10/05/10

Protection des marques sur Internet : la Cour de Justice prend position dans l’affaire Google Adwords

Dans un arrêt du 23 mars 2010 (aff. C-236/08), la Cour de justice de l'Union européenne a répondu aux différentes questions préjudicielles posées par la Cour de cassation de France dans le cadre du contentieux relatif à l'outil de référencement payant « Adwords » exploité par Google.

Dans la mesure où elle nous semble présenter un certain intérêt pour la suite de l'analyse, nous reprenons la description que fait la Cour du service controversé de Google : « Ce service permet à tout opérateur économique, moyennant la sélection d'un ou de plusieurs mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou ces mots et celui ou ceux contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche, un lien promotionnel vers son site. Ce lien promotionnel apparaît dans la rubrique «liens commerciaux», qui est affichée soit en partie droite de l'écran, à droite des résultats naturels, soit en partie supérieure de l'écran, au-dessus desdits résultats » (point 23).
La Cour ajoute que la rémunération pour ce service est fonction du prix maximal par clic que l'annonceur est prêt à payer et que la position de l'annonce dépend de son prix lorsque plusieurs annonceurs achètent un même mot clé (plus l'annonceur augmente son prix, plus il sera en vue dans la liste des annonces publicitaires pour ce mot clé - point 26).

Y-a-t-il une atteinte à la marque ? Non, mais...

La Cour de cassation de France avait tout d'abord interrogé la Cour de justice concernant l'existence d'une possible atteinte aux droits du titulaire de marque du fait de la vente de mots clés correspondant à un terme enregistré comme marque.
La Cour de justice considère (points 56 à 58) que Google ne fait pas un usage du signe au titre de marque en commercialisant des mots clés y correspondant, car le signe n'est, dans ce cas, pas utilisé dans le cadre de la promotion des services de Google (mais seulement de ceux de l'annonceur qui a acheté le mot clé). Ce faisant, la Cour évacue le débat sur les autres conditions que doit remplir un usage de marque pour être interdit. Cette appréciation nous semble difficilement conciliable avec d'autres arrêts de la Cour, en particulier celui prononcé
dans l'affaire Arsenal (C-206/01).
A cet égard, il est en outre intéressant d'observer que la directive sur les marques permet aux Etats membres de conférer aux titulaires de marques le droit d'interdire tout usage de la marquee « autrement que pour distinguer des produits ou services » (article 5, §5, de la directive 2008/95 sur les marques). Cette faculté n'a toutefois pas été exercée par le législateur français, ce qui explique que la Cour de justice n'a pas eu à se prononcer sur ce point. Signalons
à ce propos que l'article 2.20.1.d de la Convention Benelux sur la propriété intellectuelle permet précisément au titulaire de marque de s'opposer à tout usage d'un signe « à des fins autres que celles de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice ». L'arrêt de la Cour de justice ne permet donc pas d'exclure une atteinte à la
marque fondée sur cette disposition Benelux, dans la mesure où son arrêt ne porte pas sur cette disposition de la directive précitée et vise seulement l'existence d'une possible atteinte à la marque du fait d'un usage du signe « en tant que marque » (pour désigner les produits ou services commercialisés par Google).
Par contre, la Cour de justice juge que l'annonceur fait bien un usage illicite de la marque (ce qui relève du domaine de l'évidence). La Cour consacre de longs développements à la situation de l'annonceur, bien que cela présente peu d'intérêt pratique (aucun annonceur n'est partie dans les litiges concernés).
Parmi ces développements, on s'étonnera, par exemple, de lire que la Cour écarte l'atteinte à la fonction publicitaire de la marque sur la base de la considération suivante : « (...) lorsque l'internaute introduit le nom d'une marque en tant que mot de recherche, le site d'accueil et promotionnel du titulaire de ladite marque va apparaître dans la liste des résultats naturels et cela, normalement, sur l'un des premiers rangs de cette liste. Cet affichage, qui est en outre gratuit, a pour conséquence que la visibilité pour l'internaute des produits ou services
du titulaire de la marque est garantie, indépendamment de la question de savoir si ce titulaire réussit ou non à faire également afficher, sur l'un des premiers rangs, une annonce dans la rubrique «liens commerciaux» (point 97). La Cour néglige ainsi la circonstance que la valeur commerciale du signe peut se trouver affectée par la présence - dans les résultats de recherche -
aux côtés du (des) site(s) officiel(s) et licite(s), de sites commercialisant des contrefaçons... Sans compter le fait qu'il est pour le moins indigeste pour le titulaire de marque de devoir tolérer cette cohabitation, de surcroît sans aucune certitude d'une position de référencement correcte dans les
résultats naturels du moteur de recherche (en fonction des contenus et techniques de référencement utilisées par les autres sites, il n'est en effet pas impossible que ceux-ci surclassent le site officiel du titulaire de marque dans les résultats naturels de Google). Ecarter d'une manière générale
toute atteinte à la fonction publicitaire sur cette seule base nous semble excessif.

Google est-elle un hébergeur ?

Interrogée par ailleurs sur l'éventuelle application au service de référencement payant de Google de l'exemption de responsabilité prévue par la directive sur le commerce électronique (2000/31) au bénéfice des hébergeurs, la Cour de justice s'est montrée pour le moins sibylline.
La Cour entérine tout d'abord le fait que le prestataire de services de référencement est bien un prestataire de services de la société de l'information.
Ensuite, la Cour procède à une analyse qui nous paraît bien plus discutable sur la possible qualification de Google (lorsqu'il offre ses services de référencement payant) en hébergeur. La Cour rappelle que cette qualification requiert que l'activité du prestataire présente « un caractère «purement technique, automatique et passif», impliquant que ledit prestataire «n'a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées». Dès lors, (...) il convient d'examiner si le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l'absence de connaissance ou de contrôle des données qu'il stocke » (points 113 et 114).
La Cour relève en outre que les données introduites par les annonceurs font l'objet de traitements par les logiciels développés par Google afin de déterminer les conditions ultérieures de leur affichage suite aux requêtes des utilisateurs du moteur de recherches (point 115). Elle n'en tire toutefois pas toutes les conséquences qui semblent devoir en découler puisqu'elle ajoute que « la
concordance entre le mot clé sélectionné et le terme de recherche introduit par un internaute ne suffit pas en soi pour considérer que Google a une connaissance ou un contrôle des données introduites dans son système par les annonceurs et mises en mémoire sur son serveur » (point 117).
Le rôle de Google nous semble cependant excéder celui d'un prestataire recevant, stockant et diffusant un contenu à la seule demande d'un utilisateur. En effet, Google intervient sur les modalités d'affichage des annonces liées aux mots clés vendus (position déterminée en fonction notamment du prix payé). Ces opérations nous paraissent incompatibles avec le caractère « purement passif » qui constitue un élément clé de la qualification d'hébergeur.
Bien qu'elle donne des indications fortes sur son analyse, la Cour se garde de la formuler expressément pour se limiter à livrer des indications pour le juge national qui devra décider, en fonction des éléments de fait de la cause.
Cet arrêt de la Cour de justice est donc globalement favorable à Google. Il laisse par ailleurs subsister un certain nombre d'interrogations malgré le libellé précis des questions préjudicielles posées par la Cour de cassation de France.

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