Les promoteurs immobiliers, dont l’activité habituelle consiste à céder avec TVA des bâtiments neufs, entretiennent une relation dangereuse avec la TVA. Ils sont en effet soumis à un régime TVA spécifique, présentant certes des avantages indéniables (droit à déduction immédiat de la TVA), mais aussi de sérieux inconvénients (obligation de payer la TVA sur la valeur de l’immeuble dans certains cas). Ce régime TVA, qui intéresse de nombreux acteurs du secteur immobilier, a fait l’objet d’un récent arrêt de la Cour de cassation.
Commençons par un petit rappel pour les non-initiés. En règle générale, la cession d’immeubles est exonérée de la TVA et est soumise aux droits d’enregistrement (au taux de 12,5% à Bruxelles et en Région wallonne). Ce principe souffre d’une exception notable : la cession d’un bâtiment neuf et du sol y attenant peut, moyennant le respect de certaines conditions, être soumise à la TVA.
Pour les « constructeurs professionnels » (également dénommés « promoteurs immobiliers »), toute cession portant sur un bâtiment neuf est obligatoirement soumise à la TVA. Ils ont par ailleurs la faculté de déduire immédiatement la TVA en amont. Voici un promoteur qui achète un terrain et y érige un bâtiment neuf, en vue revendre l’immeuble avec TVA. Tout au long du projet, les entrepreneurs adressent leurs factures au promoteur hors TVA, avec application du régime du report de perception. Ceci implique que le promoteur doit lui-même déclarer la TVA sur les travaux immobiliers au Trésor (au lieu de la verser aux entrepreneurs). Le promoteur ne doit pas toutefois pas effectivement payer cette TVA, grâce à son droit immédiat à déduction : la TVA due au Trésor en vertu du régime de report de perception est mentionnée dans les déclarations TVA périodiques comme « due » et « déductible ». Résultat des courses : le promoteur ne doit pas préfinancer la TVA sur les travaux immobiliers !
Quelles sont les personnes qui tombent dans cette catégorie de « constructeur professionnel » ? Toute personne (physique ou morale) qui exerce une activité économique habituelle consistant à construire ou acquérir des bâtiments (et terrains attenants) avec TVA, pour les céder ensuite avec application de la TVA, est visée. En pratique, l’administration fiscale a généralement égard aux élément suivants : les statuts (description de l’objet social), l’inscription au registre de commerce, la déclaration de commencement d’activité, l’intention de céder l’immeuble avec TVA dès l’entame du projet, etc. Suivant des décisions anticipées récentes, la réalisation d’un projet immobilier d’une certaine envergure (enjeu financier important, étalement du projet sur plusieurs années, ,…) pourrait même suffire à conférer la qualité de constructeur professionnel.
Ce régime fait toutefois aussi courir des risques sérieux. Il en va particulièrement ainsi (i) lorsque les immeubles ne sont pas cédés avec application de la TVA – mais des droits d’enregistrement – en raison de l’expiration du délai de deux ans endéans lequel le bâtiment est encore « neuf » ou (ii) lorsque l’immeuble est utilisé comme bien d’investissement (par exemple, en cas de mise en location du bien). Dans ces hypothèses, le promoteur est tenu d’opérer un « prélèvement », ce qui signifie qu’il doit verser la TVA au Trésor sur la valeur de l’immeuble à ce moment. Dans de nombreux cas, cette TVA sur le prélèvement n’est pas déductible, ce qui peut représenter une charge financière considérable pour le promoteur et grever la rentabilité de son projet.
A suivre un arrêt récent de la Cour de cassation du 14 mai 2020, l’acquisition de ce statut de constructeur professionnel peut s’opérer bien plus vite que l’on ne croit. En l’espèce, le contribuable considérait qu’il ne pouvait être considéré comme un constructeur professionnel (afin d’éviter les effets d’un prélèvement), au motif qu’il n’avait pas encore réalisé d’opérations immobilières. Suivant la Cour, une personne physique ou morale peut toutefois être qualifiée de constructeur professionnel dès lors qu’elle a, par des actes clairs, émis la volonté de vendre régulièrement des immeubles avec TVA. Aux yeux des magistrats, un contribuable a la qualité de constructeur professionnel même si, au moment de la cession, il n’a pas effectué des activités régulières de construction et de revente de bâtiments neufs.