Dans notre numéro d’avril dernier, nous vous informions de la volonté des pouvoirs politiques et des autorités de contrôle de réorganiser le secteur du contrôle financier. Les trois projets de loi visant à moderniser la surveillance financière dans notre pays avaient été adoptés au Parlement le 6 mai 2010.
Deux lois du 2 juin 2010 avaient été publiées au Moniteur belge du 14 juin 2010. La première visait à compléter les mesures de redressement applicables aux entreprises relevant du secteur bancaire et financier ; la seconde concernait les voies de recours contre de telles mesures de redressement.
Ces nouvelles législations ont pour but, après les événements de la crise financière de l’automne 2008, de garantir la stabilité financière de notre pays. Sont visés les institutions de crédit, les compagnies d’assurance et de réassurance, les entreprises d’investissement, les organismes de gestion collective de portefeuilles, les organismes de liquidation et les institutions qui leur sont similaires. Ces législations apportent donc des modifications substantielles à la loi de contrôle du 9 juillet 1975.
Concrètement, la loi du 2 juin 2010 sur les mesures de sauvegarde permet au Roi de lancer, dans le but de sauver un établissement, une procédure pouvant mener à la cession d’éléments du patrimoine de l’établissement concerné, ou de titres qu’il a émis, et ce moyennant une indemnité. Cette procédure sera uniquement entamée après adoption d’un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, à la demande de la CBFA ou à l’initiative de l’entreprise elle-même, et ce après avoir recueilli l’avis de la CBFA et du Comité des risques et établissements financiers systémiques.
La loi du 2 juin 2010 concernant les voies de recours cherche à protéger les droits des propriétaires des actifs ou des titres dont la cession serait ordonnée. Elle s’inspire en grande partie de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d’extrême urgence en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’introduction de ce nouveau type de recours découle entre autres de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles (cassé par la Cour de cassation) du 12 décembre 2008 qui estimait que l’État belge aurait dû recueillir l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires dans le cadre de la cession de Fortis à BNP Paribas. À l’avenir, il sera donc impossible qu’une vente de ce type se retrouve bloquée par les actionnaires comme cela aurait pu être le cas dans l’affaire Fortis.
Situation menaçant la stabilité financière
Dès qu’une situation menaçant la stabilité financière nationale ou internationale se présente, le Roi dispose désormais de la possibilité de prendre des mesures de redressement. Pour les entreprises d’assurances, les « situations menaçant la stabilité financière » sont les suivantes : (i) lorsque la CBFA constate qu'une entreprise d'assurances ne fonctionne pas en conformité avec la Loi de Contrôle, ou (ii) lorsque la CBFA constate que la gestion ou la situation financière d’une entreprise d’assurances n'offre pas (plus) des garanties suffisantes pour la bonne fin de ses engagements, ou que son organisation administrative ou comptable ou son contrôle interne présente des lacunes graves (voy. nouvel article 23bis dans la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers).
Le Roi peut décider désormais de tout acte de cession, de vente ou d’apport soit (i) des actifs, passifs, ou une ou plusieurs branches d’activités, soit (ii) des titres ou parts, représentatifs ou non du capital, conférant ou non un droit de vote, et ayant été émis par l’institution financière en question (nouvel article 26bis dans la Loi de Contrôle).
Un arrêté royal doit déterminer les actifs ou titres à céder, ainsi que l’indemnité qui sera octroyée en contrepartie aux propriétaires de ces actifs ou titulaires de ces titres. Il faut savoir que les clauses contraires, statutaires ou conventionnelles, d’agrément ou de préemption, les options d’achat d’un tiers ou les clauses empêchant la modification du contrôle de l’entreprise sont inopérantes envers les décisions prises par le Roi en application de ce nouvel article 26bis. Cet arrêté royal fait l’objet d’une notification à l’entreprise concernée, ainsi que d’une publication au Moniteur belge. Dès le moment où elle reçoit cette notification, l’entreprise perd la libre disposition des actifs visés par l’arrêté royal.
Procédure d’« expropriation »
Afin de procéder à l’« expropriation » même des propriétaires d’actifs ou les détenteurs de titres, l’État belge doit déposer au greffe du Tribunal de première instance de Bruxelles une requête tendant à faire constater que l’arrêté royal qui a été adopté (i) est légal et (ii) prévoit une indemnité compensatoire juste et équitable. Dans les 72 heures du dépôt de cette requête, le Président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles va déterminer, via une ordonnance, la date et l’heure d’une audience, qui doit quant à elle avoir lieu dans les 7 jours du dépôt de la requête. Cette ordonnance est notifiée à l’État belge, à l’entreprise d’assurances cédante ainsi que, le cas échéant, à son cessionnaire. Elle est également publiée au Moniteur belge. L’entreprise d’assurances cédante doit aussi la publier sur son site web endéans les 24 heures.
Lors de l’audience, le tribunal entendra l’État belge, l’entreprise d’assurances cédante, le cas échéant, le cessionnaire, ainsi que les propriétaires de titres qui seraient intervenus volontairement à la procédure.
Le tribunal statuera dans un jugement qui devra être rendu dans les 20 jours suivant l’audience. Si ce jugement constate que la décision d’« expropriation » est légale et que l’indemnité allouée est juste, il sera translatif de la propriété des actifs, titres et parts visés par la cession et emportera opposabilité de cette cession aux tiers, sans qu’aucune autre formalité ne soit nécessaire. Ce jugement n’est susceptible ni d’appel, ni d’opposition, ni de tierce-opposition. Ce jugement fait également l’objet d’une publication au Moniteur belge, et l’entreprise d’assurances cédante est à nouveau tenue de publier ce jugement sur son site web endéans les 24 heures.
Moyens de recours des propriétaires des actifs ou titres
Les propriétaires d’actifs ou de titres ont un droit de recours si le Tribunal de Première Instance a conclu à la légalité de la cession et au caractère équitable de l’indemnité compensatoire, mais ce uniquement dans la mesure où ils ne sont pas satisfaits du montant de l’indemnité compensatoire. Dans un délai de deux mois à compter de la publication au Moniteur belge du jugement, ces propriétaires peuvent introduire une demande de révision de l’indemnité. Cette demande n’exercera aucun effet sur le transfert de propriété, qui restera acquis.
Entrée en vigueur
La première loi du 2 juin 2010 est entrée en vigueur le 24 juin 2010, sauf ses articles 32 à 34 (concernant notamment la faillite de teneurs de comptes comportant des titres dématérialisés) qui entreront en vigueur à une date à fixer par le Roi. La seconde loi du 2 juin 2010 est également entrée en vigueur le 24 juin 2010, dans son intégralité.
En route vers le modèle ‘Twin Peaks’
La troisième loi, datée quant à elle du 2 juillet 2010, a été publiée au Moniteur belge de ce 28 septembre 2010.
Comme nous vous l’annoncions dans notre numéro d’avril, l’évolution de l’architecture financière devait se faire en deux phases: dans un premier temps, un Comité des risques et établissements financiers systémiques (CREFS) serait créé. C’est l’objet de cette loi du 2 juillet 2010.
Dans un second temps, l’on transférerait le contrôle systémique et le contrôle prudentiel sur les différents types d’établissements financiers (établissements de crédit, entreprises d’assurances et de réassurances, institutions de retraite professionnelle, etc.) de la CBFA à la BNB. La CBFA assurera la surveillance des marchés, le contrôle des intermédiaires et des produits, ainsi que le contrôle du respect des règles de conduite dans le chef des établissements de crédit, des entreprises d’investissement, des entreprises d’assurances et des fonds de pension.
Le transfert de l’entièreté de ces compétences aura lieu pour le 1er avril 2011. C’est également à cette date que la CBFA changera officiellement de nom, et se verra rebaptisée en « Financial Services and Markets Authority », en abrégé « FSMA