Un récent jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles s'est penché sur la question de la législation applicable à une relation de travail transfrontalière dans le cadre d'un salary split entre la Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg. Suite à son licenciement, le travailleur en question a réclamé l'application des dispositions de droit belge à l'ensemble de son contrat de travail et a obtenu gain de cause, avec des conséquences non négligeables.
1.- Contexte
En 2009, un travailleur belge est engagé par une société belge dans le cadre d'un contrat de travail d'employé à durée indéterminée pour exercer des activités en Belgique et au Luxembourg, et ce à concurrence de 50% de son temps de travail respectivement dans chaque pays. Le contrat de travail prévoit expressément l'application du droit belge.
La rémunération annuelle brute du travailleur est déterminée conformément au droit belge, à savoir la rémunération mensuelle brute multipliée par 13.92 (rémunération annuelle brute, prime de fin d'année, double pécule de vacances) et est ensuite « splitée » entre les deux pays, soit 50% en Belgique et 50% au Luxembourg.
En Belgique, la rémunération est payée en 13.92 fois, conformément au droit belge.
Au Luxembourg, la rémunération est payée en 12 fois, la législation luxembourgeoise n'appliquant classiquement pas le multiple 13.92 dans le cadre du paiement des rémunérations.
En 2010, la société belge met fin au contrat de travail du travailleur belge.
2.- Les demandes
Le travailleur, mécontent de son licenciement, assigne son ex-employeur devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Il sollicite entre autres le paiement d'arriérés de prime de fin d'année et de double pécule de vacances relatifs à ses prestations au Luxembourg. Concrètement, le travailleur soutient que sa rémunération « luxembourgeoise » a été payée en 12 fois (non pas en 13.92 fois) et que son ex-employeur n'apporte pas la preuve du paiement de la prime de fin d'année et du double pécule de vacances conformément à la loi belge qui a pourtant été choisie par les parties. Or, les dispositions légales belges relatives au paiement de la prime de fin d'année et du double pécule de vacances sont impératives en faveur du travailleur...
De son côté, l'ex-employeur soutient que la pratique au Luxembourg est de payer la rémunération en 12 mensualités égales et qu'en tout état de cause, le travailleur n'a subi aucun préjudice dans la mesure où sa rémunération annuelle de référence a été calculée sur base du multiple 13.92, tenant ainsi compte de la prime de fin d'année et du double pécule de vacances.
3.- La décision
Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles se penche d'abord sur la question de l'applicabilité du droit belge à l'ensemble du contrat de travail, et ce alors que le travailleur effectuait également des prestations au Luxembourg.
Selon les dispositions européennes applicables en la matière, les parties à un contrat de travail sont libres de déterminer la loi qui régira leurs relations. Cela étant, dans l'hypothèse où la loi d'un pays est choisie alors que tous les éléments de la relation de travail sont localisés dans un autre pays, les dispositions auxquelles il n'est pas permis de déroger dans ce dernier pays s'appliquent malgré tout.
Sur cette base et dans un premier temps, le Tribunal valide le choix de la loi belge par les parties : le travailleur est de nationalité belge, réside en Belgique et y travaillait partiellement tandis que l'employeur est belge également.
Dans un deuxième temps, le Tribunal relève que l'ex-employeur ne démontre pas que le paiement de la rémunération en 12 mensualités est une disposition de droit luxembourgeois à laquelle il n'est pas permis de déroger. Il est donc techniquement possible de payer la rémunération en 13.92 mensualités au Luxembourg.
Enfin, le Tribunal écarte l'argument de l'ex-employeur selon lequel le travailleur n'aurait pas été lésé dans la mesure où la rémunération annuelle a été calculée en tenant compte de la prime de fin d'année et du double pécule de vacances, même si ceux-ci ont ensuite été payé globalisés dans la rémunération mensuelle. A l'appui de son raisonnement, le Tribunal invoque la jurisprudence de la Cour de cassation en application de laquelle les dispositions relatives au paiement de la prime de fin d'année et du double pécule de vacances sont impératives en faveur du travailleur et qu'il ne peut y être dérogé. Le fait que la rémunération annuelle ait été calculée en 13.92 fois n'est pas déterminant dans la mesure où elle a in fine été payée en 12 fois : sur le plan des principes purs, le travailleur n'a donc pas reçu de prime de fin d'année ni de pécule de vacances.
Décision choquante sur le plan des principes, correcte sur le plan juridique.
On ne recommandera donc jamais assez aux employeurs d'être particulièrement vigilants lors de la mise en place d'un salary split. Pour autant que le droit belge soit susceptible d'être appliqué (ce qui sera presque toujours le cas), il conviendra de faire en sorte de respecter les dispositions impératives du droit belge, y compris le paiement de la rémunération en 13.92 fois (sauf évidemment si cela entre en contradiction avec d'autres dispositions impératives du pays tiers).