10/02/11

L’équilibre délicat entre compétitivité fiscale et lutte contre la fraude fiscale

A l’occasion du jubilé du célèbre arrêt Brepols rendu par la Cour de cassation le 6 juin 1961, les fiscalistes belges se pencheront sur l’avenir à réserver à la différence fondamentale exprimée par la Cour entre « frauder » et « éviter l’impôt ».

La compétitivité d’un pays sur la scène internationale est une donnée essentielle de sa politique fiscale. L’attrait des investisseurs internationaux dépendra souvent des incitants fiscaux disponibles mais également de la stabilité juridique y afférant. La Belgique développe cet aspect par la mise en avant d’incitants fiscaux tells les intérêts notionnels, la déduction pour revenus de brevets ou encore les réductions de précompte. D’autres pays ont plutôt opté pour un marketing fiscal basé sur des structures sociétaires attractives, ce dont nous disposions précédemment via nos centres de coordination et de distribution. Certes, le régime belge des Holdings reste un atout manifeste.

Ces incitants fiscaux peuvent être mis en difficulté en presence d’un Etat dont la politique fiscale en matière de lutte contre l’évasion fiscale au sens large n’est pas bien circonscrite. Un juste équilibre entre ces deux catégories d’incitants fiscaux permet d’établir la carte d’identité d’un Etat eu égard à son attrait et à sa compétitivité sur la scène financière internationale.

Ces dernières années, la lutte contre la fraude fiscale fut l’objet d’une attention particulière des autorités belges et internationales. Des thématiques telles que les paradis fiscaux, le renforcement des dispositions anti-abus ou encore la levée du secret bancaire furent à l’origine d’un engouement législatif.

Crise financière mondiale :
« l’ère du secret bancaire est révolu »


La chute des marchés boursiers et la faillite de plusieurs banques ont engendré une crise systémique et une récession mondiale. La nécessaire stabilisation des marchés et la protection des épargnants ont décidé les Etats à intervenir massivement dans le sauvetage des institutions financières. La conséquence en fut un endettement massif des Etats et des déficits publics lourdement creusés.

A l’occasion du sommet du G20 à Londres, les grandes puissances mirent une pression massive sur les plus petits Etats afin d’instaurer une plus grande transparence fiscale.

L’OCDE fut mandatée par la communauté internationale pour rédiger différentes listes de pays considérés comme non-coopératifs sur le plan de la transparence basée sur l’échange de renseignements. Sur la liste grise (pays qui ne sont pas encore suffisamment coopératifs) des « paradis fiscaux » se retrouvait 38 pays tels Monaco, la Suisse, le Liechtenstein, le Luxembourg mais également la Belgique.

En ce qui concerne le Belgique, une attention particulière fut reserve au «secret bancaire» qui était limitativement encore présent. La levée de ce secret dans le cadre des échanges de renseignements basés sur les conventions fiscales fut annoncée très rapidement par le gouvernement suite à la publication de la liste grise par l’OCDE. Actuellement, ces accords en matière d’échange de renseignements ne sont pas encore entrés en vigueur. Le gouvernement en affaires courantes vient de déposer un projet de loi visant à régulariser cette situation.

Enfin, la Belgique a publié en 2010 sa propre nouvelle liste de paradis fiscaux. En cas d’investissement dans ces pays, de nouvelles obligations sont nées à charge des sociétés résidentes belges ou des établissements stables de sociétés étrangères en Belgique.

Nouvelle obligation de déclaration de paiement pour les sociétés belges

Depuis un an, en cas de paiement de plus de 100.000 EUR à des residents fiscaux établis dans des paradis fiscaux, dont la liste est établie par arrêté royal, et qui contient les pays désignés par l’OCDE comme non-coopératifs ou dont le taux à l’impôt des sociétés est inférieur à 10%, une déclaration par les sociétés belges (et les établissements stables belges des sociétés étrangères) est nécessaire afin qu’elles puissent maintenir leur droit à la déductibilité. En l’absence de telle déclaration, le droit à la déduction est automatiquement rejeté. Néanmoins, ce droit reste soumis à l’obligation de démontrer que les opérations visant à conserver ou à acquérir des revenus (art. 479 CIR/92) sont réalisées d’une manière sincere et réelle, et n’ont pas comme objet principal la volonté d’éluder l’impôt (constructions artificielles).

Cette nouvelle liste contient des pays tels Andorre, les Bahamas, les Bermudes, les Iles Vierges britanniques, Guernesey, Abu Dhabi, les îles Cayman, Jersey, ou encore Monaco. De telles listes sont de plus en plus répandues en Europe.

L’investissement par des entreprises dans ce type de juridictions nécessitera à l’avenir une prise en compte plus grande des consequences fiscales négatives possibles (application de dispositifs anti-abus, perte des droits liés à des incitants fiscaux, etc.).

Commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner les grands dossiers de fraude fiscale en Belgique


La commission d’enquête fut mise en place le 10 avril 2008 par la Chambre en vue d’examiner les grands dossiers de fraude fiscale. En effet, de grands dossiers de fraude fiscale représentant des montants gigantesques d’impôt éludé ont connu une fin étonnante. Récemment encore, le célèbre dossier KB-Lux fut anéanti en appel à la suite de suspicions de preuves illégalement recueillies et d’un dossier bafouant les droits de la défense. D’autres dossiers emblématiques furent examinés par la Commission. Tel est le cas des célèbres dossiers QFIE, Beaulieu ou encore des procès relatives aux sociétés de liquidités probablement prescrits.

Des fonctionnaires, des magistrats, des professeurs d’universités et des experts furent auditionnés concernant ces dossiers et l’issue problématique de ceux-ci.

Le 7 mai 2009, le rapport final et les recommandations furent adoptés par la Commission d’enquête, et approuvé 7 jours plus tard en séance plénière de la Chambre. Il ressort de ces recommandations que la lutte contre la fraude fiscale en Belgique pourrait être renforcée et durcie dans les années à venir.

Il est opportun de citer que des mesures fort impopulaires pourraient être introduites en Belgique telles que l’introduction d’une disposition anti-abus générale (comme en France), la création d’un auditorat fiscal (calqué sur le modèle de l’auditorat du travail), le renforcement des pouvoirs de l’Inspection spéciale des impôts, l’instauration d’une règle « una via » permettant de poursuivre les infractions fiscales soit administrativement pour les petites fraudes, soit judiciairement (pénalement) pour les grandes fraudes.

Plus étonnant encore, l’instauration d’une « flagrance fiscale » (flagrant délit de fraude fiscale) ou d’une responsabilité spécifique des consultants (conseillers fiscaux, notaires, banques, avocats, etc.) organisateurs de la fraude fiscale découverte.

Conclusion : la Belgique terre d’asile pour les auteurs ou nouvel enfer fiscal ?

La lutte contre la fraude fiscale est devenue le cheval de bataille des grands Etats qui ont subi de plein fouet la crise financière de ces dernières années. La nécessité d’augmenter les recettes fiscales ne peut constituer le leitmotiv principal pour renforcer la lute et la sévérité des mesures visant à combattre la fraude fiscale. En outre, une attention spécifique devra être portée sur l’équilibre entre la lutte contre la fraude fiscale par le renforcement de l’arsenal répressif, et les droits légitimes des contribuables. Enfin, la conséquence de ces mesures pourrait être la perte d’attractivité de la Belgique sur la scène très concurrentielle des pays où l’investissement est intéressant. Le nouveau gouvernement aura comme tâche de déterminer quelles recommandations de la Commission grande fraude fiscale devront être concrétisées.

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