Il s'agit d'une déduction élémentaire, mon cher Watson : si un débiteur se trouve dans l'obligation de solliciter l'ouverture d'une procédure en réorganisation judiciaire, c'est que, bien souvent, il n'est plus à même d'honorer ses créanciers. Le sauvetage de l'entreprise passera dès lors inexorablement par une phase de négociation avec ceux-ci, dont l'accord final s'avèrera crucial pour le sort de l'entreprise.
Le sursis
Afin de permettre au débiteur d'entamer sereinement ces négociations dans le cadre d'une réorganisation judiciaire, la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises a prévu l'octroi d'une période de sursis, qu'elle définit comme un moratoire accordé par le tribunal au débiteur en vue de réaliser l'un des objectifs qu'elle vise, c'est-à-dire aboutir à un accord amiable, à un plan de réorganisation ou à un transfert sous autorité de justice.
L'analogie peut ainsi être faite avec les conventions dites de « standstill», conclues entre un prêteur et un emprunteur, et aux termes desquelles le prêteur accepte, pendant une période déterminée au cours de laquelle la renégociation du contrat de crédit est en cours, de ne pas dénoncer le crédit et de suspendre les demandes de paiement.
Le sursis a toutefois des effets plus larges puisqu'il suspend, notamment, les voies d'exécution des créances sursitaires1 , la transformation des saisies pratiquées avant le sursis, la possibilité de déclarer le débiteur en faillite et le droit de pratiquer des saisies conservatoires du chef de créances sursitaires. En revanche, il n'affecte pas la possibilité pour le débiteur de faire des paiements volontaires.
L'accord des créanciers
Le législateur a, par deux fois, privilégié la conclusion d'accords amiables entre le débiteur et ses créanciers. Il est ainsi prévu qu'un tel accord peut être conclu avant l'ouverture de toute procédure en réorganisation judiciaire ou dans le cadre d'une telle procédure. S'il s'avère indispensable d'entamer ladite procédure, elle pourra revêtir trois formes : soit l'accord amiable, sous supervision judiciaire donc, soit l'accord collectif, soit le transfert sous autorité de justice. Nous nous limiterons, dans le cadre du présent article, à l'examen des deux premières possibilités.
L'accord amiable en dehors de la procédure judiciaire est prévu par l'article 15 de la loi, qui permet au débiteur de proposer un ou plusieurs accords à ses créanciers, pour autant que chaque accord soit conclu avec au moins deux d'entre eux.
Ce procédé présente des avantages non négligeables. La négociation d'abord, les créanciers appréciant la possibilité de participer à une solution équitable plutôt que de se retrouver mis devant le fait accompli. La souplesse ensuite, l'accord étant soumis à leur entière liberté contractuelle, sans toutefois pouvoir obliger les tiers2 . L'efficacité également, tant l'accord que les actes accomplis en exécution de celui-ci étant (sauf certaines exceptions dont la fraude) opposables aux tiers, même en cas de faillite postérieure de l'entreprise3 , à condition toutefois d'être déposé au greffe du tribunal compétent. La discrétion enfin, car l'accord déposé au greffe sera conservé dans un registre auquel les tiers n'auront accès qu'avec l'assentiment exprès du débiteur. L'entreprise en difficultés n'aura donc, a priori, pas de raison de craindre que la conclusion d'un tel accord effraie ses créanciers.
Pas question cependant de conclure un accord pour privilégier ou préserver un créancier des conséquences d'une faillite inéluctable : l'accord doit être conclu dans le but d'assainir la situation financière de l'entreprise en difficultés et/ou, de la réorganiser et cette condition doit être formellement énoncée par l'accord lui-même.
S'il est conclu dans le cadre d'une procédure judiciaire prévue à l'article 43 de la loi, l'accord amiable reprendra, mutatis mutandis, les principes définis supra, à l'exception de la discrétion. Il sera conclu sous la surveillance du juge délégué et, éventuellement, avec l'aide d'un mandataire de justice. Quant au tribunal, il lui appartiendra, sur requête du débiteur et dans l'hypothèse où les créanciers se montreraient récalcitrants à ses propositions, d'apprécier l'opportunité de lui accorder des termes et délais. Une fois l'accord intervenu, celui-ci est acté par le tribunal qui, par son jugement (publié au Moniteur belge), clôt la procédure.
Si la tentative d'un accord amiable n'a pas été privilégiée par le débiteur ou si, au cours du sursis, celui-ne parait pas réalisable, il se peut qu'il espère obtenir l'accord de l'ensemble de ses créanciers sur un plan de réorganisation. C'est alors la procédure en réorganisation judiciaire par accord collectif, prévue à l'article 44 de la loi qui se mettra en place.
Le plan, d'une durée maximale de cinq années à dater de son homologation, doit comporter une partie descriptive, c'est-à-dire une analyse de l'état de l'entreprise, des difficultés qu'elle rencontre et des moyens à mettre en œuvre pour y remédier (article 47 de la loi). Il doit également prévoir une partie prescriptive, déployant les différentes mesures qui seront prises afin de permettre à l'entreprise de se redresser.
En outre, le plan doit reprendre la description des droits dévolus à l'ensemble des créanciers sursitaires et des créanciers à naître du fait du vote ou de l'homologation du plan, quelle que soit leur qualité (article 48 de la loi) et énoncer les contestations de créances, afin d'informer les intéressés sur leur ampleur et leur fondement.
A l'exception des mesures affectant les créanciers sursitaires extraordinaires, le débiteur peut prévoir des délais de paiement et des abattements de créances sursitaires en capital et en intérêts. Une renonciation à ceux-ci peut même être prévue, de même qu'une conversion des créances en actions dans l'entreprise en difficulté.
Soulignons enfin que le débiteur peut prévoir le paiement différencié de certaines catégories de créances, notamment en fonction de leur ampleur ou de leur nature. Ce principe a été admis, à plusieurs reprises, par les cours et tribunaux, malgré les contestations de certains créanciers qui, insatisfaits des propositions qui leur étaient formulées, ont vu dans le traitement différencié des créanciers, une violation du principe général de droit d'égalité et de non-discrimination. Bien que cette argumentation ait été suivie par quelques juridictions, la Cour constitutionnelle a, pour sa part, estimé qu'il appartenait au tribunal de commerce d'examiner s'il existait une justification raisonnable à ce règlement différencié, et ce au regard de l'intérêt général mais également des intérêts (parfois contradictoires) des différents intervenants dans la procédure.
Si le débiteur bénéficie d'une importante liberté dans la conception du plan, il lui appartiendra de convaincre la majorité de ses créanciers, représentant par leurs créances non contestées ou provisoirement admises, la moitié de toutes les sommes dues en principal.
Conclusion
Négociations équilibrées, liberté contractuelle et efficacité de mesures adaptées à l'entreprise en difficultés sont donc les maîtres mots d'une procédure qui a déjà rencontré un certain succès et ne demande qu'à faire ses preuves...
Steven Bauwens - Avocat
Vanessa de Francquen - Avocat associé
Audrey Despontin - Avocat
1Soit les créances nées avant le jugement d'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire ou nées du dépôt de la requête ou des décisions prises dans le cadre de la procédure.
2Le débiteur est donc libre de proposer les mesures qu'il souhaite aux créanciers qu'il choisit.
3L'accord amiable n'est en effet pas soumis aux articles 17, 2° et 18 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.