Le 27 décembre 2023, l'ordonnance bruxelloise instaurant un droit de préférence pour les locataires dont le logement est mis en vente, a été publiée au Moniteur belge.
Cette ordonnance ajoute une section 4bis au Code bruxellois du Logement, détaillant un droit de préférence pour les locataires bruxellois.
Cet article évoque en quoi consiste exactement ce droit et comment il doit être respecté par le bailleur, l'agent immobilier et le notaire.
1. Quand le droit de préférence s'applique-t-il ?
Le locataire peut invoquer le droit de préférence lorsque les conditions suivantes sont remplies :
- il doit s'agir de la vente d'un logement ;
- ce logement doit faire l'objet d'un bail pour une résidence principale, à l'exclusion des contrats de courte durée (moins de 3 ans) ; et
- le locataire doit être domicilié dans le logement en question.
Le droit de préférence s'applique donc également lorsqu'un bail de courte durée se transforme en bail de neuf ans (par exemple lorsque la courte durée est dépassée ou que le bail de courte durée n'est pas renouvelée sans mettre fin au contrat). Tout bail qui n'est donc pas (plus) considéré comme un bail de courte durée est couvert par le droit de préférence, à condition que le locataire ait élu domicile dans le logement loué.
Toutefois, le droit de préférence s'éteint lorsque le locataire décède.
Lorsque le locataire a cédé son bail, le droit de préférence revient également au cessionnaire du bail et le locataire initial ne peut plus le revendiquer.
2. Que se passe-t-il en cas de pluralité de titulaires du droit de préférence ?
Le droit de préférence s'applique non seulement au locataire lui-même, mais aussi à son conjoint, cohabitant légal ou de fait ou à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint ou cohabitant légal ou de fait, à condition que ceux-ci soient également domiciliés dans le logement.
S'il y a une pluralité de titulaires du droit de préférence, ils doivent se mettre d'accord entre eux quant à celui qui exercera ce droit. Ils doivent se décider dans le même délai que celui dans lequel le droit de préférence en soi doit être exercé. A défaut, ils seront considérés comme déchus de ce droit.
3. Qu'est-ce qui n'est pas couvert par le droit de préférence ?
Pas toutes les ventes ni tous les biens sont couverts par le droit de préférence. Ainsi, les ventes suivantes ne sont pas soumises à cette nouvelle réglementation :
1° la vente de logements entre conjoints, cohabitants légaux ou de fait domiciliés à la même adresse, ainsi qu'entre parents ou alliés jusqu'au troisième degré inclus, pour autant qu’il n’y ait pas de faculté d’élire command au profit d’une personne autre que celles mentionnées ci-avant.
2° la vente de la nue-propriété, d'usufruit ou d'autres droits réels, ainsi que la vente moyennant rente viagère, y compris celles dont le terme n'est pas aléatoire ;
3° la vente de logements en suite de fusions, scissions, liquidations de sociétés ;
4° la vente à la société ou l'apport en société dont le vendeur ou son conjoint(e) ou cohabitant(e) légal(e) possède seul(e) ou avec des parents ou alliés jusqu'au troisième degré, au moins cinquante pour cent des parts sociales de la société existante ou à créer ;
5° la cession de droits indivis entre copropriétaires ;
6° la vente du bien à une administration publique ou à une personne morale de droit public lorsque le bien est acheté pour être utilisé à des fins d'intérêt général ;
7° les biens faisant l’objet d’un arrêté d'expropriation pour cause d'utilité publique ;
8° les biens frappés d'un arrêté d'inhabitabilité ;
9° les immeubles à logements multiples occupés par différents locataires, en cas de vente de la totalité de l'immeuble ;
10° les biens ayant fait l'objet d'une promesse de vente avec date certaine dont le terme était antérieur à la conclusion du bail, pour autant que cette promesse ait été acceptée par son bénéficiaire.
4. Comment respecter le droit de préférence ?
4.1. Notification par lettre recommandée avec accusé de réception
Avant la conclusion de la vente, le locataire est informé par lettre recommandée avec accusé de réception de l'intention de vente du bien et du droit de préférence dont il bénéficie.
Il est important que la notification soit envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et qu'elle soit adressée à toute personne pouvant être considérée comme locataire. Cette notification sera également opposable aux autres titulaires du droit de préférence, qui ne pourront faire valoir leurs droits qu'à l'encontre du locataire et non du bailleur, du notaire ou de l'agent immobilier.
La notification par lettre recommandée vaudra comme offre de vente au profit du cessionnaire, à moins qu'il ne s'agisse d'une vente publique.
Si cette notification n'a pas été faite, le notaire ou l'agent immobilier chargé de la vente est soumis à la même obligation et devra procéder a la notification lui-même. .
Cela signifie que le notaire chargé de l'exécution de l'acte authentique de vente est tenu de vérifier que cette obligation de notification a été remplie.
Si ce n'est pas le cas, il devra remettre au locataire une copie du compromis de vente ou un document écrit similaire constatant l'échange des consentements concernant le bien, le prix et les conditions de la vente. Cette obligation du notaire ne s'applique que si le locataire a renoncé par écrit à son droit de préférence.
4.2 Contenu de la notification
Pour être valable, la notification au locataire doit contenir au moins les informations suivantes :
- l'identité et le domicile du bailleur ;
- l'adresse du logement dont la vente est envisagée ;
- la description du logement et notamment son identifiant cadastral parcellaire ;
- l'indication du prix ou de la mise à prix en cas de vente publique et les conditions de la vente envisagée ;
- les droits réels qui peuvent grever le bien.
Cette liste pourra être complétée dans le futur.
Cette notification, ainsi que toute autre forme de notification relative au droit de préférence, doit toujours être faite par lettre recommandée avec accusé de réception.
4.3. Exercice du droit de préférence par le locataire
Le locataire doit informer le bailleur, le notaire ou l'agent immobilier, au plus tard dans les 30 jours suivant la réception de la notification, de sa décision de renoncer à son droit de préférence ou de l'exercer aux prix et aux conditions publiés, en joignant la preuve de sa domiciliation dans le bien concerné.
Cette notification doit également préciser si le locataire exerce le droit de préférence personnellement ou pour le compte de l'un des bénéficiaires (voir liste ci-dessus).
Si le locataire exerce le droit de préférence pour le compte d'un des bénéficiaires, la notification doit également contenir la signature de ce bénéficiaire.
L'absence de réponse du locataire dans ce délai vaut renonciation à l'exercice du droit de préférence.
L'acceptation par le locataire du prix et des conditions indiqués dans la notification vaut vente.
Toutefois, le transfert de propriété du bien et le paiement du prix ne s'effectuent qu'après la signature de l'acte authentique. Cependant, le versement d'un acompte peut être convenu à l'avance.
4.4. Nouvelle offre
Si l'offre initiale du locataire n'est pas acceptée mais que le propriétaire décide tout de même de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit notifier ces conditions et ce prix au locataire, à moins que le propriétaire ne l'ait déjà fait.
Cette notification vaut également offre de vente au profit du locataire. Cette offre est valable pendant 7 jours à compter de la date de réception.
L'absence de réponse du locataire dans le délai de 7 jours est considérée comme une renonciation à l'exercice du droit de préférence.
4.5. Vente publique
En cas d'adjudication publique, le notaire doit, au plus tard 30 jours avant la première séance, transmettre le cahier des charges de la vente publique aux titulaires du droit de préférence, en indiquant la date de la première séance,.
Les titulaires du droit de préférence sont invités à cette séance.
A la fin des enchères et avant l'adjudication, le titulaire du droit préférentiel devra être invité à exercer son droit de préférence au prix de la dernière enchère.
En cas de revente par suite de l'exercice du droit de surenchère, la même question doit être posée publiquement lors de la séance de surenchère.
Le logement sera adjugé au titulaire du droit de préférence qui déclare exercer son droit au prix de la dernière enchère ou surenchère.
Si le titulaire du droit de préférence ne déclare pas son intention d'exercer son droit lors de la séance de vente publique, il est présumé y renoncer.
En cas de renonciation au droit de préférence, la vente se poursuit conformément aux règles relatives aux adjudications publiques.
4.6. Vente publique dématérialisée
Même en cas de vente publique dématérialisée (par exemple Biddit), le notaire doit fournir au locataire une copie du cahier des charges au moins 30 jours avant le début de la période d'enchères ainsi que l'adresse du site internet sur lequel la vente dématérialisée sera réalisée.
Le locataire devra informer le notaire au plus tard la veille du début des enchères soit de sa décision de renoncer à son droit de préférence soit de sa décision d'exercer son droit de préférence, en indiquant le prix maximum, hors frais, qu'il est prêt à payer pour le bien.
Le locataire qui n'a pas exercé son droit dans ce délai est forclos.
Si le montant de la dernière enchère retenue par le notaire est inférieur ou égal au prix maximum renseigné par le locataire, ce dernier a exercé son droit de préférence et le bien lui sera adjugé au prix de la dernière enchère retenue.
Si le montant de la dernière enchère retenue par le notaire dépasse le prix maximum renseigné par le locataire, ce dernier ne pourra plus exercer son droit de préférence.
5. Condition suspensive
Toute convention écrite ou verbale relatif à une vente soumise au droit de préférence est irréfragablement réputée avoir été conclue sous la condition suspensive du non-exercice du droit de préférence.
Le droit de préférence doit donc toujours être considéré comme une condition suspensive à chaque vente.
6. Quelles sont les sanctions ?
Si le droit de préférence n'est pas respecté, le locataire lésé dispose d'un an pour annuler la vente à un tiers et acheter lui-même le bien en question.
Si la vente se réalise en violation du droit de préférence du locataire, ce dernier a droit à une action en subrogation contre l'acquéreur. Bien que la procédure soit engagée à l'encontre de l'acheteur, la demande de subrogation doit également être signifiée au propriétaire (bailleur).
Si une telle demande est introduite, elle devra également être déposée auprès de l'Administration générale de la Documentation Patrimoniale. Cette transcription devra également être effectuée si la demande est acceptée, auquel cas le jugement vaut titre de propriété.
Le locataire, subrogé à l'acheteur, devra alors payer le prix à l'acquéreur.
Toutefois, le locataire devra rembourser à l'acheteur les frais de l’acte. Les droits d'enregistrement payés par l'acheteur seront remboursés par l'administration fiscale à la demande de l'acheteur.
Toutefois, le locataire dispose également d'une action directe contre le propriétaire si celui-ci n'a pas respecté le droit de préférence.
Ce droit se prescrit par un an à compter de la date de transcription du procès-verbal de l’adjudication publique ou de la signification de l'acte authentique constatant la vente sous seing privée. Par conséquent, si les droits d'un locataire sont violés, il faut tenir compte de ce délai.
Toutefois, ce délai ne s'applique pas à la responsabilité de l'agent immobilier et du notaire qui doivent faire face à des responsabilités contractuelles, extracontractuelles et disciplinaires auxquelles sont attachés des délais plus longs.
Chaque acteur du processus de vente doit donc être vigilant quant au respect des obligations attachées à ce droit de préférence.
7. Renonciation contractuelle ?
Le droit de préemption ne peut faire l'objet d'une renonciation contractuelle. Lors de chaque vente, le locataire doit donc avoir la possibilité d'exercer son droit.
8. A partir de quand ce droit de préférence s'applique-t-il ?
A partir du 6 janvier 2024, le droit de préférence doit être pris en compte. Toute vente débutant à partir de cette date (quelle que soit la date de conclusion du bail) devra donc respecter le droit de préférence. Si une vente est déjà en cours, cela ne s'appliquera pas, mais il faut savoir que vous devrez être en mesure de prouver que la vente a été entamée avant le 6 janvier.
Ulrike Beuselinck