21/12/11

L’imputabilité d’une infraction anticoncurrentielle de la filiale à la société mère : développements jurisprudentiels en 2011…

1. Introduction

1.- Depuis l'Arrêt Akzo Nobel du 10 septembre 20091 , une société mère peut être tenue solidairement responsable des comportements anticoncurrentiels de ses filiales indépendamment de toute participation personnelle à l'infraction.

Pour cela il suffit que cette société et ses filiales constituent une unité économique unique et que la société mère exerce une influence déterminante sur ses filiales. Ce qui est présumé le cas lorsque la société mère détient 100% du capital de ses filiales2  sans qu'il soit nécessaire de produire des indices additionnels permettant de démontrer l'exercice effectif d'une influence de la société mère3 . La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles de ces filiales.

Cette présomption est réfragable ce qui signifie que la société mère doit pouvoir apporter au juge des éléments relatifs « aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer qu'elles ne constituent pas une seule entité économique ».

Il sera démontré à la lumière de la jurisprudence récente de la CJUE que ces entreprises éprouvent de grosses difficultés à renverser cette présomption car il ne leur suffit pas de démontrer l'absence d'influence exercée sur la politique commerciale stricto sensu de leurs filiales. La preuve de l'autonomie de ces dernières suppose en outre l'existence de liens organisationnels, économiques et juridiques entre la société mère et sa filiale propre à attester qu'elles ne constituent pas une seule entité économique. Ce qui rend la démarche des entreprises mères très difficile voir quasi impossible. Or un tel enjeu est capital dans la mesure où l'amende est fixée à 10 % du chiffre d'affaire consolidé de l'ensemble du groupe et non pas fixée à 10% du chiffre d'affaires la filiale.

2. Principe général tiré de l'Arrêt AKZO : présomption de responsabilité quand la société mère détient 100% du capital de ses filiales


2.- Les pratiques anticoncurrentielles d'une filiale peuvent être imputées à la société mère lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Dans ce contexte, il apparaît que la société mère et sa filiale font parties d'une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au regard du droit de la concurrence.

La société mère qui détient 100% du capital de ses filiales sera présumée personnellement responsable des pratiques et comportements anticoncurrentiels de ses filiales sur pied des articles 101 et 102 du TFUE.

3. L'application de ce principe dans la jurisprudence récente de la CJUE et du TPI


3.1. Arrêt de la CJUE du 20 janvier 2011, General Química e.a. c/ Commission, aff. C-90/09

3.- Bien que la CJUE a annulé la décision du Tribunal du 18 décembre 2008 (T-85/06) pour défaut de motivation, la Cour n'a pas suivi les arguments de la société mère sur le fond. La CJUE a étendu la liste des sociétés susceptibles d'être considérées comme ayant participé aux pratiques anticoncurrentielles.

La CJUE a estimé que « dans le cas particulier où une société holding détient 100 % du capital d'une société interposée qui possède à son tour la totalité du capital d'une filiale de son groupe auteur d'une infraction aux règles de la concurrence de l'Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société holding exerce une influence déterminante sur le comportement de la société interposée et indirectement, par le biais de cette dernière, également sur le comportement de ladite filiale ».

Ainsi, « la présomption de responsabilité tirée de la détention, par une société, de l'entièreté du capital d'une autre société, s'applique non seulement dans les cas où il existe une relation directe entre la société mère et sa filiale, mais également dans des cas où, comme en l'espèce, cette relation est indirecte eu égard à l'interposition d'une autre société ».

Une société holding peut dès lors se voir imputer une responsabilité solidaire pour des pratiques anticoncurrentielles commises par des sociétés du groupe dont elle ne détient pas directement le capital social, celui-ci étant détenu par le biais d'une filiale intermédiaire elle-même détenue à 100% par la société holding. L'application de la présomption de responsabilité contenue dans l'arrêt Akzo Nobel a donc été étendue.


3.2. Arrêt de la CJUE du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg SA, ArcelorMittal Belval & Differdange SA, ArcelorMittal International SA c. Commission européenne aff. jointes C-201/09 et C-216/09

5.- La CJUE se réfère à la jurisprudence Akzo Nobel et considère que lorsqu'une société mère (la société ARBED SA devenue ArcelorMittal Luxembourg SA) détient 100 % du capital de sa filiale (TradeARBED SA devenue ArcelorMittal International SA), il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. D'autre part, ni le prétendu principe de la personnalité juridique des sociétés ni celui de l'individualisation des sanctions ne s'opposent, contrairement à ce que prétend ARBED, à ce que la Commission puisse infliger à une société mère une amende pour une infraction commise par sa filiale à 100 %.

3.3. Arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Air liquide c. Commission, affaire T-185/06


6.- A l'inverse, le Tribunal a considéré que la Commission européenne n'a pas pris une position circonstanciée sur les éléments de preuve apportés par la requérante (Air liquide, société mère) afin de renverser la présomption résultant de sa participation dans le capital de sa filiale. Il reprend l'enseignement tiré de la jurisprudence antérieure de la CJUE dans son arrêt du 20 janvier 2011 (voir 3.1) qui impose à la Commission et au Tribunal une obligation de motivation particulière lorsque la société mère apporte des preuves de renversement de la présomption. La Commission et le Tribunal sont tenus à motiver de manière circonstanciée le rejet des éléments apportés par la société mère.

7.- La Commission dans cette espèce, n'a pas suffisament motivé sa conclusion quant à l'imputation de l'infraction en cause à la requérante. En outre, le Tribunal rappelle qu'une absence de motifs ne saurait être palliée en cours d'instance, soit a posteriori. La décision de la Commission ne peut donc pas être régularisée a posteriori. En conséquence, le Tribunal a accueilli le moyen tiré de l'absence de motivation et annule la décision de la Commission, en ce qui concerne la participation de la société L'Air Liquide à l'entente.

3.4. Arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Gosselin Group NV et Stichting Administratiekantoor Portielje c. Commission, affaire T- 208/08

8.- Le Tribunal a considéré que la société mère fiduciaire appelée Sichting Administratiekantoor Portielje qui détient la quasi-totalité des actions de l'entreprise Gosselin, était parvenue à renverser la présomption d'exercice d'une influence déterminante et capitalistique sur cette dernière en démontrant notamment qu'il n'y avait eu aucune réunion de l'assemblée générale des actionnaires ni de réunion du conseil d'administration pendant la durée de l'infraction qui fut par ailleurs très courte (6 mois). La société mère Sichting Administratiekantoor Portielje n'a exercé aucune influence sur la composition du conseil d'administration. Cette dernière a donc apporté des éléments de preuve susceptibles de démontrer qu'elle n'exerçait pas une influence déterminante sur Gosselin.

Le Tribunal a également considéré que Sichting Administratiekantoor Portielje n'exerçant pas d'activité économique directe et la Commission n'ayant pas démontré qu'elle s'était effectivement immiscée directement ou indirectement dans la gestion de Gosselin, elle ne constitue pas une entreprise au sens de l'article 81 CE (nouvel article 101 TFUE).

Par conséquent, le Tribunal a jugé que la Commission a commis une erreur en imputant la responsabilité de Gosselin à cette société fiduciaire (fondation). La décision de la Commission et l'amende infligée à Stichting Administratiekantoor Portielje ont donc été annulées.

3.5. Arrêt du Tribunal du 14 juillet 2011, Arkema France SA / Commission et Total SA et Elf Aquitaine SA / Commission, affaires T- 190/06 T-189/06

9.- Le Tribunal a maintenu les amendes infligées à Arkema France et à ses sociétés mères, Total et Elf Aquitaine, pour leur participation à l'entente sur le peroxyde d'hydrogène et le perborate de sodium. Le Tribunal considère que l'argumentation avancée par Total et Elf Aquitaine n'était pas étayée par des éléments de preuve concrets de l'autonomie de leur filiale mais consistait en de simples affirmations, manifestement non susceptibles de constituer un faisceau d'indices suffisant pour renverser la présomption d'imputabilité. Le Tribunal a consacré par cet arrêt une obligation de motivation renforcée. Par conséquent, le Tribunal a décidé que la Commission n'a pas commis d'erreur en décidant d'imputer à Total et Elf Aquitaine le comportement infractionnel de leur filiale. Un pourvoi contre cette décision a toutefois été formé par Elf Aquitaine le 27 septembre 2011.

4. Conclusion

10.- Force est de constater que la jurisprudence européenne a appliqué, pour justifier les amendes infligées aux sociétés mères, la présomption de responsabilité solidaire des sociétés mères qui détiennent 100% du capital des filiales consacrée par l'arrêt Akzo Nobel qui est devenu l'arrêt de principe en la matière depuis 2009.

Toutefois, on note deux évolutions majeures apportées par la jurisprudence européenne en 2011:

• Une obligation de motivation circonstanciée qui pèse sur la Commission européenne et le TPI lorsqu'ils doivent rejeter les arguments et preuves apportées par la société mère pour renverser la présomption de responsabilité (voir 3.1, 3.3., 3.5) ;
• Une extension des sociétés visées par la présomption de responsabilité solidaire notamment celle d'une société holding pour des pratiques anticoncurrentielles commises par des sociétés du groupe dont elle ne détient pas directement le capital social, celui-ci étant détenu par le biais d'une filiale intermédiaire elle-même détenue à 100% par la société holding (voir 3.1.).

Enfin, même si la présomption de responsabilité est très difficile à renverser voire quasi impossible, nous avons vu dans une espèce très particulière qu'elle fut habilement renversée (voir 3.4). Rien n'est donc impossible, tout dépend toujours du cas d'espèce.

Aff. C-97/08 P ; Akzo Nobel NV c/ Commission.
Arrêt AEG-Telefunken du 25 octobre 1983, aff. 107/82 et arrêt Stora du 16 novembre 2000, aff. C-286/98.
Aff. Akzo Nobel NV c/ Commission.

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