25/09/12

INDÉPENDANT ... EN ÊTES-VOUS CERTAIN?

Une activité professionnelle peut être exercée à titre d'indépendant, dans le cadre d'un contrat d'entreprise régi par le droit civil ou en tant que travailleur salarié, dans le cadre d'un contrat de travail régi par le droit social.

La différence fondamentale entre l'exercice d'une activité professionnelle à titre d'indépendant ou de travailleur salarié (ouvrier ou employé) réside dans l'existence ou non d'un lien d'autorité (également appelé lien de subordination) entre les parties au contrat.

Les deux formules présentent des avantages et des inconvénients. Toutefois, la collaboration indépendante est généralement considérée comme plus avantageuse pour l'entreprise car elle lui permet d'échapper :

  • aux charges patronales, puisque l'entreprise ne devra payer que la rémunération pure et simple. C'est l'indépendant lui-même qui devra s'acquitter des charges fiscales et sociales et ce dernier ne ressortira pas du système de sécurité sociale des travailleurs salariés.
  • aux règles contraignantes du droit du travail (ex : salaires minimums, temps de travail, congé de maternité, règles en cas de rupture du contrat, etc).

Une usurpation du statut d'indépendant constitue dès lors une fraude sociale qui porte atteinte à notre système de sécurité sociale et qui préjudicie le « faux-indépendant » en le privant du système de sécurité sociale et des règles protectrices du droit du travail.

Pour ces raisons, le législateur a souhaité depuis longtemps fixer des règles en vue d'éviter que les parties qualifient leur relation d'indépendante alors que l'exécution concrète de l'activité fait apparaître un lien de subordination et donc un contrat de travail.

A cette fin, en 2006, le législateur a adopté la loi sur les relations de travail.

Plus récemment, le gouvernement Di Rupo a fait de la lutte contre la « fausse indépendance» l'un de ses chevaux de bataille et a dès lors adapté la loi en vue de la rendre plus efficace, en tout cas, dans certains secteurs dits « à risques ». La loi du 25 août 2012 modifiant la loi sur les relations de travail a été publiée hier (11 septembre 2012) au Moniteur belge.

Dès l'origine, la loi avait pour objectif de :

a. fixer un cadre en vue de qualifier une relation de travail (les critères de qualification); et,
b. mettre en place une commission de règlement de la relation de travail.

a. Les critères de qualification

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, la volonté des parties constitue le principe général. Ces dernières qualifient en effet librement leur relation de travail.

Toutefois, il y aura requalification de la relation de travail et application du régime de sécurité sociale correspondant dans deux hypothèses :

- Hypothèse 1 : L'exécution de la relation de travail laisse apparaître la réunion de suffisamment d'éléments incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leur relation de travail.

- Hypothèse 2 : La qualification donnée par les parties à leur relation de travail ne correspond pas à la nature de la relation de travail présumée par la loi et cette présomption n'a pas pu être renversée. La présomption ne concerne que certains secteurs et constitue la principale nouveauté apportée par le gouvernement Di Rupo dans ce domaine.

Hypothèse 1 : l'exécution est incompatible avec la qualification

Bien que la volonté des parties prime, l'exécution concrète de la relation de travail est essentielle. En effet, si l'exécution concrète démontre, malgré la qualification donnée, l'existence d'un lien d'autorité, la convention pourra être requalifiée en contrat de travail.

Afin d'apprécier l'existence ou non de cette autorité, la loi prévoit trois types de critères:

Les critères neutres. Ces derniers ne peuvent en aucun cas être utilisés pour qualifier la relation de travail. Il s'agit de :
o l'intitulé de la convention;
o l'inscription auprès d'un organisme de sécurité sociale;
o l'inscription à la Banque carrefour des entreprises;
o l'inscription auprès de l'administration de la TVA;
o la manière dont les revenus sont déclarés à l'administration fiscale.

Les critères généraux. Ces critères sont pertinents pour qualifier toute relation de travail. Il s'agit de :
o la volonté des parties : elle primera pour autant qu'elle ne soit pas incompatible avec l'exécution conférée par les parties à leur convention ;
o la liberté ou non d'organiser son travail ;
o la liberté ou non d'organiser son temps de travail ;
o l'existence ou non d'un contrôle hiérarchique.

Les critères spécifiques. Le Roi peut déterminer ces critères spécifiques, qui serviront à qualifier la relation de travail dans certains secteurs ou professions.

Hypothèse 2 : la présomption de contrat de travail

Pour certains secteurs, est instaurée une présomption réfragable de contrat de travail pour autant que certains critères soient remplis.

Champ d'application

La présomption de contrat de travail ne s'appliquera qu'aux relations de travail qui se situent dans le cadre:

  • d'un travail immobilier ;
  • d'activités de surveillance ou de services de garde pour le compte de tiers ;
  • d'activités de transport de choses ou de personnes pour le compte de tiers;
  • d'activités qui ressortent du champ d'application de la commission paritaire pour le nettoyage.

Le champ d'application est donc très large, puisqu'il vise des secteurs d'activités dans leur ensemble, sans distinction sur la base du type de prestations fournies. Dans le secteur du transport par exemple, la présomption ne concernera pas seulement le simple exécutant ; elle s'applique également au consultant hautement qualifié.

Le Roi pourra élargir cette liste après avoir demandé l'avis :

  • du Comité de direction du Bureau fédéral d'orientation du Service d'information et de recherche sociale ;
  • des commissions ou sous-commissions paritaires compétentes (à défaut ou si plusieurs commissions paritaires sont compétentes, l'avis sera demandé au Conseil national du Travail) ;
  • du Conseil supérieur des Indépendants et des PME.

Le champ d'application de la présomption pourrait donc encore être étendu à d'autres secteurs (ex : l'horeca) par arrêté royal.

La présomption

Dans les secteurs visés, les relations de travail seront présumées être exécutées dans les liens d'un contrat de travail lorsqu'il apparaîtra que plus de la moitié des critères visés par la loi sont remplis. Nous avons reformulé ces critères ci-dessous, afin que vous puissiez facilement évaluer votre relation de travail d'indépendant ou la relation de travail que vous avez nouée avec un travailleur indépendant.

Les Critères

1. Vous supportez ou votre travailleur supporte un risque financier ou économique ; par exemple en cas :
- d'investissement personnel et substantiel dans l'entreprise avec du capital propre ; ou,
- de participation personnelle et substantielle dans les gains et les pertes de l'entreprise.

2. Vous détenez ou votre travailleur détient des responsabilités et un pouvoir de décision concernant les moyens financiers de l'entreprise.

3. Vous détenez ou votre travailleur détient un pouvoir de décision concernant la politique d'achat de l'entreprise.

4. Vous détenez ou votre travailleur détient un pouvoir de décision concernant la politique des prix de l'entreprise, sauf si les prix sont légalement fixés.

5. Vous avez ou votre travailleur a une obligation de résultats concernant le travail convenu.

6. Votre indemnité ou celle de votre travailleur varie en fonction des résultats de l'entreprise ou du volume de prestations fournies.

7. Vous employez/votre travailleur emploie des personnes recrutées personnellement et librement ou vous avez/votre travailleur a la possibilité d'engager du personnel ou de se faire remplacer dans l'exécution du travail convenu.

8. Vous apparaissez/votre travailleur apparaît comme une entreprise vis-à-vis d'autres personnes ou vous travaillez/votre travailleur travaille principalement ou habituellement pour plus d'un cocontractant.

9. Vous travaillez ou votre travailleur travaille dans des locaux dont vous êtes/il est propriétaire ou locataire ou avec du matériel qui n'est pas mis à disposition, garanti ou financé par le cocontractant.

Si vous devez répondre négativement au moins à 5 critères, vous/votre travailleur êtes/est présumé être dans les liens d'un contrat de travail. Dans ce cas, sous peine d'une requalification, il est temps de repenser votre convention et/ou votre façon de travailler.

La présomption est toutefois réfragable. Cela signifie qu'il est possible de la renverser et de prouver qu'il existe bel et bien dans une relation d'indépendance, exclusive de tout lien de subordination. Afin de renverser cette présomption, on aura recours aux critères généraux et (éventuellement) spécifiques mentionnés supra.

La nouvelle présomption constituera dès lors un nouvel outil pour les juges, mais elle ne supprimera pas dans tous les cas le débat sur l'existence ou non d'un lien de subordination, débat qui sera lui-même toujours tranché en fonction de l'existence ou non d'une liberté dans l'organisation du travail, du temps de travail ou d'un contrôle hiérarchique dans le chef de la personne qui offre son travail.

b. La commission administrative de règlement de la relation de travail

A l'origine, la commission de règlement de la relation de travail était composée d'une section normative et d'une section administrative. La section normative est à présent abrogée et la loi modifie le fonctionnement de la désormais unique section administrative, renommée à cette occasion « commission administrative de règlement de la relation de travail » (ci-après : la Commission).

La Commission aura pour tâche de rendre des décisions relatives à la qualification de relations de travail déterminées.

Ces décisions seront rendues à la demande d'une seule partie ou à la demande conjointe des deux parties lorsque l'une et/ou l'autre souhaite(ent) bénéficier de davantage de sécurité juridique dans sa/leur relation de travail.

Les décisions de la Commission pourront faire l'objet d'un recours devant le tribunal du travail. Elles produiront leurs effets pour une durée de trois ans (sauf si les conditions de travail sont modifiées) et lieront les institutions représentées au sein de la Commission ainsi que les caisses d'assurances sociales.

c. Conclusion

La nouvelle présomption entrera en vigueur le 1er janvier 2013. A partir de cette date :

- Si vous faites partie des secteurs concernés par la nouvelle présomption, il faudra être particulièrement attentif aux 9 critères visés par la loi, tant lors de la rédaction de conventions de prestation de services que lors de leur exécution.

- Il est donc utile de prévoir dès à présent, dans vos conventions de prestation de services, des clauses relatives au remplacement du prestataire de services, à un pouvoir de décision dans le chef du prestataire de services quant à la politique d'achats et aux moyens financiers de l'entreprises, etc.
- Si vous ne faites pas partie des secteurs concernés pour le moment, il est utile de suivre les évolutions législatives. L'application de la nouvelle présomption pourrait en effet s'étendre rapidement à d'autres secteurs.

En outre, dans les secteurs qui ne sont pas directement concernés par la nouvelle présomption, les juges et l'inspection sociale pourraient, à notre estime, s'inspirer des 9 critères pour apprécier la nature d'une relation de travail.

On le voit, de manière générale, la lutte contre la « fausse indépendance » s'intensifie. Nous conseillons donc à tous ceux qui ont noué une relation indépendante, de réévaluer leurs conventions de prestation de services et d'être particulièrement attentifs lors de la rédaction de futures conventions. Une évaluation concrète de votre mode de travail est également utile.

La Commission, quant à elle, ne sera opérationnelle qu'une fois que seront pris les arrêtés royaux fixant notamment sa composition. A ce moment, il pourrait également s'avérer utile d'examiner l'opportunité d'une décision de la Commission quant à la nature de votre (future) relation de travail. Nous vous tiendrons informés des nouveautés à cet égard.

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