorité par l’Etat et ne constitue pas la contrepartie d’un service accompli par l’autorité au bénéfice d’un redevable considéré isolément. Le fait que le produit de la CACS soit destiné au financement du régime de la sécurité sociale des travailleurs indépendants n’affecte pas sa nature d’impôt.

III. Quelle est la conséquence de la nature d’impôt de la CACS ?

Selon cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle , la CACS constitue un impôt. Il convient en conséquence de lui appliquer les principes légaux en vigueur en Belgique en matière d’impôts.

Nous relevons ci-dessous de manière sommaire et non exhaustive les critiques qui peuvent être formulées à l’encontre de la CACS suite à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

a) La perception de la cotisation par une caisse d’assurances sociales

En droit belge, les impôts ne peuvent être perçus que par l’administration du Trésor, justiciable de la Cour des comptes, soumise à des contraintes et à des devoirs spécifiques.

Le recouvrement de la CACS ne peut dès lors être légalement confié à la Caisse nationale auxiliaire de l’INASTI, ni aux caisses d’assurances sociales, qui ne sont pas habilitées à prélever des impôts. Ce sont des ASBL qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes, garanties et contrôles que ceux qui pèsent sur les fonctionnaires du Trésor. En outre, l’objet social des caisses d’assurances sociales ne les autorise pas à procéder au recouvrement d’un impôt.

Par conséquent, la loi de 1992 instaure une différence de traitement dans le mode de perception d’un impôt puisque certains contribuables, sans justification valable, ne bénéficient pas des mêmes garanties que d’autres. Selon ces principes, la CACS a été illégalement perçue par des institutions qui n’y étaient pas habilitées.

b) La violation du principe d’annualité de l’impôt

L’article 171 de la Constitution consacre le principe de l’annualité de l’impôt en disposant que:

« Les impôts au profit de l’Etat, de la Communauté et de la Région sont votés annuellement. Les règles qui les établissent n’ont de force que pour un an, si elles ne sont pas renouvelées. »

Cette disposition signifie que le pouvoir exécutif ne peut procéder à la perception des impositions réglées par ou en vertu d’une loi qu’après y avoir été habilité par le pouvoir législatif, dans une loi budgétaire ou une loi de finance.

Le principe d’annualité de l’impôt implique que cette habilitation ne vaut que pour un an et doit donc être renouvelée chaque année. Or, les lois budgétaires ou de finance n’ont jamais tenu compte de la CACS, qui viole donc le principe d’annualité de l’impôt depuis sa création.

c) Violation d’une directive européenne

La directive européenne 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 régit la taxation frappant les rassemblements de capitaux, en vue de garantir la libre circulation de ces derniers. Les impôts indirects qui frappent ces rassemblements de capitaux, en ce compris le droit d’apport en société, sont de nature à créer des discriminations entravant cette libre circulation. En conséquence, cette directive prévoit la suppression de tout impôt indirect présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport.

Or, la cotisation à charge des sociétés a essentiellement pour objet de combler le déficit de la sécurité sociale des travailleurs indépendants résultant du recours par ceux-ci au mécanisme de la constitution de sociétés pour l’exercice de leurs activités. La CACS constitue une imposition en raison de la constitution d’une société et viole donc le droit européen.

IV. En cas de remboursement, à quelle prescription se vouer ?

Si la CACS venait à être déclarée illégale et les dispositions légales qui l’ont instaurée annulées, cela signifierait que les sociétés assujetties l’ont jusqu’à présent payée de manière indue. Il serait dès lors légitime d’en réclamer le remboursement (ou, selon la formulation du Code civil, la répétition).

Le temps alloué aux sociétés afin de réclamer le remboursement de la CACS fait l’objet de controverses. Ce temps correspond au délai de prescription extinctive . Ce délai est susceptible d’interruption, ce qui a pour effet qu’un nouveau délai – identique au délai initial – commence à courir suite à l’interruption. Les délais de prescription ainsi que les modes d’interruption sont organisés soit par le Code civil, qui constitue le droit commun, soit par des disposition légales spécifiques.

La loi du 30 décembre 1992 qui a instauré la CACS prévoit qu’en cette matière, l’action en répétition de l’indu se prescrit par cinq ans, interruptibles par une lettre recommandée adressée par la société à la caisse d’assurances sociales qui a perçu les cotisations ou par les modes interruptifs de prescription tels que prévus à l’article 2244 du Code civil (citation en justice, saisie, lettre d’avocat , etc.).

Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle suivant laquelle la CACS est un impôt, il conviendrait d’appliquer les délais de prescription en vigueur en matières d’impôts, à savoir :

  • Les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État prévoyaient jusqu’il y a peu une prescription extinctive de l’action en répétition de l’impôt payé indûment de 5 ans.
  •  Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget et de la comptabilité de l'État fédéral , les règles de prescription de droit commun sont censées s’appliquer à l’administration. En conséquence, on pourrait en principe appliquer le délai de prescription de l’action personnelle de l’article 2262bis du Code civil, d’une durée de 10 ans .
  • Par ailleurs, conformément à la loi du 22 mai 2003, il pourrait être considéré que les sommes détenues par l’État pour le compte d’un tiers sont définitivement acquises après 30 ans, sans préciser plus avant la durée de prescription extinctive en matière de répétition de l’indu. Cette possibilité nous apparaît néanmoins peu vraisemblable.

Qu’il s’agisse du délai de 5, 10 ou 30 ans, ces prescriptions applicables en matière d’impôts, faute de précisions contraires, ne connaissent pas de modes d’interruption particuliers et ne peuvent par conséquent être interrompues que conformément à l’article 2244 du Code civil, c’est-à-dire par une citation, une saisie, ou encore une lettre d’avocat .

Enfin, la Cour de cassation a considéré que la prescription extinctive de l’action en répétition de l’indu ne commence à courir qu’à partir de la décision annulant la disposition litigieuse. Cette jurisprudence permettrait aux sociétés de conserver leur droit d’intenter l’action en répétition de l’indu. Toutefois, jusqu’à quelles cotisations pourraient-elles remonter ? Pourraient-elles réclamer le remboursement de cotisations payées depuis 1992 ? A cet égard, l’incertitude demeure.


V. Conclusion

La requalification de la CACS en impôt pourrait avoir d’importantes conséquences sur sa validité. En effet, cette jurisprudence a pour conséquence de soumettre la CACS à la législation applicable en matière d’impôts, ce qui signifierait son illégalité et l’annulation potentielle des dispositions légales qui la consacrent.

Les sociétés seraient alors en droit de réclamer le remboursement des sommes payées indûment au titre de la CACS au fil des années, sous réserve de l’instauration éventuelle de mécanismes législatifs ad hoc . Comme expliqué ci-avant, le droit au remboursement soulèvera la question de la prescription extinctive et celle de la date à partir de laquelle le droit au remboursement pourra s’exercer. Ces questions demeurent encore ouvertes à ce jour.

En conséquence et à défaut pour la CACS d’avoir été déclarée illégale jusqu’à présent, nous recommandons aux sociétés d’interrompre, à titre conservatoire, la prescription selon les modes interruptifs de prescription applicables tant à la CACS qu’aux impôts en vue de sauvegarder au mieux leurs droits.

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