- La concertation sociale est le fondement de notre système de relations collectives de travail. Notre ordre juridique social est structuré en ce sens et repose sur le principe de la parité : le Conseil national du travail, les Commissions paritaires et, au niveau des entreprises, le Conseil d’entreprise et le Comité pour la prévention et la protection du travail.
- Si le dialogue est le maître-mot de nos relations sociales, alors pourquoi autant d’échecs dans la concertation sociale ?
Pourquoi de plus en plus de restructurations n’ont d’écho dans les médias qu’en fonction des coups d’éclat des travailleurs ? On ne parle plus que de piquets de grève, de grève sauvage, d’occupation d’usine et même de séquestration. Devant la menace qui pèse sur leur emploi, les travailleurs estiment leurs moyens d’action légitimes et proportionnés.
Le droit de grève qui, rappelons-le, est un droit fondamental, connait une dérive inquiétante. Son exercice se traduit de plus en plus rarement par une action pacifique.
Devant ces actions irrégulières souvent abusives, les employeurs n’ont qu’un recours pour protéger la liberté du travail, la liberté d’entreprise et le droit de propriété: le judiciaire. Mais cette institution n’a pas vocation - quelle que soit la juridiction qui serait désignée pour être compétente (tribunal de première instance ou tribunal du travail) - pour régler un conflit collectif de travail. Elle ne peut ordonner dans l’urgence que des mesures coercitives, sans aborder les objectifs et préoccupations des uns et des autres.
Ce n’est pas avec une ordonnance assortie d’une astreinte qu’un employeur gagne l’épreuve de force sociale. Il aura seulement affiché sa détermination quant à sa volonté de voir aboutir son projet de restructuration.
C’est un fait : la crise économique radicalise les comportements des « partenaires sociaux ».
Et le dialogue social dans tout ça ?
- Il faut éviter la banalisation des « voies de fait ». Elles ne doivent pas devenir un passage obligé à un accord social.
La question que l’on est en droit de se poser est celle de savoir si, dans le cadre des conflits collectifs de travail, notre système de conciliation est encore adapté à ces situations d’affrontement. Aujourd’hui, en cas de situation de blocage au niveau d’une entreprise, soit la partie la plus diligente saisit le bureau de conciliation de la commission paritaire compétente, soit un conciliateur social du SPF Emploi et Travail est affecté à la situation de crise.
Cette démarche souffre bien évidemment de son caractère a posteriori mais surtout du fait que les conciliateurs sont limités à une intervention ponctuelle et ne disposent pas d’une connaissance suffisante du dossier, n’ayant aucun background du climat social de l’entreprise.
Ce constat est cependant rarement exprimé car tous les conflits sociaux sont destinés à connaître une issue négociée.
L’accord social auquel les parties aboutissent difficilement ne doit cependant pas occulter les incidents parfois violents qui l’ont précédé et la grande amertume qui s’ensuit pour tous les acteurs ; la relation de confiance qui est un élément essentiel de la concertation sociale s’en trouve sensiblement affectée.
- Ne faudrait-il pas intervenir en amont du conflit social ? Ainsi, ne pourrait-on imaginer que dès l’annonce d’une restructuration, l’employeur et les organisations syndicales présentes dans l’entreprise doivent faire choix d’un « accompagnateur social ».
Il devrait s’agir d’un « expert » indépendant des parties, choisi parmi les praticiens du droit social (juges sociaux, membre du SPF Emploi, DRH, avocat spécialisé) sur une liste dont les participants seraient désignés, après candidature, par le Conseil national du travail.
Leur rôle consisterait à assister à la phase d’information et de consultation prévue par la Loi Renault (Loi du 13 février 1998) en cas de restructuration ainsi qu’à celle de négociation du plan social.
Leurs compétences pourraient être variées : fixation du calendrier des réunions d’information, rédaction des procès-verbaux, assistance à la préparation des questions des travailleurs et des réponses de l’employeur, avis quant à la clôture de la phase de consultation. Dans la phase de négociation, ils pourront conseiller les parties en matière d’élaboration d’un plan social efficient (ex : techniques de garantie des plans de prépension, poursuite des assurances soins de santé et pension complémentaire, aspects sociaux et fiscaux des régimes de sécurité d’existence, des régimes dérogatoires de prépension, de plans warrants et autres indemnités conventionnelles), ils pourront assister aux assemblées du personnel en support technique des délégués et permanents syndicaux, ils participeront à la rédaction des conventions collectives de travail en vue d’assurer leur conformité aux accords intervenus ainsi qu’à la mise en place de la cellule pour l’emploi, ils assureront le suivi des dossiers de reconnaissance comme entreprise en restructuration ou en difficulté, etc…
Ils seront dans un premier temps modérateur et garant du respect de la procédure légale et, dans un second temps, ils pourront, si nécessaire, se muer en conciliateur. Leur valeur ajoutée est de connaître les acteurs et la problématique de la restructuration dès l’annonce de celle-ci.
Dans le cadre d’une procédure judiciaire, ils pourraient même être les témoins impartiaux qui font toujours défaut aux magistrats lorsqu’ils doivent statuer dans un conflit collectif, que la procédure soit unilatérale ou contradictoire.
- Le concept « d’accompagnateur social » n’est pas un gadget. De par leur indépendance, leur expertise et les prérogatives qui leurs seront attribuées, ils pourront favoriser en cas de crise sociale le retour à nos fondamentaux : le dialogue social.
Le principal obstacle à l’intervention de ces nouveaux acteurs est la méfiance presque idéologique des organisations syndicales qui pourraient y voir une forme d’atteinte à leur monopole de défense des droits des travailleurs en cas de restructuration. Qu’ils ne se méprennent pas, ces « accompagnateurs sociaux » n’ont qu’une mission, celle d’entretenir le dialogue entre ceux qui doivent rester des partenaires.
Leur réussite dépendra de l’acceptation des uns et des autres de leur légitimité à tenir un discours « vérité » qui pourrait infléchir tant la position de l’employeur quant à son plan de restructuration initial que celle des travailleurs quant à leurs revendications et aux moyens de les exprimer.
N’attendons pas qu’un accident majeur se produise lors d’un conflit collectif de travail.
Le modèle belge de concertation sociale n’a plus évolué depuis des décennies. Adaptons- le aux nouveaux comportements sociaux et économiques. Soyons innovants.