La semaine dernière, la compagnie de cars FLIXBUS a rompu sa collaboration avec un conducteur (employé d’une entreprise italienne travaillant en sous-traitance) en raison d’un tatouage sur son bras faisant référence au titre de l’ouvrage hitlérien « Mein KAMPF », après une vague d’indignations lancée sur Twitter par un passager.
Une telle décision est-elle envisageable en droit positif belge au regard de la législation anti-discrimination ?
Que prévoit la loi belge ?
1-. La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination prohibe toute forme de discrimination fondée sur l’un des critères suivants : l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l’état de santé actuel ou futur, le handicap, la caractéristique physique ou génétique, l’origine sociale.
L’employeur (relevant du secteur privé ou public) qui se rend coupable d’une discrimination directe ou indirecte sur un travailleur, fondée sur un des critères susvisés, à tout stade de la relation de travail (depuis le recrutement – pour établir les critères de recrutement - jusqu’au licenciement - et la détermination des critères de licenciement-), s’expose au paiement de dommages intérêts en faveur du candidat/travailleur discriminé (l’indemnité pouvant atteindre 6 mois de rémunération brute, voire plus s’il peut être démontré un préjudice réel plus important).
S’il peut en outre être démontré que l’employeur a commis intentionnellement la discrimination, ce dernier encourt au plan pénal des poursuites et sanctions. En pratique, cependant, les poursuites pénales sont généralement classées sans suite, sauf dans l’hypothèse où l’employeur ne respecte pas une décision judiciaire lui ordonnant la cessation immédiate d’acte(s) discriminatoire(s).
Un employeur peut-il refuser d’engager ou licencier un travailleur en raison d’un tatoo ?
2-. Les tatouages (au même titre que les piercings, coupes de cheveux et tenues vestimentaires atypiques) ne sont pas visés par les critères énumérés limitativement par la loi anti-discrimination de 2007, la notion de « caractéristiques physiques » se limitant aux éléments acquis à la naissance ou en cours d’existence, indépendamment de la volonté de la personne. On pense ainsi à la morphologie du travailleur, une tâche de naissance, une brulure, une cicatrice, …
Cela a pour conséquence qu’un candidat ou un travailleur tatoué ne peut invoquer directement la protection légale prévue à la loi du 10 mai 2007.
3-. Cependant, le candidat/travailleur victime d’une décision arbitraire prise par un employeur, n’est nullement privé de toute protection. En effet, tout traitement inégal dans les rapports entre les citoyens auquel aucune justification objective ne peut être donnée, constitue une discrimination et, dès lors, un comportement fautif qui peut donner lieu à une sanction civile, notamment à une indemnisation.
En d’autres termes, si l’employeur entend traiter distinctement et défavorablement un candidat/travailleur tatoué, il devra objectivement et raisonnablement justifier sa décision par un but légitime et démontrer que les moyens mis en œuvres pour réaliser ce but sont appropriés et nécessaires à la réalisation du but poursuivi.
Ainsi, il a été jugé qu’un employeur pouvait interdire le port de piercings pour des raisons d’hygiène et de sécurité alimentaire, pour autant que cette interdiction soit limitée aux ouvriers travaillant en contact direct avec la nourriture et non, par exemple, aux employés administratifs (En ce sens : C. trav Liège, 22 octobre 2007).
Dans le même ordre d’idée, il est autorisé pour un employeur d’insérer une clause dans son règlement de travail interdisant aux travailleurs entrant en contact direct avec la clientèle d’avoir des tatouages visibles en vue de préserver la réputation et/ou les intérêts économiques de l’entreprise. L’employeur doit pouvoir cependant motiver de manière circonstanciée que cette interdiction est objectivement et raisonnablement justifiée et qu’elle est proportionnelle à la réalisation du but poursuivi.
Dans le secteur de la police et de l’aviation (pour les hôtesses de l’air notamment), pareilles restrictions sont ainsi de mises.
4-. Au niveau du recrutement et la sélection de candidats, la CCT n°38 conclue le 6 décembre 1983 au niveau du CNT impose à « l'employeur (…) de respecter à l'égard des candidats le principe de l'égalité de traitement» (art. 2bis).
Dans un jugement du 30 juin 2004, le Tribunal du travail d’Anvers a condamné la Ville d’Anvers au paiement d’une indemnité de 2.500€ en faveur d’un candidat ayant postulé à un poste vacant de surveillant de quartier et qui, après avoir passé deux entretiens, a vu sa candidature écartée au seul motif que « son apparence ne correspond pas aux exigences de la fonction. Plus précisément des tatouages et le crâne rasé ».
Bien que la CCT n°38 ne soit pas applicable en l’espèce (la Ville d’Anvers étant un employeur public auquel la CCT n’est pas applicable), le Tribunal du travail jugea que « la bonne foi dans la phase précontractuelle n’est pas différente, sur le plan du contenu, des dispositions de la CCT n°38. (…) Les critères utilisés lors d’un recrutement doivent être confrontés au principe de pertinence et de finalité. Une telle chose implique que seuls les critères qui sont pertinents par rapport à la nature et aux conditions d’exercice de la fonction peuvent être pris en considération ». En l’espèce, la Ville d’Anvers n’avait pu démontrer qu’elle avait utilisé des critères appropriés et nécessaires de sélection, à savoir des tatouages et le crâne rasé, pour justifier objectivement et raisonnablement sa décision d’écarter la candidature au regard de la fonction de surveillant de quartier à pourvoir.
5-. Au niveau du licenciement, une affaire quelque peu similaire à celle impliquant la compagnie FLIXBUS, a défrayé la chronique en août 2018 et concernait un chauffeur de bus de la STIB licencié pour motif grave après s’être rendu à une fête du personnel en short et débardeur, laissant apparaître des tatouages prônant le nazisme.
A ce jour, nous n’avons pas connaissance d’une décision judiciaire rendue en cette affaire.
Au-delà des questions ayant trait au respect des formalités légales pour la notification d’un congé pour motif grave et des règles protectrices du droit à la vie privée du travailleur (nous supputons que les tatouages n’étaient pas ostentatoires ni visibles durant le temps de travail), l’employeur devra démontrer que la mesure de licenciement était objectivement et raisonnablement justifiée au regard du but poursuivi, à savoir le respect des bonnes mœurs et la préservation de la réputation de l’entreprise publique de transport bruxellois.
A n’en point douter, l’emplacement et la nature du tatouage auront une importance majeure dans l’appréciation du motif grave par le juge.
En conclusion, il n’est pas interdit pour un employeur de traiter distinctement et défavorablement un candidat/travailleur tatoué pour autant que cette mesure soit objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime et repose sur des moyens appropriés et nécessaires à la réalisation du but poursuivi.