Le droit de la responsabilité civile, toujours réglé par des règles datant de 1804, est subverti par le droit de l’environnement. Il est subverti au plan externe et au plan interne.
Au plan externe, une directive européenne (2004/35), qui a été récemment transposée dans notre droit national, vient ajouter de nouveaux concepts. A plan interne, des décisions audacieuses sont à mentionner.
La directive ne crée pas un régime du droit civil, mais un régime de responsabilité administrative, complémentaire du régime existant. Autrement dit, au triangle classique «demandeur-défendeur-juge», on a ajouté un nouveau schéma «exploitant-administration-citoyen».
En résumé, la directive cherche à protéger trois composants de l’environnement, à savoir les espèces et habitats naturels protégés, les eaux et les sols.
Ces ressources naturelles sont protégées de différentes manières. Premièrement, la directive fait peser sur les exploitants des obligations préventives et de réparation en cas de danger pour l’environnement ou de pollution avérée. Ensuite, les exploitants sont contrôlés par une autorité compétente (à Bruxelles l’IBGE et en Wallonie la DGO3, à savoir celle qui s’occupe des resources naturelles et de l’environnement). Enfin les citoyens peuvent alerter l’autorité en lui signalant des problèmes environnementaux, et en lui demandant de prendre des mesures d’intervention. Les citoyens peuvent même exercer des recours contre les actes ou omissions de l’autorité compétente.
Ce mécanisme nouveau a cependant des limites.
Ainsi, l’exploitant sera tenu pour responsable soit de son fait fautif, soit du seul fait de ses activités, si celles-ci sont reprises sur la liste des exploitations considérées comme potentiellement très polluantes. Dans les deux cas, il sera tenu de payer les measures de réparation, ce qui recouvre tant les frais administratifs que l’indemnisation du dommage causé à la nature.
Toutefois, il sera exonéré de cette responsabilité en cas d’absence de lien de causalité entre le fait générateur et le dommage. La causalité peut être présumée dans une loi, à condition qu’elle repose sur des indices plausibles tels que la proximité de l’exploitant avec la pollution constatée, la correspondance entre les substances polluantes retrouvées et les composants utilisés par le dit exploitant dans le cadre de ses activités, etc.
L’exploitant sera également exonéré s’il montre qu’il a agi sur ordre de l’autorité ou que le fait générateur est imputable à un tiers. En outre, il peut invoquer ce qu’on appelle le «permit defence» à savoir le fait qu’il a agi dans le respect d’une autorisation spécifique ainsi que le «state of the art defence» à savoir le fait qu’il a respecté l’état des connaissances scientifiques et techniques existantes au moment où l’activité dommageable a eu lieu.
L’exploitant doit donc prendre des mesures de prévention du dommage environnemental et en aviser l’autorité. Il doit également prendre des mesures de réparation du dommage, en concertation avec l’autorité. A défaut, celle-ci peut agir à sa place.
La réparation du dommage environnemental, qui a pour objectif la remise en l’état initial de l’environnement, est pour sa part précisée. La directive distingue la réparation primaire c’est-à-dire toute mesure par laquelle les ressources naturelles endommagées retournent à leur état initial ou s’en rapprochent, la réparation complémentaire c’est-à-dire les mesures visant à compenser le fait que la réparation primaire n’aboutit pas à la restauration complète des ressources naturelles et enfin une réparation compensatoire qui couvre les pertes intermédiaires de ressources naturelles, à savoir celles survenues entre la date de survenance du dommage et le moment où la réparation primaire a produit pleinement son effet.
La subversion du droit civil est également interne quand on voit comment le Code civil de 1804 a été interprété récemment en France par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire dite de l’Erika. On se rappelle la pollution des 400 kms de côtes par le naufrage de l’Erika en décembre 1999.La Cour d’appel de Paris a sensiblement fait évoluer le droit civil. Ainsi, elle a admis l’action en justice des associations de l’environnement, ce que permet davantage le droit français que le droit belge. Elle a par ailleurs reconnu 4 types de dommages, à savoir un « préjudice matériel » lié au frais de nettoyage des sites, un « préjudice économique » à savoir les pertes de revenus ou le manque à gagner, un «préjudice moral» couvrant le trouble de jouissance et l’atteinte à la réputation et à l’image de marque des côtes françaises et enfin et surtout un « prejudice écologique » résultant d’une atteinte aux actifs environnementaux non marchands. La Cour estime en effet que les dispositions internationals dont notamment la directive 2004/35 précitée, obligent à reconnaître l’existence d’un préjudice écologique pur. Pour le juge, cette analyse se fonde sur l’interaction permanente de l’homme avec la nature. Toute atteinte au milieu naturel constitue une agression pour la collectivité des hommes poursuit la Cour et elle doit donc faire l’objet d’une réparation. La Cour estime que cette réparation peut être accordée non seulement à l’Etat français, défendeur des intérêts de la Nation, mais également aux collectivités territoriales (départements, communes) et enfin aux associations de protection de l’environnement. La Cour alloue ainsi des montants oscillant entre 4.000 et 300.000 € aux associations notamment en vue de les voir affecter à la régénération des espèces d’oiseaux, en rétablissant des populations plus ou moins rares.
Enfin, par exemple, l’Ile d’Houat, extrêmement touchée par la mare noire, s’est vu allouer 500.000 € de préjudice écologique pour compenser une grave atteinte à la raison d’être de la commune, à savoir la protection et l’amélioration du bien être de ses administrés, ce qui implique une qualité de l’environnement naturel.
La décision de la Cour d’appel de Paris n’est cependant pas definitive puisque des pourvois en cassation ont été introduits.
La protection de l’environnement apparaît de plus en plus être fondée sur la prévention, la précaution et à défaut sur la sanction, qu’elle s’exprime sous forme de cessation, de réparation civile, et enfin, si besoin en est, de répression pénale.
Peu à peu se dessine un nouveau régime, fondamentalement different du régime classique, que ce soit au plan du droit d’agir (en acceptant les actions d’intérêts collectifs), du type de dommage (en reconnaissant le dommage écologique) ou des modes de réparations (en affinant les types de mesures de restauration environnementale). La découverte de ces nouvelles avancées est stimulante et sans doute nécessaire pour répondre adéquatement aux défis de demain sinon d’aujourd’hui.(1)