Devant la surabondance de textes européens, le défi majeur des entreprises aujourd'hui est de parvenir à respecter les règles qui s'imposent.
Parmi celles-ci figurent les règles de concurrence que les entreprises perçoivent toujours comme une contrainte et trop rarement comme une opportunité.
Les entreprises contraintes à vérifier elles-mêmes le respect de leurs pratiques au regard des règles de concurrence
Depuis 2004, l'entrée en vigueur du règlement 1/2003 (JOUE L1 du 4 janvier 2003) renverse la charge qui pèse sur les entreprises quant à leurs relations avec leurs concurrentes, ne leur permettant plus de venir présenter leurs accords en vue de les voir exempter de l'interdiction édictée par la règlementation sur les ententes anticoncurrentielles mais leur imposant une permanente auto-évaluation de ceux-ci. Cette réforme, sans doute trop rapide, met les entreprises dans une situation de flou d'autant plus intolérable que les sanctions que la Commission leur inflige sont extrêmement élevées et continueront de l'être (Voir Lignes directrices pour le calcul des amendes 2006/C210/02, JOUE 1er septembre 2006 p. 2).
La Commission donne une grille de lecture des accords horizontaux enfreignant les règles de concurrence
Pour pallier cette incertitude, la Commission tente de venir en aide aux entreprises au travers de communications dans lesquelles elle vient préciser sa lecture des comportements des entreprises au regard des règles de concurrence.C'est ainsi que dans sa communication sur les accords de coopération horizontale (2011/C11/01, JOUE 14 janvier 2011 p.11), la Commission propose aux entreprises une grille de lecture leur permettant (en principe) de distinguer les modes de coopération autorisés de ceux qui sont interdits au regard du droit des ententes, car susceptibles de nuire à la concurrence.
La Commission y passe ainsi en revue les accords entre concurrents de recherche et développement, de production, d'achat, de commercialisation, de normalisation.
La Commission donne une grille d'analyse des échanges d'informations au regard des règles de concurrence
Sur un plan plus global, la Commission s'attarde dans cette communication sur les échanges d'informations entre entreprises concurrentes, sujet délicat et complexe. En effet, les entreprises qui ignorent souvent si leurs échanges faussent le jeu de la concurrence doivent prendre des précautions à cet égard tout en veillant à ne pas s'auto-censurer excessivement.
Les échanges d'informations peuvent aussi bien produire des effets anticoncurrentiels (ex : augmentation de la transparence du marché et élimination de l'incertitude dans laquelle doit être une entreprise dans la détermination de sa politique commerciale) que favoriser le jeu de la concurrence (ex : bénéficier aux consommateurs en réduisant leur coût de recherche et en améliorant leur choix). Tout dépend de la nature même ou de la forme de l'échange ou du contexte de marché dans lequel opèrent les entreprises en cause.
L'un des principes qui gouverne le droit de la concurrence est que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre et les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle.
Cette grille d'analyse présentée par la Commission à travers cette communication permet d'évaluer la conformité au droit de la concurrence des échanges d'informations entre concurrents. Cet outil repose sur différents paramètres afférents à la structure de marché (la transparence, concentration, stabilité, complexité du marché), à la nature de des informations échangées (caractère stratégique, public ou non de l'information et sa couverture du marché) et aux modalités des échanges (intervention d'un tiers, fréquence de l'échange, agrégation des données, exclusivité de l'échange).
On note d'expérience que le risque d'un échange d'informations anticoncurrentiel est particulièrement élevé dans le cadre de REACH, des associations professionnelles, de la normalisation et d'appels d'offres.
La publication de cette grille comme signe avant coureur de contrôles menés par les autorités de concurrence sur ce type d'infraction
Au-delà de la fourniture de clefs de lecture, la Commission en publiant cette communication veut également sensibiliser clairement les entreprises sur sa volonté que ces sujets soient clairement pris en compte et respectés. On retrouve ainsi en filigrane tous les éléments de contraintes que les autorités de concurrence peuvent mettre en œuvre. Il suffit ici de citer (i) les moyens de contrôle importants dont elles disposent (demande de renseignements et perquisitions), (ii) les amendes toujours plus élevées qu'elles prononcent et qui peuvent (légalement) atteindre 10% du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée (ou du groupe auquel elle appartient) et (iii) la récompense aux entreprises qui viendront dénoncer un comportement auquel elles ont-elles-mêmes participé, sous forme d'une immunité ou d'une réduction d'amende.
Ce signe fort donné aux entreprises doit donc les conduire à mettre en œuvre une politique de gestion du risque lié à ces échanges d'informations avec leurs concurrents. Pour cela, l'entreprise dispose de plusieurs outils tant pour détecter que prévenir d'éventuels échanges d'informations anticoncurrentiels.
Quels outils pour faire face de façon pérenne au défi de respecter les règles de concurrence?
Compte tenu de la complexité de ces règles et de la difficulté pour le management de l'entreprise d'assurer le respect des messages éthiques adressés au personnel en contact avec le marché, le défi pour l'entreprise devient ainsi de mettre en œuvre ces outils pour (i) détecter l'existence éventuelle de pratiques non conformes et (ii) élaborer une stratégie visant à assurer une application pérenne des règles.
Il convient d'indiquer que les comportements anticoncurrentiels pilotés par le management de l'entreprise deviennent de plus en plus rares. Les dossiers qu'il nous est désormais donné de traiter sont le plus souvent le fait de personnes de l'entreprise en contact avec le marché qui, volontairement ou non, franchissent la ligne jaune de l'interdit sans avoir (pleinement) conscience du risque qu'ils font courir à leur entreprise. Le management, quant à lui, ignore, la plupart du temps, totalement le caractère infractionnel et hautement risqué de tels comportements.
Un diagnostic de concurrence, fondé sur une analyse de différents documents de l'entreprise, d'interview des personnes en contact avec le marché et, le cas échéant, d'une analyse de leur « boite mail », va permettre d'établir un état des lieux précis et la mise en place d'une stratégie adaptée qui pourra se décliner en l'établissement d'un compliance programme, de sessions de formation interne, de dispositifs de référents en cas de doute (compliance officer) et d'un système de whistleblowing.
C'est grâce à la mis en place de ces outils et à un contrôle régulier du respect des process internes (contenus dans le compliance programme) que le management de l'entreprise pourra utiliser le droit de la concurrence comme un outil stratégique et non plus simplement de tenter de se protéger d'une application des sanctions sévères qui en découlent.
C'est dans ce type d'approche que se décline le défi des entreprises dans le contexte du droit européen.