Comme cela a été annoncé par la presse, le droit des obligations et contrats va connaître une cure de jouvence inédite depuis près de deux siècles avec l’entrée en vigueur du livre 5 du Code Civil.
Si cette réforme entraîne plus une évolution qu’une révolution, quelques grandes nouveautés ont été consacrées, avec en tête d’affiche, la consécration de la théorie de l’imprévision.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation avait toujours refusé d’appliquer cette théorie, selon laquelle les contrats doivent ou peuvent être modifiés ou renégociés si des circonstances nouvelles sont apparues depuis la conclusion du contrat qui modifient très sérieusement l’équilibre contractuel initialement prévu.
1. Qu'est-ce que la théorie de l'imprévision ?
L’imprévision se définit comme une modification générale de l’équilibre de l'exécution du contrat dû à un changement de circonstances indépendant de la volonté des parties et se relevant extraordinaires. Ces circonstances ne pouvant être raisonnablement prévues au moment de sa formation pourrait entraîner sa révision par le juge, à l’avantage de la partie lésée par le changement de circonstances.
La théorie de l’imprévision autorise donc la révision du contrat en cas de survenance de circonstances nouvelles, postérieurement à la conclusion du contrat, non imputables à la partie qui s’en prévaut, et lorsque ces circonstances ont eu pour effet de bouleverser l’économie contractuelle.
L’imprévision concerne donc des évènements qui affectent l’économie du contrat sans rendre l’exécution du contrat totalement impossible.
Prenons l'exemple d'un agriculteur qui n'est plus en mesure de respecter son obligation contractuelle de livrer des pommes de terre parce que sa récolte a été détruite par la pluie d’une durée exceptionnellement longue et des inondations subséquentes.
Cependant, l’agriculteur pour respecter son obligation contractuelle, a la possibilité d'acheter des pommes de terre sur un marché extérieur à un prix 100 % plus élevé que le prix convenu avec son client. De telles circonstances climatiques affectent l'économie du contrat sans rendre impossible l'exécution du contrat. L'agriculteur pourrait donc se prévaloir de la théorie de l'imprévision afin d’essayer de renégocier les conditions contrat.
2. Quelle est la différence entre la théorie de l'imprévision et le cas de force majeure ?
La force majeure et la théorie de l’imprévision visent chaque situation dans laquelle une partie à un contrat se trouve dans des difficultés pour exécuter ses obligations parce que les circonstances ont fondamentalement changé postérieurement à la conclusion du contrat.
Néanmoins, la situation de l’imprévision doit être distinguée de celle de la force majeure
En effet, un débiteur ne peut invoquer la force majeure que si le changement de circonstances a rendu impossible l’exécution de son obligation. Pour la théorie de l’imprévision, il suffit toutefois que le changement de circonstances ait comme conséquence que le débiteur subisse des difficultés substantielles pour exécuter son obligation, en raison d’un bouleversement de circonstances.
L’imprévision couvre donc des situations plus larges que la force majeure, qui est très restrictive.
3. Comment la théorie de l'imprévision était-elle consacrée en droit belge avant la réforme ?
Alors que d’autres pays avaient déjà intégré cette théorie dans leur ordre juridique (dont notre voisin français), aucune disposition légale, en droit belge, n’admettait cette théorie à l'exception des marchés publics.
En effet, le droit belge des marchés publics prévoyait déjà explicitement l’application de la doctrine de l’imprévision. Ainsi, sous certaines conditions, une révision du contrat est permis lorsque l’équilibre contractuel du marché est rompu au détriment ou à l’avantage de l’adjudicataire, pour quelque raison que ce soit, indépendante de la volonté du pouvoir adjudicateur.
En dehors du droit relatif aux marchés publics, La Belgique se distinguait d’autres pays, comme la France, l’Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni qui appliquaient déjà cette théorie.
4. Quelles sont les nouveautés apportées par la réforme ?
Le nouveau droit des obligations (Livre 5 du code civil) vient désormais consacrer la théorie de l’imprévision en droit belge.
Il permet ainsi à une partie de demander à son cocontractant de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- Un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger, comme par exemple des événements d'ordre naturel (tremblement de terre), économique (effondrement du cours d'une marchandise ou d'une monnaie), juridique (changement de législation, embargo), politique (guerre ou coup d'État) ou encore sanitaire (pandémie) ;
- Ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
- Ce changement n’est pas imputable au débiteur ;
- Le débiteur n’a pas assumé ce risque ;
- La loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.
La nouvelle loi prévoit également et explicitement que, pendant les renégociations, les parties sont tenues de continuer à remplir leurs obligations.
Mais attention ! Il est toutefois toujours possible d’exclure contractuellement cette obligation de renégociation.
Il faudra donc s’assurer qu’une telle clause n’est pas présente si l’on veut faire usage de ce droit de renégociation.
En outre, cette question devra être réfléchie avec son conseiller juridique au moment de la rédaction des nouveaux contrats. Alors il est important de bien être conscient de quel risque on souhaite courir : prévoir une exclusion de l’imprévision est une épée qui coupe dans les deux sens.
Si cette possibilité de renégociation n’est pas contractuellement exclue, mais que les renégociations sont rejetées ou échouent dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une des parties, soit modifier le contrat pour le mettre en conformité avec ce dont les parties seraient raisonnablement convenues lors de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, soit résilier le contrat en tout ou partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon les modalités qu’il fixe.
Le pouvoir du juge s’en trouve ainsi fortement renforcé, lui permettant même de modifier les termes d’un contrat.
5. Pour quels contrats la théorie sera-t-elle d’application ?
La nouvelle loi s'applique à partir du 1er janvier 2023 et aux contrats conclus après cette date.
6. Quelles sont les conséquences ?
La consécration de la théorie aura des impacts importants sur les futurs contrats. D’une part, il faudra réfléchir de l’intérêt éventuel d’exclure toute application de la théorie. D’autre part, les conditions d’application sont relativement larges (il faut un événement imprévisible et un changement de circonstance « rendant excessivement onéreuse l’exécution du contrat ») et susceptibles d’interprétation.
Le recours à un conseiller juridique pour rédiger de manière appropriée le contrat et conseiller chaque cocontractant confronté à une situation visée par le nouveau livre 5 est donc hautement suggéré.
Juliette Polus
Associate
Steve Griess
Partner