Depuis août 2020, l’Autorité belge de la Concurrence (ci-après « l’ABC ») dispose d’une compétence particulière en matière d’abus de dépendance économique. L'interdiction d'abus de dépendance économique prévue par l'article IV.2/1 du Code de droit économique vise la situation dans laquelle une entreprise abuse de la dépendance économique relative d'une autre entreprise (par exemple, un fournisseur ou un client) lorsque l'une est un partenaire économique indispensable pour l’autre.
Pour démonter l'existence d'un abus de dépendance économique, trois conditions cumulatives doivent être remplies:
- l'existence d'une position de dépendance économique (impliquant 1. l'absence d'une alternative raisonnablement équivalente et 2. la possibilité pour une entreprise d'imposer des conditions/services impossibles à obtenir dans des circonstances normales de marché) ;
- un abus de cette position (refus de livrer, conditions discriminatoires, prix excessifs, etc.) ; et
- la possibilité que cet abus affecte la concurrence sur le marché belge ou une partie substantielle de celui-ci.
En vertu du Code de droit économique, l'ABC est habilitée à imposer des mesures temporaires, des amendes et des sanctions en cas d’abus de dépendance économique. Nonobstant de nombreuses plaintes, aucune décision formelle n'a encore été adoptée à ce sujet. Jusqu’à présent, cette problématique avait essentiellement fait l’objet de jugements et arrêts des juridictions nationales.
Pour la première fois, l’ABC a annoncé, le 28 novembre 2023, avoir ouvert une instruction d’office pour abus de dépendance économique dans le secteur agricole à la suite d’une enquête préliminaire ayant révélé des indices sérieux d’une possible infraction.
Ce secteur était déjà considéré comme un secteur potentiellement concerné par cette nouvelle interdiction lors de la procédure d’adoption de la loi. En effet, les travaux parlementaires qui mettaient en exergue les secteurs économiques concentrés citent explicitement le secteur agricole en raison du fait que les agriculteurs sont souvent des « fournisseurs de grandes entreprises […] si bien qu’il leur est quasiment, voire totalement impossible d’échapper à leurs obligations contractuelles vis-à-vis de leur cocontractant ».
Diverses entreprises dénonçant des abus de dépendance économiques de leurs relations commerciales ont pris contact avec l’ABC depuis l’entrée en vigueur de la loi. Grace à ces dossiers, l’ABC a établi un cadre d’analyse pour ce type de pratiques restrictives. Malheureusement, ce cadre d’analyse n’a pas été publié malgré l’annonce de la publication de lignes directrices il y a trois ans.
L’instruction en question porte sur l’une des principales filières agricoles belges et plus particulièrement sur un produit dont la Belgique est un important producteur dans l’Union européenne, sans que celui-ci ne soit précisé dans le communiqué de presse de l’ABC. L’organisation de cette filière est caractérisée par une forte concentration des acheteurs, tandis que l’offre du côté des agriculteurs est très fragmentée. De ce fait, une possible dépendance économique des agriculteurs actifs dans cette filière précise est susceptible d’affecter la concurrence sur le marché belge.
La décision de l’ABC devrait être adoptée dans le courant de l’année 2024.
Annabelle Lepièce
Nawal Bouzinab-Chuitar