Si un changement d’affectation constitue, en principe, une mesure d’ordre qui n’est pas susceptible de recours, le Conseil d’Etat admet la recevabilité d’un tel recours dans deux hypothèses.
I. Les faits
La demande est introduite par une greffière au Tribunal de première instance de Bruxelles, qui, chargée de fonctions supérieures, s’était vu confier la responsabilité de l’ensemble du personnel et des greffes de la section correctionnelle.
Quelques années plus tard, la greffière en chef la convoque sans motifs préalables dans son bureau pour lui annoncer sa décision de lui retirer ses fonctions de chef du service. La décision était justifiée par l’existence d’une dizaine de plaintes déposées à son encontre. Elle invoquait également l’existence d’informations contradictoires dans les rapports qu’elle transmettait.
Quelques jours après avoir reçu la confirmation de cette décision de la part de la greffière en chef, l’intéressée saisissait le Conseil d’Etat d’une demande de suspension, suivant la procédure d’extrême urgence.
II. La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État rappelle que la loi du changement permet à toute autorité publique de modifier les attributions de ses agents lorsque l’intérêt du service le requiert. Ce changement d’affectation constitue une simple mesure d’ordre qui n’est en principe pas susceptible de recours devant le Conseil d’État.
En revanche, tel n’est pas le cas dans deux hypothèses, à savoir :
- d’une part, lorsque la mesure constitue, en réalité, une sanction disciplinaire déguisée, et ;
- d’autre part, lorsque la mesure a été prise en raison du comportement de l’agent et qu’elle engendre des modifications importantes dans l’exercice de ses fonctions ou porte atteinte à ses droits statutaires, ces deux conditions s’avérant cumulatives.
En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que l’acte attaqué correspondait à cette seconde hypothèse de sorte que le recours de l’agent est recevable. Il pointe le fait que le retrait des fonctions de chef de service constitue effectivement une modification importante des modalités d’exercice des fonctions de l’agent et qu’en outre, cette mesure semble, prima facie, avoir été prise sur la base du comportement de l’agent.
Sur la question de l’extrême urgence, le Conseil d’Etat retient qu’un retrait de fonction exercée dans de telles circonstances ne peut qu'être appréhendé par le reste du personnel et par les tiers comme étant fondé sur des faits graves et que, dans un tel contexte, l'honneur et la réputation professionnelle de la requérante pourraient être mis à mal à défaut d'un arrêt de suspension intervenant à très bref délai.
Dans l’examen des moyens, le Conseil d’Etat retient que le principe de l’audition préalable (qui aurait dû être respecté s’agissant d’une mesure grave reposant prima faciesur le comportement de l’intéressé) a été violé en l’espèce, dans la mesure où la requérante a été informé de la mesure lors de l’entretien avec la greffière en chef, sans avoir été préalablement informée de l'objet de celui-ci, des motifs le justifiant et sans avoir eu le moindre accès au dossier sur la base duquel le retrait de sa fonction se fonde. En outre, il relève que la motivation de l’acte était inadéquate au regard notamment de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Le Conseil d’Etat a dès lors fait droit à la demande en suspension.
Suite à cette décision, le greffe a maintenu l’intéressée dans ses fonctions supérieures de responsable de service, mais l’a chargée de la responsabilité d’un autre greffe, celui du Tribunal de l’application des peines. Celle-ci introduisit également un recours en suspension en suivant la procédure en extrême urgence à l’encontre de cette nouvelle décision.
Dans son arrêt du 13 septembre 2018, le Conseil d’Etat refuse le caractère urgent de cette demande, au motif que, contrairement à la fois précédente, la décision maintenait l’intéressée dans des fonctions de direction ainsi que le bénéfice de l’allocation de fonction supérieure ; qu’il n’était dès lors plus possible de l’interpréter comme le signe d’une perte de confiance, ni laisser à croire à l’existence de faits grave dont elle se serait rendue coupable.
III. Que retenir ?
Si, en principe, un changement d’affectation constitue une simple mesure d’ordre non susceptible de recours devant le Conseil d’Etat, il n’en est plus de même dès lors qu’il s’agit soit d’une sanction déguisée, soit d’une mesure grave prise en raison du comportement de l’agent et engendre des modifications importantes dans l’exercice de ses fonctions ou porte atteinte à ses droits statutaires.
Le retrait avant terme de fonctions supérieurs constitue une mesure passible d’annulation par le Conseil d’Etat, et même suivant les circonstances de suspension par la voie de la procédure en référé, à tout le moins lorsque ce retrait est fondé sur le comportement de l’intéressé.
De manière générale, il est recommandé de toujours procéder à l’audition préalable de l’agent et, si possible, de recueillir son consentement avant de décider une modification importante de ses attributions, et de bien motiver la décision.
Sources :
C.E., 6 août 2018, arrêt n° 242.180, Beeken, www.raadvst-consetat.be
C.E., 13 septembre 2018, arrêt n° 242.325, Beeken, www.raadvst-consetat.be