18/11/19

Facebook et son rôle dans la chasse aux commentaires dénigrants

La lutte contre les commentaires dénigrants

Dans quelle mesure, un juge national peut-il contraindre Facebook d’identifier, parmi les données qu’elle stocke, les posts équivalents à un commentaire dénigrant ?

Telle est la question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union européenne dans le dossier Eva Glawisching-PIesczek/Facebook Ireland Limited.

Les faits sont les suivants : un internaute a partagé sur Facebook un article de presse concernant la porte-parole du parti écolo autrichien, illustré par une photo de cette dernière. L’internaute a jugé bon d’agrémenter son partage d’un commentaire très peu flatteur. Faute de suppression de ce post par Facebook, la politicienne a obtenu, en référé, que le réseau social cesse de diffuser des allégations identiques ou équivalentes au commentaire dénigrant.

Saisie de cette demande, la Cour suprême autrichienne a questionné la Cour luxembourgeoise. Arrêtons-nous sur l’arrêt de cette dernière, qui interprète l’obligation de surveillance imposée à l’hébergeur (et donc à Facebook) par la directive sur le commerce électronique.


La directive sur le commerce électronique …

En vertu de cet instrument (transposé par la loi belge du 11 mars 2007, et maintenant dans le Code de droit économique) l’hébergeur n’est en principe pas responsable des informations stockées sur ses serveurs lorsqu’il n’a pas connaissance de leur caractère illégal. Toutefois, une fois qu’il en est informé, il doit supprimer l’accès à ces dernières (article 14).

Par ailleurs,  l’hébergeur ne peut être tenu par une obligation générale de surveillance (article 15). Cela étant, il peut toutefois être contraint de mettre un terme ou de prévenir une violation (article 14, point 3).

Il convient de déterminer la portée de l’injonction judiciaire/administrative prévue par ladite directive. Dans quelle mesure l’hébergeur peut-il être tenu par une obligation d’identification et de retrait ?

La Cour de justice a tranché la question.


… interprétée par la Cour de justice

Quant aux informations identiques au commentaire dénigrant

Dans son avis, l’avocat général estime que la directive sur le commerce électronique ne s’oppose pas à l’obligation, qu’impose une juridiction à Facebook, de rechercher et d’identifier parmi les données stockées, celles qui sont identiques à l’information qualifiée d’illicite par ladite juridiction.

Dans cette hypothèse, l’avocat général estime qu’un juste équilibre est préservé entre les droits fondamentaux en présence, à savoir les droits au respect de la vie privée, à la liberté d’entreprise et à la liberté d’expression.

La Cour de Justice a suivi cette position.


Quant aux informations équivalentes au commentaire dénigrant

En plus de la suppression des informations identiques, la politicienne concernée a demandé en référé que Facebook soit condamnée à retirer les posts de contenus équivalents à celui du commentaire critiqué.

L’avocat général valide cette prétention mais la limite aux seules informations publiées par l’internaute à l’origine du post problématique.

À nouveau, l’avocat général justifie sa position au regard du principe de proportionnalité : imposer à Facebook de rechercher, parmi toutes les données stockées, celles qui seraient équivalentes au commentaire illicite serait excessif.  Contrairement à l’obligation de rechercher parmi les seules données diffusées par l’internaute indiscipliné. Ainsi, le respect de la vie privée des citoyens, de la liberté d’expression des internautes et de la liberté d’entreprise de Facebook est sauvegardé.

Sur ce point, la Cour de justice va un cran plus loin que l’avocat général. Selon elle, la directive concernée ne s’oppose pas à ce qu’un hébergeur soit sommé de supprimer les informations équivalentes aux comentaires dénigrants, quel qu’en soit l’auteur.

Cependant, elle nuance en ajoutant que le contenu doit être en substance inchangé afin que l’hébergeur n’ait pas à procéder à une appréciation autonome de celui-ci.


Quant aux commentaires dénigrants signalés

Une précision doit être ajoutée : si l’obligation de recherche peut uniquement porter sur des informations équivalentes, partagées par l’internaute indélicat, l’avocat général donne à l’obligation de retrait une portée plus large. En effet, l’hébergeur pourrait se voir contraindre de retirer une information équivalente à celle jugée illicite par la juridiction, bien que celle-ci n’ait pas été postée par l’internaute sanctionné, si cette information a fait l’objet de signalements.  Cela fait sens au regard de la règle générale : l’hébergeur n’est pas responsable du caractère illicite des informations qu’il stocke tant qu’il n’en a pas connaissance (article 14).

Quant à la portée territoriale de l’obligation de retrait, l’avocat général estime qu’elle n’est pas réglée par la directive européenne. En d’autres termes, Facebook pourrait se voir contraindre de retirer de telles informations au niveau mondial. La Cour de justice valide cette position et donc la possibilité de blocage à l’échelle mondiale.


L'auteur: 
Pauline Limbrée
p.limbree@lexing.be

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