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Arrêt du 10 février 1998 (Bruxelles). RG 96AR1629

Date : 10-02-1998
Langue : Français
Taille : 9 pages
Section : Jurisprudence
Source : Justel F-19980210-1
Numéro de rôle : 96AR1629

(Vu les pièces de la procédure, notamment :
- l'appel, régulièrement interjeté par requête déposée au greffe de la cour le 21 mai 1996, contre un jugement prononcé contradictoirement par le tribunal de première instance de Bruxelles le 30 avril 1996, signifié le 19 juin 1996;

1. Antecedents - objet de l'appel

Les antécédents pertinents de la cause peuvent être résumés comme suit.

L'appelante, née le ... 1968 à Oran (Algérie), de nationalité algérienne, a bénéficié d'une éducation qu'elle qualifie d"'occidentalisée et francophile", qui lui a valu de pouvoir poursuivre des études supérieures, et d'accéder, à partir du 27 septembre 1992, à un poste d'enseignants en physique dans un établissement secondaire technique de la région d'Oran.

L'intimé, né le ... 1951 à Marta (Italie), de nationalité italienne, est quant à lui fonctionnaire de la CEE à Bruxelles où il occupe un emploi d'huissier.
L'appelante est arrivée le 11 juillet 1994 en Belgique munie d'un visa touristique d'une durée de validité d'un mois. Elle entendait séjourner chez sa tante, Madame H..., qui vit à Bruxelles, ayant épousé un Belge.

Ayant découvert dans l'hebdomadaire "toutes boîtes", VLAN, du 13 juillet 1994, l'annonce matrimoniale insérée par l'intimé, rédigée en ces termes :
"41 A - 1m78- sérieux doux stable (CEE) cél ch JF pour fonder foyer (aussi cél) tél. ...", l'appelante prit contact avec ce dernier par téléphone le vendredi 15 juillet 1994; les parties convinrent d'un rendez-vous pour le lendemain 16 juillet 1994.

L'intimé passa chercher L'appelante au domicile de sa tante, et l'invita dans un établissement de la Place de Brouckère.

L'intimé affirme que dès cette première rencontre, l'appelante aurait évoqué l'idée d'un mariage, lui indiquant que son visa ne lui permettait de demeurer en Belgique que jusqu'au 10 août.

L'appelante conteste ces allégations, affirmant pour sa part que "les parties se plurent immédiatement et que l'intimé (lui) fit part très rapidement de son souhait de se marier avec elle", l'intimé indiquant également que si le mariage ne se déroulait pas très rapidement, elle devrait retourner en Algérie pour le début de l'année scolaire, et que les parties perdraient ainsi un an pour réaliser leur projet matrimonial.

Quoi qu'il en soit, il est constant que le projet de mariage fut formé très rapidement, puisque les documents officiels nécessaires à la conclusion du mariage, que les parties avaient dû faire expédier respectivement d'Algérie et d'Italie, furent déposés dès le 3 août 1994 à l'administration communale de Schaerbeek, la publication des bans intervenant le .. août 1994.

Le mariage fut célébré le .. août 1994 devant l'officier de l'état civil de Schaerbeek, en présence de la tante de l'appelante et de son époux, et de la soeur de l'appelante.

L'appelante s'installa après le mariage dans l'appartement de l'intimé.

Très vite, la mésentente s'installa entre parties, pour des motifs liés, dans un premier temps du moins, aux difficultés de consommation du mariage.

Il n'est pas contesté que les parties n'ont pas entretenu de rapports sexuels complets durant les premiers jours qui ont suivi le mariage, l'appelante affirmant que des motifs d'ordre physique rendaient les tentatives de pareils rapports très douloureuses, l'intimé affirmant pour sa part que l'appelante se refusait purement et simplement à entretenir des rapports sexuels complets parce qu'elle n'aurait jamais eu l'intention de créer un foyer avec lui, mais uniquement celle d'obtenir grâce à son mariage la possibilité de s'établir en Belgique. L'intimé ne conteste cependant pas avoir entretenu d'autres formes de rapports sexuels avec l'appelante (masturbation, fellation).

Il est constant que l'appelante a consulté le 25 août 1994 un gynécologue auprès de qui elle a fait état de difficultés de rapports sexuels.

L'intimé affirme que de violentes disputes auraient opposé les parties les 28 et 29 août 1994, au cours desquelles l'appelante l'aurait menacé et insulté, et lui aurait porté des coups au visage et au ventre, ce que l'appelante dément formellement.

Le 29 août 1994, l'intimé chercha conseil auprès d'une de ses connaissances, étant également son supérieur hiérarchique à la CEE, Monsieur R..., à qui il fit part des difficultés concernant ses rapports conjugaux, notamment sexuels.

Monsieur R... se présenta le 29 août 1994 au domicile des parties, où il eut un entretien avec l'appelante, lui déclarant entre autres, suivant le compte-rendu établi par lui-même : "...Madame, si vous voulez ce mariage, je vous laisse le temps jusqu'à ce soir pour consommer le mariage avec votre mari. Il pénètre en vous de force ou de gré, même si vous deviez vous asseoir sur lui. Promis ? Car autrement il n'y aura pas de mariage et vous devez rentrer dans votre pays."
L'intimé ne regagna pas le domicile conjugal dans la nuit du 29 au 30 août 1994.

Il n'est pas contesté que dès le 30 août 1994, l'intimé consulta son avocat, et que la possibilité de faire annuler le mariage fut évoquée à cette occasion (cfr. conclusions additionnelles de l'intimé déposées devant le premier juge, page 5).

De retour au domicile conjugal le 30 août 1994, l'intimé entretint cependant à nouveau des rapports sexuels avec son épouse, rapports complets et ce à deux reprises, ainsi que l'intimé l'a indiqué lors de la comparution personnelle devant la cour.

Il n'est pas contesté que l'appelante prit l'initiative de téléphoner à Monsieur R... pour lui annoncer la nouvelle de la consommation du mariage.
L'appelante affirme avoir souffert de saignements importants suite à ces rapports sexuels, l'intimé affirmant pour sa part qu'il s'agissait de "comédie" (voir Procès Verbal de comparution personnelle du 8 janvier 1998) et d'un nouveau prétexte de l'appelante pour ne plus avoir de rapports sexuels avec lui.
Il est constant que l'appelante a à nouveau consulté son gynécologue le premier septembre 1994 pour un problème de "saignement génital".

Il n'est pas contesté qu'une nouvelle dispute éclata entre parties le 2 septembre 1994, les parties se reprochant mutuellement d'avoir fait usage de violence.

L'intimé a reconnu lors de la comparution personnelle s'être emparé à cette occasion d'une petite table et "avoir fait semblant de menacer" l'appelante.

L'intervention de la gendarmerie fut requise et sur les conseils de celle-ci, l'appelante se rendit chez sa tante.

L'intimé a reconnu lors de la comparution personnelle qu'après cette dispute, il fit changer les serrures pour empêcher l'appelante de rentrer au domicile conjugal.
Une nouvelle scène opposa à cet égard les parties le 5 septembre 1994, justifiant cette fois l'intervention de la police communale de Schaerbeek, qui selon l'appelante lui conseilla de retourner provisoirement chez sa tante.

Le 16 septembre 1994, l'appelante déposa, devant le Juge de Paix du troisième Canton de Schaerbeek, une requête fondée sur l'article 223 du Code Civil, tendant à obtenir des résidences séparées et un secours alimentaire de 25.000 francs par mois.

Cette procédure ne fut toutefois pas poursuivie, l'intimé ayant introduit devant le premier juge une demande en annulation du mariage par citation du 27 septembre 1994.

Cette demande fut déclarée recevable et fondée par le jugement entrepris.

L'appel tend à obtenir que l'intimé soit débouté de sa demande originaire, l'intimé concluant pour sa part à la confirmation du jugement entrepris.

2. Discussion

A. EN CE QUI CONCERNE LE DROIT APPLICABLE

Le mariage ayant été célébré en Belgique, il n'est pas contesté que la loi belge est applicable aux conditions de forme, en application de la règle "Locus régit actum"; il n'est pas davantage contesté que ces conditions ont été respectées.

En ce qui concerne les conditions de fond, le premier juge a admis à juste titre que, les parties étant de nationalité différente, il convenait de rechercher si chacune d'elles avait satisfait aux conditions définies par son statut personnel.

Pour ce qui est du droit italien applicable à l'intimé, le premier juge a relevé à bon droit que les conditions de fond régissant la validité de l'engagement matrimonial (article 84 à 88 du Code civil italien) étaient fort proches des conditions édictées par le droit belge, et qu'il n'était pas contesté que l'intimé y avait satisfait.

Le premier juge a ensuite également relevé à juste titre que le droit de la famille algérien s'écartait très sensiblement du droit belge notamment en ce qu'il prévoyait la constitution d'une dot à charge de l'époux (article 9 du Code de la famille algérien), l'intervention d'un tuteur matrimonial (articles 9 et 11), et enfin l'interdiction pour une femme musulmane d'épouser un non musulman (articles 31 et 97), alors même que ces deux dispositions ne prohibent pas le mariage d'un musulman avec une non musulmane.

Le premier juge a considéré à bon droit et pour de judicieux motifs, que la cour fait siens, que ces dispositions étaient contraires à l'ordre public international belge notamment en ce qu'elles introduisaient une discrimination quant à la liberté matrimoniale des époux en fonction de leur sexe et/ou de leur religion, pareille discrimination heurtant les principes de liberté et d'égalité qui sont considérés comme essentiels dans notre ordre moral et politique.

L'intimé, qui se borne en conclusions d'appel à reprendre l'argumentation qu'il avait développée devant le premier juge concernant la nullité du mariage au regard du droit algérien, ne formule aucun grief précis à l'encontre de la motivation développée par le premier juge pour écarter l'application de ce droit algérien, si ce n'est sur le point précis de la dot, l'intimé considérant que "c'est à tort que le premier juge n'a pas retenu cet élément, l'obligation de verser une dot ne contrevenant en rien aux dispositions de l'ordre public international belge dès lors qu'elle ne contrevient pas aux principes de liberté et d'égalité".

Il paraît cependant évident que si l'une des conditions de fond essentielles du mariage en droit algérien, à savoir la prohibition du mariage entre une musulmane et un non musulman - mariage considéré en droit algérien comme nul de nullité absolue - doit être écartée en raison de sa contrariété manifeste à l'ordre public international belge, il serait absurde d'exiger des parties le respect des autres conditions de fond exigées par cette même législation. Les parties n'ont, à juste titre, pas entendu soumettre leur mariage au respect du droit algérien, ce que l'intimé précise d'ailleurs en particulier au sujet de la dot en déclarant "qu'à aucun moment, le paiement d'une dot ne lui a été demandé, paiement auquel il se serait refusé, cette conception musulmane d'un élément constitutif du mariage étant contraire aux coutumes et aux lois en vigueur tant en Italie qu'en Europe".

Il convient donc d'écarter le droit algérien relatif aux conditions de validité du mariage dans son ensemble.

Par ailleurs, il n'est pas contesté par les parties qui y consacrent l'essentiel de leur argumentation, qu'il convient d'examiner selon les règles du droit belge la sincérité du consentement au mariage donné par l'appelante, la sincérité du consentement de l'intimé n'étant pas remise en cause.

B. EN CE QUI CONCERNE LE CONSENTEMENT DE L'APPELANTE

L'intimé, suivi en cela par le premier juge, soutient que l'appelante n'a pas donné un consentement sincère au mariage, son seul but ayant été "de se procurer un statut lui permettant de demeurer en Belgique et d'y obtenir un permis de travail", ou encore "de fuir le régime politique et religieux que connaît actuellement l'Algérie";

Le mariage étant défini comme "l'acte par lequel l'homme et la femme établissent entre eux, de commun accord, une communauté de vie que la loi protège et qu'ils ne peuvent rompre à leur gré" (De Page, Traité, tome II, numéro 484), il y a simulation entraînant la nullité lorsque les prétendus époux ou l'un d'entre eux n'ont pas entendu, lors de la conclusion du mariage, donner leur adhésion sincère à un projet de vie en commun. Il est cependant admis qu'à partir du moment où le mariage est voulu en lui-même, sinon pour lui-même, le mobile ou l'arrière-pensée qui l'a inspiré est sans pertinence (Civ. Bruxelles, 11/12/90, J.T. 91, page 412); il n'est dès lors pas défendu de rechercher par le mariage un avantage accessoire, et le mariage d'argent, d'intérêt ou "de raison" est parfaitement valable si les époux ou l'un d'eux n'ont pas entendu exclure lors de la conclusion de celui-ci, la vie en commun.

La preuve de la simulation peut être rapportée par toutes voies de droit et peut se fonder sur un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes; la charge en incombe à celui qui invoque la simulation, en l'occurrence l'intimé.

L'intimé entend rapporter cette preuve sur base de l'ensemble des éléments suivants :

  • le non-respect par l'appelante des conditions imposées par sa loi nationale et par sa religion pour contracter mariage;
  • la précipitation mise par l'appelante à vouloir contracter mariage avec une personne rencontrée par le biais d'une annonce matrimoniale, précipitation résultant selon l'intimé du fait que l'appelante ne disposait que d'un visa touristique d'une durée limitée, non renouvelable;
  • les refus répétés de l'appelante d'entretenir des rapports sexuels;
  • le comportement agressif de l'appelante à son égard durant la brève période de vie commune;
  • le fait que l'appelante n'ait pas repris son poste d'enseignants en Algérie malgré l'injonction qui lui en fut faite le 4 octobre 1994, et alors qu'il paraissait acquis depuis le 5 septembre 1994 qu'il y avait absence d'union réelle;
  • l'absence de volonté de cohabitation dénotée par l'introduction, le 16 septembre 1994, d'une requête fondée sur l'article 223 du Code Civil devant le Juge de Paix du troisième Canton de Schaerbeek.

Le premier juge a admis la thèse de l'intimé, considérant notamment que "le projet de fonder un foyer durable a été abandonné avec une rapidité extrême par la défenderesse qui se fixa chez un tiers après une cohabitation tellement brève et peu expressive d'une réelle volonté matrimoniale, qu'il se déduit de ce comportement...que la volonté de s'unir au demandeur était feinte".

Le non-respect par l'appelante des conditions mises par sa loi nationale et/ou sa religion à la validité du mariage ne pourrait en l'espèce être considéré comme un indice du fait qu'elle n'aurait pas sincèrement entendu contracter mariage; l'appelante a exposé que tout en étant de tradition musulmane, et attachée à certaines valeurs musulmanes, elle avait reçu une éducation chrétienne et occidentale, respectueuse de l'égalité entre l'homme et la femme, ce qui paraît vraisemblable puisqu'elle a pu poursuivre en Algérie des études supérieures.

Il est dès lors tout à fait normal qu'elle n'ait pas respecté les prescrits de sa loi nationale et/ou de sa religion méconnaissant de manière flagrante cette égalité. Par ailleurs, l'appelante ne pourrait être taxée de mauvaise foi pour avoir néanmoins, en respect de certains principes musulmans, voulu préserver sa virginité jusqu'au jour du mariage; il convient d'ailleurs d'observer à cet égard que la religion catholique traditionnelle comporte également pareille prescription.

En ce qui concerne la précipitation à vouloir contracter mariage, imputée par l'intimé à la seule appelante, les allégations de l'intimé selon lesquelles ce serait l'appelante qui aurait évoqué l'idée d'un mariage dès la première rencontre des parties, sont contestées par l'appelante et n'apparaissent nullement établies. Il n'est pas davantage établi que ce serait l'appelante seule qui aurait effectué toutes les démarches en vue de la célébration du mariage, comme l'intimé l'affirme en conclusions additionnelles d'appel (page 3), contrairement à ce qu'il soutenait devant le premier juge (voir notamment conclusions principales en première instance, page 2).

S'il n'apparaît guère contestable que la décision du mariage a été prise dans la précipitation, et qu'il aurait certainement mieux valu que les parties prennent le temps de la réflexion, il n'apparaît pas pour autant établi que cet empressement ait été le seul fait de l'appelante, les parties étant contraires en fait sur ce point.
Il convient d'observer qu'il ne paraît nullement invraisemblable que l'intimé ait également eu hâte de se marier, dès lors qu'il résulte de son audition par la cour qu'il avait déjà placé auparavant, apparemment sans résultat durable, diverses annonces matrimoniales en vue de trouver une compagne, et que le fait de trouver une candidate au mariage jeune, d'un physique agréable et intelligente de surcroît pouvait lui sembler une chance inespérée.

Il résulte également de l'audition des parties que l'intimé était très désireux d'entretenir des relations sexuelles avec l'appelante, ce que celle-ci ne concevait que dans le cadre du mariage.

A première vue, il paraît certes surprenant que l'appelante, à peine arrivée en Belgique, ait répondu à une annonce matrimoniale parue dans un journal "toutes boîtes", alors qu'elle se trouvait en vacances en Belgique pour une durée d'un mois et disposait d'un emploi stable dans son pays d'origine. L'appelante a cependant exposé devant la cour qu'elle avait toujours rêvé d'épouser un européen, comme sa tante, parce qu'elle pensait qu'un homme élevé à l'occidentale comme elle-même serait plus respectueux de la femme que ses compatriotes. Dans cette optique, il ne paraît pas anormal que l'appelante, qui était en âge de se marier, se soit intéressée aux annonces matrimoniales qui pouvaient lui paraître sérieuses, ce qui était le cas de celle de l'intimé, comme ce dernier se plaît à le souligner. De plus, l'appelante a déclaré à juste titre que répondre à une annonce matrimoniale ne l'engageait à rien. L'on ne peut donc déduire du fait que l'appelante ait répondu à l'annonce matrimoniale de l'intimé qu'elle avait l'intention de conclure à tout prix un mariage avec le premier européen venu, tout en excluant un projet de vie commune avec lui.

Au contraire, le "rêve" de l'appelante, tel que décrit par elle, incluait la vie commune avec un européen. Par la suite, il ne paraît pas invraisemblable que l'intimé ait pu, compte tenu du caractère superficiel des relations des parties durant les quelques semaines qui ont précédé le mariage, suffisamment séduire l'appelante pour qu'elle ait pu envisager un projet de mariage et de vie commune avec lui. L'intimé, de bonne présentation, se décrivant lui-même comme un homme "gentil et simple", disposait en outre d'un emploi stable et rémunérateur auprès de la CEE; il ne paraît pas contesté qu'au cours de la brève période durant laquelle il a courtisé l'appelante, il s'est montré fort galant, l'invitant au restaurant et lui offrant des cadeaux; l'appelante a déclaré devant la cour avoir eu le sentiment que l'intimé était à son écoute, qu'il la respectait et l'admirait. Une certaine naïveté de l'appelante, qui déclare ne pas avoir connu d'autre homme que l'intimé avant le mariage, ne paraît pas devoir être exclue.

Une fois le projet de mariage formé par les parties, il paraît évident que la durée limitée du séjour autorisé en Belgique de l'appelante a été un facteur déterminant de la rapidité avec laquelle ce projet s'est concrétisé; l'on ne peut pour autant conclure que l'appelante n'aurait eu d'autre but que d'assurer la poursuite de son séjour en Belgique, et qu'elle aurait exclu tout projet de vie commune avec l'intimé, les antécédents personnels de l'appelante permettant de fournir d'autres justifications non moins plausibles à son attitude.

Il ressort de ce qui précède que la rapidité avec laquelle le mariage a été conclu ne constitue pas à elle seule un indice suffisant de l'absence de sincérité du consentement de l'appelante.

L'intimé, suivi en cela par le premier juge, estime également que le comportement de l'appelante après le mariage, permettrait de conclure à la simulation dans son chef.

Cependant, les griefs formulés par l'intimé à l'égard de l'appelante apparaissent loin d'être établis.

En particulier, il n'apparaît nullement établi que l'appelante aurait opposé à l'intimé, sans aucune justification, des refus répétés d'entretenir des relations sexuelles.

Si l'appelante ne conteste nullement que les premiers jours du mariage, les époux n'ont pas eu de relations sexuelles complètes, la justification qu'elle avance, à savoir le fait que pareilles relations lui étaient à l'origine très douloureuses en raison de particularités liées à sa constitution physique, ne paraît nullement dénuée de crédibilité, compte tenu du rapport médical produit, faisant état d'une consultation gynécologique relative à ce problème le 25 août 1994, soit quelques jours après le mariage.

L'appelante fait également observer à juste titre que si elle n'entendait pas entretenir de rapports sexuels avec son futur époux, elle ne se serait pas présentée à une consultation gynécologique le 17 août 1994, soit deux jours avant le mariage, en vue de se faire prescrire des contraceptifs.

L'appelante observe également à bon droit qu'il ressort du compte rendu établi par Monsieur R..., qu'à défaut d'avoir des relations sexuelles complètes avec l'intimé, elle l'a néanmoins satisfait sexuellement par d'autres moyens, ce qui ne correspond pas du tout à l'attitude d'une femme rejetant sexuellement son époux.

S'il n'est pas contesté que les premiers rapports sexuels complets entre parties n'ont eu lieu qu'après l'intervention du sieur R..., ayant brandi la menace de l'annulation du mariage au cas où celui-ci ne serait pas consommé, l'on ne peut tirer de cet élément la conclusion univoque que l'intimé entend en tirer, à savoir que si l'appelante n'a consenti à des rapports conjugaux complets que sous la menace de l'expulsion, c'est parce qu'elle n'avait accepté d'épouser l'intimé que pour pouvoir continuer à résider en Belgique.

S'il n'est pas impossible que l'appelante ait été intimidée par les menaces proférées par Monsieur R... et reprises par son époux, son comportement peut également s'expliquer par la volonté de satisfaire, malgré ses problèmes physiques, la libido de son époux afin de ne pas compromettre un mariage qu'elle avait sincèrement voulu.

Par ailleurs, les problèmes de saignement génital auxquels l'appelante a été confrontée après les premiers rapports sexuels complets, ne ressortent nullement du domaine de la "comédie", comme l'a affirmé l'intimé lors de sa comparution devant la cour, mais sont au contraire corroborés par le rapport médical produit, qui atteste d'une consultation en urgence pour pareil problème le premier septembre 1994.

L'exagération des propos tenus devant la cour par l'intimé, n'hésitent pas à accuser son épouse de s'être volontairement bouché les parties génitales avec un morceau de tissu ou autre chose afin de rendre toute pénétration impossible, nuit à la crédibilité de ses affirmations concernant l'attitude que l'appelante aurait adoptée vis-à-vis de la sexualité.

Il résulte au contraire de l'audition des parties par la cour que l'intimé n'a fait preuve d'aucune compréhension face aux problèmes physiques bien réels éprouvés par l'appelante lors des premiers rapports sexuels.

Enfin, il n'apparaît nullement établi que l'appelante aurait refusé que l'intimé l'accompagne chez le gynécologue, les parties étant contraires en fait à cet égard, l'appelante soutenant que c'est au contraire l'intimé qui refusait de l'accompagner, ne supportant pas l'idée de voir ses propres aptitudes sexuelles éventuellement remises en cause.

Le comportement agressif dont l'appelante aurait fait preuve à l'égard de l'intimé dès la célébration du mariage n'est pas davantage établi, les parties se reprochant mutuellement un changement fondamental d'attitude dès le début de la cohabitation.

En particulier, il n'est pas établi que l'appelante aurait porté des coups à l'intimé les 28 et 29 août 1994, les certificats médicaux produits par l'intimé, dont le premier date du 10 septembre 1994 et les autres du mois de février 1995, ne rendant nullement vraisemblables les allégations de l'intimé à cet égard.

S'il n'est pas contesté que des disputes violentes ont rapidement opposé les parties, la cour ne dispose d'aucun élément permettant d'en imputer la responsabilité à l'appelante plutôt qu'à l'intimé. Au contraire, l'audition des parties par la cour a permis de démontrer une pusillanimité certaine de l'intimé, ancré dans des attitudes de célibataire endurci, n'hésitant pas, par exemple, à faire de véhéments reproches à l'appelante concernant la manière dont elle déchirait le papier de toilette.

Enfin, s'il est constant qu'après une vie commune de moins de trois semaines, l'appelante est retournée chez sa tante, il ressort de l'audition des parties par la cour que c'est sur les conseils de la gendarmerie, dont l'intervention avait été requise suite à une violente dispute entre parties, que l'appelante a agi de la sorte, et qu'elle n'a pu ensuite réintégrer le domicile conjugal en raison du fait que l'intimé avait fait changer les serrures.

L'on ne peut donc reprocher à l'appelante d'avoir quitté de son plein gré le domicile conjugal, ni d'avoir refusé de reprendre la cohabitation après une période de vie commune particulièrement brève.

L'on ne peut davantage lui reprocher d'avoir introduit, dans les circonstances ainsi décrites, une requête fondée sur l'article 223 du Code Civil devant le magistrat cantonal, pareille requête ne remettant d'ailleurs pas en cause la volonté de l'appelante de maintenir le lien conjugal.

En ce qui concerne le fait que l'appelante n'ait pas accordé de suite à l'injonction qui lui avait été faite le 4 octobre 1994 de reprendre son poste d'enseignante en Algérie, l'appelante a exposé à la cour que le document comportant cette injonction ne lui avait été transmis par sa mère qu'après que son exclusion pour abandon de poste ait déjà été décidée et que par ailleurs, son retour en Algérie, seule, après son mariage avec un européen, ne paraissait guère envisageable. Ces explications paraissent plausibles, de sorte que les faits invoqués ne paraissent pas devoir être interprétés comme un indice de l'absence de consentement sincère au mariage de l'appelante.

En conclusion, aucun des éléments avancés par l'intimé ne permet de considérer comme établi que l'appelante aurait dès la conclusion du mariage, entendu exclure tout projet de vie commune avec lui, et que son consentement au mariage n'aurait dès lors pas été sincère.

S'il est constant que le mariage des parties s'est soldé très rapidement par un échec, et qu'une des causes doit manifestement en être cherchée dans la précipitation avec laquelle les parties ont pris la décision de se marier, ces éléments ne permettent pas de conclure à la mauvaise foi de l'appelante.

L'intimé restant en défaut de rapporter la preuve de la simulation dont la charge lui incombe, le doute devant en l'espèce bénéficier à l'appelante, la demande en annulation du mariage litigieux apparaît non fondée.

PAR CES MOTIFS,
LA COUR,

Statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;
Entendu Monsieur R. D..., Substitut du Procureur Général en son avis émis à l'audience publique du 22 janvier 1998;
Déclare l'appel recevable et fondé.
Met à néant la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a reçu la demande de l'intimé et liquidé les dépens, et statuant à nouveau :
Déclare la demande de l'intimé non fondée.
En déboute l'intimé et le condamne aux dépens des deux instances, liquidés en totalité à 21.700 francs pour l'appelante et à 126.770 francs pour l'intimé.

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