Le dirigeant d’une SPRL ou d’une SA est susceptible d’encourir une responsabilité personnelle différente selon que des arriérés de cotisations de sécurité sociale ou de précompte professionnel grèvent le passif de son entreprise. Est-ce discriminatoire ? Saisie d’une question en ce sens, la Cour constitutionnelle a récemment tranché la question.
Le Code des sociétés instaure, en son article 265, § 2 pour les SPRL et 530, § 2 pour les SA une responsabilité spéciale à charge du dirigeant d’une société du chef de cotisations de sécurité sociale impayées. Sous certaines conditions, le dirigeant sera tenu personnellement et solidairement responsable avec la société pour la totalité ou une partie des cotisations de sécurité sociale et suppléments exigibles dus au moment du prononcé de la faillite. Pareille responsabilité sera engagée s’il est établi (i) que le dirigeant a commis une faute grave qui a été à la base de la faillite ou (ii) qu’au cours de la période de cinq ans qui précède le prononcé de la faillite, le dirigeant a déjà été impliqué dans au moins deux faillites, liquidations ou opérations similaires entraînant des dettes à l’égard d’un organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
En ce qui concerne les dettes fiscales (arriérés de paiement du précompte professionnel ou de la TVA), les articles 442quater du CIR 92 et 93undecies C du Code TVA organisent également un régime de responsabilité solidaire du dirigeant d’une société commerciale. Le dirigeant devra éventuellement répondre sur son patrimoine propre du paiement des dettes fiscales si ce dernier a commis une faute au sens de l’article 1382 du Code civil dans le cadre de la gestion de la société. Ces dispositions présument l’existence d’une telle faute en cas de non paiement répété des dettes fiscales. Cette présomption peut cependant être renversée par le dirigeant s’il en apporte la preuve contraire, et être tout à fait écartée s’il démontre que le non paiement des dettes fiscales provient de difficultés financières qui ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire, de faillite ou de dissolution judiciaire.
La Cour constitutionnelle a été saisie d’une question préjudicielle concernant la comptabilité du régime applicable aux dettes de sécurité sociale avec le principe d’égalité (articles 10 et 11 de la Constitution) en ce qu’il organise une responsabilité solidaire plus sévère que celle qui prévaut pour les dettes fiscales. En effet, si le dirigeant a été impliqué dans au moins deux faillites au cours des cinq ans qui précèdent le prononcé de la faillite, une présomption irréfragable de responsabilité pèse « automatiquement » sur ses épaules en vertu de laquelle il peut être tenu solidairement avec la société de l’entièreté du passif social. Il s’agit d’une responsabilité très lourde car aucune faute ne doit être démontrée (la responsabilité est dite « objective ») et la preuve contraire ne pourrait être admise (la présomption est irréfragable). Ce régime diffère de celui mis en place par le législateur pour le recouvrement des dettes fiscales dans la mesure où la présomption de faute à charge des dirigeants en cas de non paiement répété du précompte professionnel, peut être légalement renversée par l’admission de la preuve contraire.
La Cour constitutionnelle a rendu le 29 mars 2012 un arrêt de principe sur cette question. Elle constata tout d’abord que le régime de responsabilité solidaire pour le recouvrement des dettes sociales s’applique uniquement en cas de faillite d’une SPRL ou d’une SA, tandis que le régime relatif à la récupération de certaines dettes fiscales n’est pas limité à cette seule hypothèse. Le fisc est en effet en droit de se prévaloir des dispositions précitées dès qu’un manquement apparait aux obligations fiscales de la société.
En outre, la Cour constata que l’administration fiscale dispose de moyens diversifiés pour le recouvrement des dettes qui lui sont dues, si bien qu’il apparait justifié que le dirigeant d’une SPRL ou d’une SA puisse renverser la présomption de responsabilité solidaire qui pèse sur ses épaules.
La Cour conclut que la différence de traitement entre les deux régimes n’est pas discriminatoire en raison de la garantie offerte à tout dirigeant poursuivi du chef de la récupération de cotisations sociales sur base des articles 265 § 2 ou 530 § 2 du Code des sociétés, d’avoir accès à un juge exerçant un contrôle de pleine juridiction. Enfin, la Cour conforte l’argument qui a présidé à l’instauration du régime spécial de responsabilité pour les dettes de sécurité sociale, à savoir la lutte contre les entrepreneurs malhonnêtes en considérant que le régime en place n’est pas discriminatoire par rapport à la poursuite d’un tel objectif.