Le sort des droits sur les créations réalisées par les salariés est déterminé par des règles qui réalisent un arbitrage entre la logique du droit du travail (le lien de subordination plaidant pour l'attribution des droits à l'employeur) et celle propre à certains droits intellectuels (le créateur étant privilégié).
Les droits intellectuels visent tantôt à protéger l'investissement (droit des brevets, droits sui generis sur les bases de données), tantôt à protéger l'effort intellectuel de création (droit d'auteur en particulier). Il y a donc lieu d'opérer une distinction selon la nature des tâches de l'employé.
Les créations techniques
Lorsque la création constitue une innovation destinée à solutionner un problème technique, elle peut être protégée par le droit des brevets, pour autant que l'invention soit nouvelle (par rapport à l'état de l'art) et susceptible d'application industrielle. Le droit des brevets protège l'investisseur qui est titulaire des droits sur l'invention. On distingue alorstrois situations, les inventions étant de service, libres ou mixtes.
Les inventions de service sont celles réalisées par l'employé durant son temps de travail et avec les moyens mis à disposition par l'employeur. Les droits sur l'invention vont à l'employeur.
L'invention est dite libre lorsqu'elle résulte d'une activité menée en dehors du temps de travail et sans les moyens mis à disposition par l'employeur. Dans cette hypothèse, l'employé est titulaire des droits sur l'invention.
Une invention mixte est réalisée pour partie avec les moyens de l'employeur et/ou durant le temps de travail. Les solutions jurisprudentielles varieront selon les circonstances propres à chaque cas d'espèce, ce qui rend d'autant plus utiles les dispositions réglant soigneusement ces questions dans le contrat de travail.
Il est important de rappeler enfin que la protection par le brevet requiert l'accomplissement de (coûteuses) formalités de dépôt et est en outre limitée, territorialement en fonction du type de brevet (national, européen, international) et du point de vue temporel, le droit expirant 20 ans après la date du dépôt.
Les créations protégées par le droit d'auteur
Dans le domaine des créations non techniques, c'est le droit d'auteur qui constitue l'outil juridique de protection privilégié.
Pour bénéficier du droit d'auteur, une création de l'esprit doit être coulée dans une forme originale. Le seuil de protection est relativement bas. Ainsi, la jurisprudence admet la protection de créations telles que des brochures publicitaires, des titres d'articles de presse, etc. Le droit d'auteur dépasse le cadre artistique et protège également de nombreuses créations industrielles comme les logiciels et les bases de données (à l'exclusion des données elles-mêmes).
Le droit d'auteur investit le créateur de deux types de prérogatives : des droits patrimoniaux, qui permettent d'assurer le contrôle sur l'exploitation économique de l'œuvre (droit exclusif de reproduction de l'œuvre sur quelque support que ce soit, droit exclusif de diffuser publiquement l'œuvre), et les droits moraux, qui sont censés permettre de défendre la personnalité du créateur qui s'exprime au travers de son œuvre (droit de paternité, droit au respect de l'intégrité de l'œuvre). Les droits patrimoniaux peuvent être cédés par contrat, au contraire des droits moraux qui restent toujours détenus par le créateur.
Le droit d'auteur a une durée de 70 ans à compter du décès de l'auteur.Le droit d'auteur ne nécessite aucune formalité et offre une protection internationale automatique.
Le titulaire du droit d'auteur est la personne physique qui a créé l'œuvre. Ce principe fondamental du droit d'auteur n'est pas toujours compatible avec l'exploitation commerciale de certains types de créations. Il l'est d'autant moins que la loi sur le droit d'auteur prend le contre-pied de la logique du droit du travail en exigeant la présence d'une clause de cession de droits dans le contrat de travail afin de permettre une cession de droits patrimoniaux à l'employeur. Le formalisme de la loi exige en pratique l'assistance d'un conseil dans la rédaction d'une telle clause. Ces contraintes sont difficiles à gérer par rapport à certains types de créations qui sont souvent le fruit d'une collaboration de nombreux créateurs, comme les logiciels ou les bases de données.
Le législateur a dès lors mis en place des mécanismes de présomption de cession de droits en faveur de l'employeur. La loi prévoit une cession automatique des droits d'auteur en faveur de l'employeur, pour autant que le logiciel soit réalisé sur instruction de l'employeur ou rentre dans la mission habituelle de l'employé concerné.
Ces mécanismes de présomption facilitent dans une certaine mesure l'exploitation des œuvres, mais il reste néanmoins prudent de prévoir des clauses de cession de droits dans le contrat de travail, afin d'étendre la portée des droits cédés ou simplement de confirmer l'intention des parties à cet égard. La Cour de Justice de l'Union européenne a récemment rappelé l'opportunité de telles dispositions contractuelles. Dans un arrêt du 22 décembre 2010, la Cour a ainsi jugé que les interfaces graphiques ne faisaient pas partie du logiciel au sens légal du terme, de sorte que la présomption de cession prévue par la législation ne s'y applique pas. Cela signifie qu'à défaut de clause de cession de droits dans le contrat de travail, les droits d'auteur sur les interfaces graphiques de logiciels demeureront en tout cas acquis à l'employé.
Les bases de données
Afin de protéger les investissements nécessaires à la création de bases de données, le législateur a consacré une nouvelle forme de protection spécifique : le droit sui generis sur le contenu des bases de données. Il s'agit d'un droit qui permet de s'opposer à l'extraction et/ou la réutilisation de parties substantielles du contenu d'une base de données. L'idée est d'empêcher que les concurrents puissent exploiter les efforts liés à la collecte, la vérification et la présentation des données.
Le titulaire de ce droit sui generis est le producteur de la base de données qui est défini comme la personne (physique ou morale) qui a pris le risque économique de la création de la base de données. Lorsque la base est créée par des employés (ou un prestataire externe), c'est l'employeur (ou le commanditaire) qui a pris le risque économique de l'opération et qui est donc titulaire du droit sui generis sur le contenu de la base de données. Le droit sui generis ne couvre cependant que le contenu de la base de données et non sa structure ni les créations annexes (manuels, documentation de conception, etc.) qui sont protégées par le droit d'auteur.
Conclusion
S'il existe des aménagements légaux destinés à favoriser l'exploitation des créations du salarié par son employeur, les incertitudes qui entourent parfois la portée pratique de ces mécanismes doivent inciter les parties à régler contractuellement la question de la titularité des droits sur les créations de l'employé. C'est une question de transparence et de prudence.