Le Tribunal de l’Union européenne (‘Tribunal’) vient de confirmer, dans son arrêt du 12 décembre 2019, que des feuilles de marijuana accompagnées des mots “Cannabis store Amsterdam” ne pouvaient être enregistrées en tant que marque en raison de l’atteinte potentielle à l’ordre public de l’UE.
Bien que la légalisation de la consommation du cannabis pour usage personnel a tendance à se répandre, ces dernières années, dans différents Etats membres ainsi que la légalisation de la vente de certains produits contenant du cannabis à des fins thérapeutiques ou même récréatives, la jurisprudence européenne en matière d’enregistrement de marques demeure, quant à elle, plus conservatrice.
Le 19 décembre 2016, Mme Santa Conte dépose une marque figurative composée de feuilles de cannabis vertes stylisées sur un fond noir et arborant les termes “Cannabis store Amsterdam” pour des produits alimentaires, des boissons et services de restauration. Tant l’examinateur que la chambre des recours de l’EUIPO rejettent cette demande sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement 2017/1001, estimant que le signe est contraire à l’ordre public.
Mme Santa Conte introduit alors un pourvoi auprès du Tribunal. Selon elle, l’EUIPO se serait notamment mépris sur la signification de ces feuilles, aurait manqué de précision et d’impartialité. La marijuana n’étant pas une plante mais une substance psychoactive obtenue à partir non des feuilles de cannabis mais des fleurs femelles de cannabis. Face à cet argument, le Tribunal relève que le critère déterminant pour évaluer la contrariété d’un signe à l’ordre public est la perception concrète et actuelle qu’aura le public pertinent de la marque, indépendamment de l’exhaustivité des informations dont dispose le consommateur. Or, dans le cas d’espèce, la forme particulière de ces feuilles est si souvent utilisée en tant que symbole médiatique de la marijuana qu’une perception en ce dernier sens par le consommateur ne fait nul doute.
Par ailleurs, quant à l’utilisation reprochée à la requérante des termes « cannabis », « Amsterdam » et « store » au lieu d’éléments plus adaptés pour souligner les caractéristiques d’aliments et de boissons dépourvus de THC pourtant visés par cette marque, le Tribunal rappelle qu’un signe doit être refusé à l’enregistrement si, en au moins une des significations potentielles, il caractérise l’existence d’un motif absolu de refus. Or non seulement une des significations potentielles du cannabis est le produit stupéfiant mais la combinaison de ces éléments verbaux aux éléments figuratifs ne fait surtout que confirmer cette perception.
D’autre part, en ce qui concerne le public à prendre en compte pour juger de l’appréciation de ce motif de refus, le Tribunal rappelle qu’il s’agit d’une personne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance et pas seulement le public auquel sont directement adressés les produits et les services pour lesquels l’enregistrement est demandé. Les signes visés par ce motif pourraient, en effet, dans ce cas-ci choquer également d’autres personnes qui, sans être concernées par lesdits produits et services, seraient mises en présence de ce signe de manière incidente dans leur vie quotidienne.
A cet égard, le Tribunal relève aussi que lors de l’analyse de ce critère, il convient de prendre en considération aussi bien les circonstances communes à l’ensemble des Etats membres que les circonstances particulières à des Etats membres pris individuellement qui sont susceptibles d’influencer la perception du public pertinent situé sur le territoire de ces Etats. Le grand public de l’UE, contrairement à ce que prétend la requérante, ne dispose pas nécessairement de connaissances scientifiques ou techniques précises concernant les stupéfiants, même si cette situation est susceptible de varier en fonction des Etats membres sur le territoire desquels se trouve ledit public et en particulier des débats ayant éventuellement conduit à l’adoption d’une législation autorisant l’usage thérapeutique ou récréatif de produits ayant une teneur en THC suffisante pour produire des effets psychotropes. Il s’agit de prendre en compte la perception du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal relève encore qu’en traduisant les éléments verbaux de cette marque, le consommateur pourrait notamment être induit en erreur et penser à tort qu’il s’agit d’une boutique vendant du cannabis dans le sens de substance psychotrope.
A l’argument de la requérante selon lequel l’EUIPO n’aurait pas tenu compte de l’évolution de la conception culturelle et sociale, dans l’Union, du cannabis et de son usage à des fins licites, de sorte qu’elle n’aurait pas apprécié correctement la perception du public pertinent, le Tribunal répond à juste titre qu’à l’heure actuelle, il ne se dégage aucune tendance unanimement acceptée dans l’UE, ni même prépondérante, concernant la licéité de l’usage ou de la consommation de produits issus du cannabis ayant une teneur en THC supérieure à 0,2%.
Ajoutons que c’est également le flou législatif dans certains Etats membres et les différences de législations entre ces derniers qui freinent encore la commercialisation massive des produits ayant une teneur inférieure en THC à 0,2% dans l’UE.
Le fait que le signe en cause puisse être perçu par le public pertinent comme une indication que les produits et services visés par la requérante contiennent des substances stupéfiantes illicites dans plusieurs Etats membres suffit pour conclure à sa contrariété à l’ordre public. L’une des fonctions de la marque étant d’identifier l’origine commerciale du produit ou service, ledit signe perçu de la manière décrite ci-dessus ne peut que banaliser l’achat ou à tout le moins la consommation de tels produits et services.
Autoriser la vente de produits dérivés du cannabis et la consommation personnelle de cannabis est une chose, encourager leur promotion massive sans aucune nuance et par la même occasion banaliser leur consommation par tous les citoyens de l’UE alors même qu’elle est interdite dans certains Etats membres en est une autre, semble vouloir nous inculquer le Tribunal.
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Annick Mottet Haugaard
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