Dans son édition du 3 mars 2020, la RTBF informait, selon une idée rependue, que « chez nous [en Belgique] un salarié ne peut décider seul d’interrompre le travail. Aucune décision unilatérale n’est prévue en droit belge (hors droit de grève avec préavis) au risque de rompre le contrat de travail. ». Le Carnet de crise #20 du 24 avril 2020 du Centre de droit public de l’Université Libre de Bruxelles, rédigé sous les plumes magistrales d’Elise Dermine, de Sophie Remouchamps et de Laurent Vogel, titre pourtant « Le droit de retrait : un outil juridique central pour assurer la protection effective de la santé des travailleurs en période de COVID-19 ».
Depuis et déjà, le paysage médiatique a commencé à affirmer l’existence de ce droit pourtant existant dans la législation belge depuis 1998. Nous renvoyons pour plus d’informations techniques sur le sujet à la référence précitée.
Le présent article a pour objet, dans ce contexte de l’affirmation du droit de retrait du travailleur, d’attirer l’attention sur les enjeux sociaux qui peuvent en résulter au sein de l’entreprise à l’heure du COVID-19, ainsi que sur la manière de les appréhender.
Qu’est-ce que le droit de retrait en droit belge et comment est-il consacré ?
Ce droit est consacré par l’article I.2-26 du Code du bien-être au travail (CBE), lequel prévoit qu’un travailleur qui, en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées. Le corolaire de cette disposition se trouve à l’article I.2-24, alinéa 3, du CBE qui interdit à l’employeur, sauf exception dûment motivée, de demander aux travailleurs de venir travailler s’il n’est pas en mesure de mettre fin à la situation de danger grave et immédiat.
Est-ce que le risque de contamination par le COVID-19 pourrait être vu comme un danger grave et immédiat qui ne peut être évité ?
La notion de danger grave et immédiat n’est malheureusement pas définie et il n’existe pas de développements jurisprudentiels éclairants à son sujet. Il est toutefois raisonnable de penser – ce qui est l’avis des auteurs précités – qu’en l’absence de traitement curatif ou préventif avéré du COVID-19, toute entreprise qui n’aurait pas mis en place des mesures de prévention adaptées au contexte concret du travail, pourrait créer des situations de danger grave et immédiat.
Le risque de contamination par le COVID-19 au travail ne pourrait donc, selon nous, pas permettre, dans l’absolu, l’exercice du droit de retrait. C’est au travailleur qu’il incombe de démontrer que l’employeur l’expose fautivement au risque, en n’ayant pas mis en place les mesures adéquates conformément à ses obligations prévues par l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 et/ou aux textes qui lui seront subséquents, mais aussi qui s’imposent déjà à lui plus généralement en application des dispositions légales en matière de sécurité et de santé au travail.
Quelles sont les conséquences pour les parties de l’exercice du droit de retrait par un travailleur ?
Droit de retrait exercé à juste titre
Si le travailleur exerce à juste titre son droit de retrait, c’est-à-dire s’il se trouve dans une situation de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, il ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées.
Cela veut donc dire que le travailleur ne pourrait faire l’objet d’un licenciement motivé par l’exercice de son droit, sous peine que ce licenciement soit considéré comme étant manifestement déraisonnable ou abusif.
L’employeur serait, par ailleurs, tenu d’indemniser le travailleur de sa perte de rémunération, dès lors que l’absence de travail résulterait de la violation des ses obligations contractuelles prévues à l’article 20, 2° de la loi du 3 juillet 1978 relatives aux contrats de travail, de veiller en bon père de famille à ce que le travail s'accomplisse dans des conditions convenables au point de vue de la sécurité et de la santé du travailleur. Le travailleur pourrait aussi réclamer le maintien de sa rémunération sur base de l’article 27, 2° de la loi du 3 juillet 1978 précitée, qui prévoit que le travailleur conserve le droit à la rémunération s’il était apte à travailler au moment de se rendre au travail et qu’il n’a pas pu l’entamer ou le poursuivre pour une raison indépendante de sa volonté.
Encore faut-il, selon nous, que le droit de retrait ait été mis en œuvre conformément à la disposition légale, ce qui suppose que le travailleur ait exercé son droit en en informant immédiatement le membre compétent de la ligne hiérarchique.
Enfin, en cas de manquements persistants, le travailleur pourrait demander la résiliation de son contrat de travail aux torts et griefs de l’employeur ou dénoncer la rupture de celui-ci pour motif grave de l’employeur.
Droit de retrait invoqué à tort
Si le travailleur se prévaut d’un droit de retrait, sans démontrer de situation de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, il manquera à ses obligations contractuelles, singulièrement celle d’effectuer le travail convenu.
Le travailleur serait donc en absence injustifiée et aucune rémunération ne lui serait due.
En cas de manquements persistants, le travailleur qui ne réintégrerait pas son poste, malgré mises en demeure, s’exposerait à une décision de licenciement, le cas échéant pour motif grave.
D’un point de vue collectif
Les choses peuvent toutefois s’avérer encore plus compliquées en pratique, dès lors que le droit peut s’exercer de manière collective et déboucher à ce titre sur un conflit encore plus sensible à gérer. L’accent doit donc être mis sur la prévention (Infra).
Que faire ?
L’employeur
- La prévention et la conformité avant tout :
- Évaluer les risques sur le lieu de travail au sens large dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Les effets psychiques résultants des changements organisationnels ne doivent pas être négligés. La Checklist prévention COVID-19 émises par les autorités Belges et l’avis de l’OMS sont des outils précieux et sans doute nécessaires.
- Veiller à mise en conformité sanitaire et sécuritaire de l’entreprise en tenant compte notamment de son activité et de sa structure, le cas échéant avec l’assistance des conseillers en matière de législation sur le Bien-être au travail.
- Pour les entreprises concernées, consulter les représentants du personnel ;
- Documenter les mesures prises et en assurer, en tout état de cause, l’information.
- Confronté à un exercice du droit de retrait par le travailleur : (i) évaluer la situation le cas échéant en s’entourant de l’avis des acteurs et des conseillers compétents de la législation sociale relative au Bien-être au travail ; (ii) le cas échéant prendre les mesures correctrices qui s’imposent et (iii) inviter le travail à reprendre son poste de travail, soit compte tenu de la prise de mesures correctrices, soit sous forme d’une injonction en réponse à l’exercice illégitime du droit de retrait.
Le travailleur
- S’assurer de la réalité de la situation de danger grave et immédiat, le cas échéant en prenant conseil, dès lors que l’exercice à tort du droit de retrait pourrait lui être lourdement préjudiciable.