06/06/23

Transfert frauduleux : la loi sur les services de paiement protège le banquier du bénéficiaire du paiement

(Cour d’appel, 4e ch., 7 mars 2023, arrêt n° 39/23 IV)

La décision que la Cour d’appel a rendue le 7 mars 2023 (aujourd’hui coulée en force de chose jugée), mérite d’être soulignée par rapport à la question de la responsabilité du banquier, ou plus généralement du prestataire de services de paiement (PSP), lorsque celui-ci exécute un virement qui s’avère être frauduleux.

Traditionnellement, la question était toisée par les juridictions luxembourgeoises à l’aune de la théorie du mandataire substitué contenue dans l’article 1994, alinéa 2, du Code civil.

Selon cette théorie, le banquier du bénéficiaire du virement agissait non seulement en qualité de mandataire du bénéficiaire pour la réception et l’encaissement du paiement, mais également en qualité de mandataire substitué du donneur d’ordre en tant que celui-ci le charge d’inscrire la somme virée au crédit du bénéficiaire. Il en résultait que le banquier du bénéficiaire du virement était responsable envers le donneur d’ordre en cas d’inexécution fautive de ses obligations, et notamment en cas de manquement à ses obligations de prudence et de diligence alors qu’il avait exécuté un virement frauduleux.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel le 7 mars 2023 abandonne cette approche traditionnelle. Suivant en cela l’argumentation développée par MOLITOR, la Cour d’appel juge que les dispositions de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement (la « loi de 2009 ») doivent tout au contraire protéger le PSP du bénéficiaire du virement.

Les faits en cause, qui ont malheureusement tendance à se banaliser depuis plusieurs années, concernaient une société française (la « Société ») victime de ce que la typologie du virement frauduleux dénomme la « fraude au président »1. La comptable de la Société avait en effet initié un ordre de virement qui lui avait été demandé dans un e-mail prétendument envoyé par son employeur pour paiement d’une fausse note d’honoraires d’avocat au montant conséquent. La banque française de la Société (le PSP du donneur d’ordre) exécuta le virement au profit d’un compte ouvert dans les livres d’un PSP luxembourgeois (le PSP du bénéficiaire du virement). La quasi-totalité des fonds réceptionnés sur le compte luxembourgeois du bénéficiaire fut presqu’immédiatement transférée sur un autre compte à l’étranger aux première heures du lendemain matin, sans que la Société et sa banque n’aient pu avertir le PSP du bénéficiaire en temps utile. 

La Société recherchait la responsabilité du PSP du bénéficiaire du virement pour ne pas avoir bloqué les fonds reçus sur le compte luxembourgeois, alors qu’il aurait été informé ou n’aurait pu ignorer la fraude entachant le virement.

La Société basait sa demande sur la théorie du mandataire substitué et affirmait que malgré l’absence de relation contractuelle entre elle et le PSP du bénéficiaire du virement, ce dernier avait agi en tant que mandataire substitué de sa banque (PSP du donneur d’ordre) pour les besoins de l’exécution du virement. Le PSP du bénéficiaire aurait ainsi été tenu d’une obligation de prudence et de diligence dans l’exécution de ce mandat et aurait dû, selon la Société, ne pas exécuter, ou à tout le moins différer, le virement en présence d’une anomalie apparente ou d’un virement qu’il savait frauduleux, sous peine d’engager sa responsabilité sur base de l’action directe ouverte au donneur d’ordre par application de l’article 1994, alinéa 2 du Code civil. 

En réponse à ces arguments, la Cour d’Appel a repris les moyens de défense soulevés par MOLITOR qui agissait à l’appui des intérêts du PSP du bénéficiaire, et a jugé que le régime de responsabilité mis en place par la loi de 2009 devait s’appliquer exclusivement aux droits et obligations liés à la prestation et à l’utilisation de services de paiement. 

Le litige se situait sans conteste possible dans le champ d’application de la loi de 2009 puisque tant le PSP du donneur d’ordre que le PSP du bénéficiaire étaient situés dans un État membre de l’Espace économique européen (EEA) et que le virement était libellé en Euro.

En conséquence de l’application exclusive de la loi de 2009, la Cour d’appel a jugé qu’il convenait d’écarter la théorie du mandataire substitué.

La loi de 2009 impose en effet qu’à partir du moment où l’ordre de virement est reçu par le PSP du donneur d’ordre, il ne peut en principe plus être révoqué et doit être exécuté par le PSP du bénéficiaire dès que toutes les conditions du contrat lié au compte du donneur d’ordre sont réunies.

De plus, le régime de responsabilité distributive mis en place par l’article 101 (1) de la loi de 2009 implique que le PSP du donneur d’ordre et celui du bénéficiaire ne peuvent être responsables qu’à l’égard de leur client respectif, et que le PSP du bénéficiaire n’engage sa responsabilité envers le bénéficiaire pour la bonne exécution de l’opération de paiement que s’il a reçu le montant de l’opération de paiement et n’a pas mis le montant à disposition du bénéficiaire.

Dans l’espère soumise à la Cour d’appel, l’article 101 (1) de la loi de 2009 n’ouvrait aucune action en responsabilité au profit du donneur d’ordre à l’encontre du PSP du bénéficiaire du virement. Le virement avait en effet été valablement exécuté en conformité avec les dispositions de cette loi, et les fonds avaient été crédités sur le compte renseigné par la Société dans son ordre de virement et ouvert au nom du bénéficiaire. La Cour d’appel a donc décidé de rejeter les demandes du donneur d’ordre à l’encontre du PSP du bénéficiaire en ce qu’elles étaient non-fondées, refusant de reconnaître la responsabilité de celui-ci.

1  Cellule de renseignement financier, Note – Faux virements. Analyse des typologies (version du 24 avril 2019).

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