Les nouvelles règles sur l’abus de dépendance économique sont entrées en vigueurs ce 22 août 2020. Nous soulèverons ci-dessous les 8 questions que toute société doit désormais se poser pour savoir si elle se trouve en position dominante et si un abus de cette situation pourrait lui être reproché. Il sera désormais essentiel pour toute société de faire établir un audit de ses contrats existants et de ses éventuels modèles afin de vérifier sa situation contractuelle au cas par cas (dominante ou dominée, abus éventuel de sa position).
La plupart des entreprises a entendu parler de cette petite révolution récente dans les contrats commerciaux entre sociétés (dits B2B) qui prévoit des sanctions en cas d’ « abus de dépendance économique » ainsi que la règlementation des clauses abusives pouvant remettre en cause tout ou partie d’un contrat conclu. Nous référons dans ce cadre à l’article déjà paru sur notre site web.
La première étape d’application de cette législation vient désormais d’être franchie avec l’entrée en vigueur, depuis de 22 août 2020, des règles et sanctions concernant le concept d’abus de dépendance économique par une société au préjudice d’une autre.
Nous avons compilé les 8 principales questions que toute société fait désormais bien de se poser pour être en règle avec cette réglementation.
1. Pourquoi cette nouvelle réglementation a-t-elle été adoptée ? Est-ce que mon entreprise est particulièrement visée ?
Cette nouvelle réglementation a été pensée et conçue suite aux nombreuses plaintes que le S.P.F. Economie recevait régulièrement et qui faisait état des situations et comportements suivants :
- Des rapports de force inégaux entre entreprise ;
- des entreprises avec une certaine puissance de marché qui imposent des conditions ou prestations injustifiées à une autre ;
- des entreprises démunies dans leur pouvoir de négociation face à des acteurs puissants ;
- des entreprises trompées ou induites en erreur dans leur décision de conclure une transaction, parfois même soumises à une pression injustifiée, au harcèlement ou à la contrainte physique ;
- des entreprises qui craignent des représailles commerciales en cas de contestations judiciaires, des risques financiers qui peuvent mettre la viabilité d’une entreprise en danger et surtout l’absence de solutions légales satisfaisantes.
2. Quelles sont les conditions pour entrer dans le cadre de cette nouvelle loi ?
La loi vise à réglementer les relations asymétriques entre sociétés, dans lesquelles une partie à un ascendant économique important sur l’autre.
Le critère légal d’application de cette loi est la dépendance économique.
Qui est l’entreprise « dominante » ?
Elle peut être définie comme étant celle se trouvant dans une situation lui conférant un certain pouvoir de marché lui permettant d’exercer sur ses partenaires une domination relative et d’imposer des prestations et des conditions qu’elle ne pourrait pas imposer sans ce pouvoir de marché.
Qui est l’entreprise « dominée» ?
L’entreprise en situation de dépendance économique, quant à elle, ne dispose pas d’alternative raisonnablement équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables.
Attention !
Le fait de tenir une entreprise en position de dépendance économique n’est pas interdit en soi. Seule l’exploitation abusive d’une telle situation (2ème condition) qui en plus est susceptible d’affecter la concurrence (3ème condition) est interdite.
3. Comment puis-je savoir si je suis une entreprise « dominante » ?
Cela doit être déterminé au cas par cas, mais il faudra en particulier examiner les critères suivants :
- le pouvoir de marché de l’entreprise en position de force ;
- les clauses contractuelles organisant la dépendance et rendant par exemple la sortie d’un réseau quasiment impossible ou compromettant irrémédiablement la survie de l’entreprise ;
- la part importante de l’entreprise dans le chiffre d’affaires de son partenaire, étant entendu que plus cette part est élevée, plus le risque de dépendance augmente ;
- la technologie ou le savoir-faire détenu par l’entreprise ;
- la notoriété forte d’une marque, la rareté d’un produit, la nature périssable d’un produit ou encore la loyauté d’achat des consommateurs ;
- l’accès à des ressources ou des infrastructures essentielles par une autre entreprise ;
- la crainte pour l’entreprise dominée de graves désavantages économiques, de représailles ou de fin de relation contractuelle ;
- l’octroi régulier à une entreprise de conditions particulières, telles que des rabais, qui ne sont pas accordées à d’autres entreprises dans des cas similaires ;
- le choix délibéré ou, au contraire, contraint d’une entreprise de se placer dans une position de dépendance économique.
De telles situations se retrouvent souvent dans le cadre d’une relation « producteur-fournisseur-distributeur-client », mais cela peut s’appliquer à beaucoup d’autres configurations.
4. Est-ce que la taille de mon entreprise est décisif pour savoir si je suis en position « dominante ou « dominée » ?
Ce n’est absolument pas le seul critère.
Toutes les entreprises peuvent être concernées et se trouver, selon les relations, « dominante » ou « dominée », tant les petites et moyennes entreprises que les grandes entreprises.
Une entreprise peut se trouver en position de dépendance économique à certains égards et bénéficier par ailleurs d’une position forte à d’autres égards.
Par exemple, une grande chaîne de magasin peut se trouver en position forte pour imposer des conditions commerciales qui seraient inéquitables à l’égard de certains fournisseurs qui y distribuent leurs produits et se trouver en position de dépendance économique quant à ses fournisseurs d’installations logistiques ou informatiques par exemple.
5. Je suis dominant dans certaines de mes relations, mais cela n’est pas interdit en soi, quand serais-je alors sanctionné ?
Comme indiqué plus haut, il faut qu’un acte abusif ait été posé.
Dans le cadre des discussions lors de l’adoption de la loi, les exemples suivants ont été donnés comme pouvant être constitutif d’abus :
1. le refus d'une vente, d'un achat ou d'autres conditions de transaction ;
2. l'imposition de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables ;
3. la limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs ;
4. le fait d'appliquer à l'égard de partenaires économiques des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
5. le fait de subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires économiques, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
6. Que veut dire la 3ème condition de l’ « affectation de la concurrence » de l’abus qui aurait été commis ?
C’est certainement la condition la plus abstraite qui donnera lieu à de nombreux débats.
Il est prévu que l’abus de dépendance économique doit être susceptible d’affecter la concurrence, mais cela veut donc dire que cette affectation peut être simplement potentielle et non réelle.
Il n’y a pas de critère légal complémentaire, et il est probable que cette condition soit appréciée de manière assez souple par les tribunaux qui constateraient que les deux premières conditions sont réunies, en se référant simplement à la « potentialité » de l’affectation de la concurrence suite à l’abus constaté.
7. Quelles sont les sanctions que je peux encourir ?
L'abus d'une position de dépendance économique peut être sanctionné par l'Autorité belge de la concurrence par des amendes jusqu'à 2% du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.
Cet abus peut également donner lieu à des actions devant les tribunaux pour des dommages-intérêts, en cessation ou de l'annulation de tout ou partie d'un contrat.
8. Que dois-je faire désormais pour être en règle ?
Toute entreprise, peu importe sans taille, étant concernée par cette règlementation, il est essentiel qu’elle fasse un audit de ses contrats existants et ses éventuels modèles afin de vérifier qu’elle ne se trouve pas dans un cas sanctionable par cette nouvelle loi.